Quel est le problème actuel des achats à l’État?
Corinne Scherrer: Pour le moment, les connaissances dans le domaine sont dispersées. Il n’y a pas de véritable coordination à l’échelle de l’État. La stratégie d’achats n’est pas clairement définie et personne ne maîtrise la fonction dans sa globalité. Une petite partie des achats sont effectués par la Centrale d’achats de l’État de Vaud (CADEV), une large part par les services eux-mêmes. On peut dire que la CADEV assure l’approvisionnement de l’administration cantonale. Mais il ne s’agit pas d’achat proprement dit.
Quelle est la différence?
Par exemple, quand vous faites vos courses dans un supermarché, vous vous approvisionnez. Par contre, quand vous achetez une maison, vous évaluez différents fournisseurs, vous mettez peut-être au concours plusieurs architectes. Et vous choisissez le meilleur en fonction de vos critères. Pour qu’il y ait achat, il faut un contrat.
Pour le dire autrement, l’achat répond aux questions: quoi? à qui? et pourquoi? Pour l’entreprise, ou l’État, cela signifie conclure des contrats. L’approvisionnement répond aux questions: combien? Quand? et où? C’est surtout de la logistique.
Quelle est la solution?
Nous avons des acheteurs capables de faire des achats dans le sens qu'on vient de dire, mais qui n’ont pas les outils adéquats pour travailler de manière optimale. Le but est de se doter d’un outil performant qui permette de visualiser un besoin pour l’ensemble de l’État. Par exemple, acheter du papier uniquement pour la CADEV n'a pas de sens, alors que tous les services en utilisent. Il faut fixer des contrats-cadres pour l’ensemble de l’administration cantonale vaudoise afin de permettre à tous de s’approvisionner aux mêmes conditions. Il en va de même pour une multitude de produits qui peuvent être achetés en grande quantité – crayons, règles, tables, lampes, armoires – et qu’il faut absolument rapatrier dans une centrale d’achat. L’objectif est de globaliser et professionnaliser la fonction, et de créer des synergies entre les services qui ont des besoins similaires.
Comment faire?
Nous cherchons une nouvelle solution informatique, en collaboration avec Moncef Francis, le responsable de projet pour la Direction des systèmes d’information (DSI). L’actuel système, Pénélope, est obsolète et n’est plus mis à jour. Les acheteurs ont de grandes attentes sur un système d’information qui soit professionnel et performant. Ce sera un grand soulagement.
Cette réforme est une chance?
Oui. Dans le privé, en général, on s’inquiète des achats quand il y a de grandes réductions de budgets. C’est souvent le parent pauvre de l’entreprise. Tant que ça va bien, les moyens sont mis dans le marketing, la vente, les systèmes d’informations.
Le rapport de la Cour des comptes a donné à la CADEV une chance de se réorganiser, de s’outiller correctement et gagner en performance, avant d’éventuelles restrictions budgétaires ou des problèmes légaux. Il ne faut pas oublier que nous sommes soumis aux appels d’offres publics, en fonction du montant qui passe pour un même marché. Or aujourd’hui, nous n’avons pas de vision globale, parce que nous n’avons pas de système unique.
Qui sera concerné par cette réforme?
Le CHUV a sa propre centrale d’achats et l’Université fonctionne de manière autonome. La réforme concerne l’ensemble de l’administration ainsi que les établissements scolaires. Aujourd’hui, dans l’enseignement, une partie des achats est centralisée. Mais beaucoup passent à côté. Les enseignants effectuent des achats eux-mêmes. L’idéal serait par exemple de mettre en place des catalogues, pour qu’ils puissent directement acheter sans s’inquiéter de payer et être remboursés. On pourrait aussi imaginer avoir des contrats-cadres avec certaines librairies locales.
Quelles sont les craintes?
Il m’arrive de me déplacer dans les services pour rassurer. Je rappelle aux gens qu’on ne leur enlève pas leur budget ni leur capacité à s’approvisionner. Par contre, on pose un cadre, c’est-à-dire des limites dans une certaine mesure. Celles-ci sont définies par les représentants des départements concernés. On n’inventera pas quelque chose d’improbable. Nous gardons à l’esprit de rester le plus pragmatique et flexible possible.
Que va changer la réforme?
Nous sommes tous indirectement liés à la fonction achats. J’espère que tout le monde verra une différence. Nous gagnerons en efficience: il existera une plateforme où chercher ce dont on a besoin, comme dans un catalogue. Et il y aura une personne de référence, par catégorie de produits, pour nous orienter en cas de difficulté.
Le but est aussi de rassurer les habitants du canton et montrer que le denier public est utilisé de manière optimale. II ne faut pas oublier que chaque fois que nous achetons quelque chose, c'est avec l’argent du contribuable.
La réforme aura-t-elle un impact sur les prix des choses pour les services?
Il m’est difficile d’évaluer l’impact que la réforme aura sur les prix. Mais je suis certaine que l’État va tirer un grand bénéfice de cette centralisation, de la transparence des contrats-cadres et des synergies créées entre départements. Avec ce nouveau système de gestion, nous allons également gagner en efficience et en qualité de travail. Les économies suivront.