Pourquoi avoir créé «Renouvaud», le nouveau réseau des bibliothèques vaudoises?
Jeannette Frey, directrice de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (BCUL): Pour l’histoire, en 1982, la BCUL a été la première bibliothèque à avoir un catalogue informatisé en Suisse. Sur cette base s’est construit le réseau romand (RERO), auquel ont collaboré les six cantons francophones. Les bibliothèques étaient alors pionnières dans la mise en réseau. Or, en 1995, arrive le web, et le public passe rapidement par ce réseau planétaire d’abord pour rechercher l’information, puis même pour lire articles et livres. Car dès le début du nouveau millénaire, la publication scientifique se fait de plus en plus en ligne.
Cependant, ces ressources électroniques n’étaient pas répertoriées dans les catalogues de bibliothèques. Il fallait donc passer à un autre type de système de gestion de bibliothèque, agrégeant les données bibliographiques en provenance des éditeurs du monde entier. L'unanimité des cantons membres de RERO était nécessaire pour changer de solution technique. Mais tous n’étaient pas d’accord de faire l’investissement. Les budgets étaient donc bloqués. En 2014, le Conseil d’État vaudois a jeté l’éponge. Pour permettre au réseau vaudois de se développer, nous avons quitté RERO fin 2016.
La nouvelle solution technique, le catalogue Alma et l’interface de recherche Primo , est en fonction depuis août 2016. Quels changements a-t-elle impliqués?
Le système de gestion intégré Alma, avec lequel nous cataloguons aujourd’hui, est très différent de ce que nous utilisions avant. C’est un outil cloud, répertoriant toutes les ressources à disposition des utilisateurs, qu’elles soient sur support imprimé ou électronique. Ces outils passent par l’«agrégation» de données, c’est-à-dire qu’ils récoltent des données auprès des éditeurs du monde entier et les mettent à disposition des bibliothécaires et des utilisateurs.
Avec le passage à la publication en ligne, toutes les bibliothèques scientifiques doivent désormais se réinformatiser. Nombre de projets du type Renouvaud sont en cours en Suisse et en Europe: la Bibliothèque nationale suisse va installer le logiciel Alma prochainement; la Communauté européenne l’a aussi adopté pour toutes ses bibliothèques.
Sur le portail de recherche, il y a deux moyens de chercher?
Dans Renouvaud, on a deux ensembles: l’un regroupe les bibliothèques scientifiques et patrimoniales («science et patrimoine») et l’autre, les bibliothèques scolaires et municipales («écoles et lecture publique»). Il y a un seul catalogue, mais deux interfaces de recherche différentes. Quand vous avez des élèves de 6 ans et des étudiants universitaires, c’est assez difficile de mettre tout le monde d’accord!
Pourquoi est-il important d’intégrer les ressources électroniques dans le catalogue?
Pour les rendre plus immédiatement visibles pour l’utilisateur! Il faut savoir qu’actuellement plus de deux tiers du budget d’acquisition de la BCUL sont dépensés dans des ressources électroniques. Elles sont très largement majoritaires, car certains domaines scientifiques comme le biomédical publient pratiquement 100 % sous forme électronique. Et un catalogue de bibliothèque n’a de sens que si les gens sont réellement capables d’y trouver tout ce qu’on a acheté pour eux.
Aujourd’hui déjà, il y a beaucoup plus de ressources électroniques que de livres. Pour se faire une idée en chiffres, notre interface de recherche recense environ 1,5 milliard de références. À la BCUL, qui est l’une des plus grandes bibliothèques de Suisse, nous avons 3 millions de livres.
Tout ce qui est publié en libre accès partout dans le monde est répertorié automatiquement dans notre catalogue. C’est d’autant plus important que la Communauté européenne souhaite que la publication scientifique se fasse en ligne et en libre accès d’ici 2020.
Est-ce que ces nouveaux outils changent le travail des bibliothécaires?
Oui bien sûr! À l’avenir, on passera moins de temps à faire du catalogage, c’est-à-dire créer des notices bibliographiques à la main. Aujourd’hui nous pompons directement les notices des éditeurs dans Alma. Le travail se déplace du catalogage vers la médiation. Il faut expliquer aux gens comment ils peuvent trouver nos ressources et y accéder.
Dans un libre accès – le site Unithèque de la BCUL possède le plus grand libre accès thématique de Suisse! –, vous voyez ce que vous avez à disposition. Avec les ressources électroniques, ce n’est pas le cas. Nous devons rendre visibles toutes ces ressources électroniques. Il y a aussi un important travail d’indexation à effectuer, pour que le public arrive à trouver ce qu’il cherche. Les éditeurs en fournissent une partie. Nous, bibliothécaires, complétons lorsque c’est nécessaire.
Quels sont les retours du public?
Le réseau Renouvaud compte quelque 120'000 utilisateurs; le mieux est de regarder les statistiques. Le nombre de prêts de documents imprimés était constamment en diminution ces dernières années. Il a augmenté de 10% avec Renouvaud. C’est bon signe, ça veut dire que les gens trouvent mieux ce qu’ils cherchent. Les chiffres de la consultation de l’électronique sont également en augmentation, dans la suite des années précédentes.
Quels sont les défis de Renouvaud pour 2017?
Adopter ces nouveaux outils, c’est plus qu’une simple migration, c’est un changement de paradigme. Le plus urgent était de passer le catalogue de RERO à Renouvaud, et d’intégrer les ressources électroniques, qui n’y étaient pas. C’est fait. Mais nous sommes encore en train de fusionner des données qui viennent d’autres catalogues: les e-books et le e-prêts , les bases de données des thèses, mémoires et manuscrits, et Scriptorium et ses 4 millions de pages de presse en ligne!