La journée, Christian Roy enseigne le français, l’histoire et la géographie – sa spécialité – à six classes de la 9e à la 11e au Collège de Grand-Champ à Gland. Du genre actif, il forme également deux stagiaires de la Haute École pédagogique, choisit le matériel de géo en tant que membre de la Direction pédagogique et est le co-auteur des trois manuels actuellement au programme pour cette discipline dans le canton.
Oiseau de nuit
Une fois rentré chez lui, Christian Roy se consacre à la Maraude, 20 heures par semaine, estime-t-il. Il a cofondé ce «mouvement citoyen» qu’il définit comme «indépendant, apolitique et areligieux» en 2016. Depuis longtemps bénévole à la Soupe populaire à Lausanne – son frère en est l’actuel responsable –, il amène cette année-là nourriture et matériel à Paris pour les sans-abri avec l’association «United for peace». Il réalise qu’il y a des besoins à Lausanne. Ni une, ni deux, il met en place la Maraude.
Le 8 avril 2016, ils sont deux à servir des repas dans le jardin du Sleep-In de Renens (alors occupé par une centaine de sans-abri). En juin, ils sont 40, assez pour «partir en volante» dans la ville. Aujourd’hui, pas loin de 200 volontaires contribuent aux maraudes quotidiennes. De 18 à 73 ans, ils sont retraités, étudiants, juge, fonctionnaires, paroissiens, punks et même sans-abri. Ils viennent parfois de loin, Fribourg, Vallée de Joux ou France. Une centaine sillonne la ville à tour de rôle pour distribuer des repas, d’autres préparent des thermos de thé et café, des plats chauds, collectent des habits et couvertures.
À la Suisse
«Nous sommes hyper-organisés. On fait ça "à la Suisse"», s’amuse Christian Roy. Sur Facebook, plateforme de communication du groupe, tout est millimétré. Les sept planificateurs de semaine, dont Christian Roy fait partie, œuvrent à distance: ils désignent un parrain ou une marraine de soirée qui mènera le groupe dans la ville, listent les participants, les voitures, trouvent des volontaires pour aller chercher le pain dans les deux boulangeries qui donnent leurs invendus.
«Ce qui plaît, c’est que c’est simple. Tout le monde peut le faire. Mais il faut faire attention à ne pas s’épuiser», explique le maraudeur. Pour lui, les bénévoles sont bien accueillis, les relations sont respectueuses. «Mais de toute façon c’est dur. C’est lourd à porter de rentrer au chaud quand il fait froid dehors.» Parfois, Christian Roy accueille chez lui, pour une nuit – jamais plus – une personne qui en a besoin. Le maraudeur estime que, du printemps à l’automne, 150 personnes dorment dehors à Lausanne chaque soir. L’abri PC de la Vallée de la jeunesse et le Répit, lieu d’accueil pour la nuit près de la Soupe populaire, ferment en mai.
S’il «maraude» encore deux ou trois fois par mois, Christian Roy consacre le plus clair de son temps à co-organiser la vie du groupe et concrétiser de nouvelles idées. Il répond aux coups de téléphone et mails en rafale de personnes qui veulent aider, gère les «petits miracles», comme écouler le soir même 300 crêpes érythréennes données par un les organisateurs d’un événement ou des sandwichs offerts par le Lausanne-Sport. Débrouillards, les maraudeurs font avec ce qu’ils ont, explique-t-il. Les dons sont nombreux. Jusqu’à quand? «La nature de notre vocation, c’est de ne plus exister», rappelle l’enseignant.
Un engagement à partager
À l’école son engagement est connu. Quelques profs sont maraudeurs. «Certains posent des piles de chaussettes sur mon bureau dans la salle des maîtres, des biscuits. Parfois, je ne sais même pas qui c’est!», raconte-t-il. Solidaire, l’établissement a organisé en novembre dernier un repas de soutien dont les bénéfices sont allés à la Maraude. Un groupe d’enseignants était aux fourneaux, trois classes au service.
Avec ses élèves de dixième, dans le cadre du cours d’approche du monde par projet extrascolaire, l’enseignant a choisi la précarité comme thème de semestre. «Les jeunes sont sensibles à ce sujet, remarque-t-il. Tous ne viennent pas de milieu favorisé. Ils s’intéressent et réagissent.»