«Tout gosse, j’adorais observer les dessins dans le dictionnaire Larousse de mon père, se souvient avec précision Bernard Verdon. J’étais impressionné. Comment arrivait-on à dessiner si bien et si petit un cheval ou des planches d’anatomie?» Il décalque le fameux cheval encore et encore, au point que l’animal de papier se détache un jour, laissant un trou dans la page. L’accès à l’ouvrage lui est dès lors interdit.
Comprendre en profondeur
Enfant, il rêve de devenir dessinateur. Ses parents comprennent artiste et, inquiets, l’en dissuadent. Jeune homme, il effectue donc un apprentissage de dessinateur en bâtiment. Il poursuit avec la Haute École d’architecture de Fribourg puis l’EPFL. Durant sa formation, il remplit beaucoup de cahiers. Il pratique le dessin académique et le dessin «à vue», à l’extérieur. «Dessiner, c’est une manière de comprendre les choses en profondeur. Ce n’est pas instantané comme la photographie. Il faut saisir la taille, la hauteur, la relation entre les espaces», explique-t-il.
Bernard Verdon entre au Service immeubles, patrimoine et logistique (SIPaL) en 1998. Il change de casquettes au fil du temps: chef de projet, adjoint du chef de service, adjoint de l’architecte cantonal. Il s’occupe, entre autres, des «vieilles pierres de l’État», comme il dit. Il dirige par exemple les travaux de restauration de la Cathédrale, du château de Chillon, du château et de l’Église Saint Jean-Baptiste de Grandson, un ancien prieuré bénédictin du 12e siècle, «les vieilles grands-mères de l’État de Vaud», glisse-t-il avec malice.
L’appel du silence
Dans son travail, il ne dessine plus. Il se définit comme «un coordinateur et un pousseur de projets». Il fait le lien entre le maître d’ouvrage, c’est-à-dire l’État, les architectes mandatés pour dessiner et les entreprises de construction.
C’est ailleurs que le dessin entre à nouveau dans la vie de Bernard Verdon. Intéressé par la spiritualité, il effectue chaque année depuis 20 ans un séjour d’une à deux semaines dans l’Abbaye cistercienne d’Hauterive, près de Fribourg. Dès sa première venue dans ce lieu, il est pris d’une «démangeaison de la main». Il a immédiatement envie de dessiner et le fait, sans réfléchir à rien, sans vouloir donner du sens. Dans sa chambre, il dessine en continu, produit 100 à 200 pièces par séjour. Toujours du même format carré, dans les deux cahiers A4 qu’il prend avec lui chaque année dans sa mallette. D’abord les lignes filent, tracées à l’encre noire ou au crayon sur la feuille. Puis, au fil des ans, les couleurs arrivent, avec des pastels.
Il dessine le jour, la nuit, dans le silence de l’abbaye. «J’ai un réservoir d’images, de sensations accumulées durant l’année. Il y a comme une sensualité intérieure, les intuitions viennent. Je travaille par série. Ces déclinaisons sont très libératoires. C’est ma source de bien-être annuelle», explique-t-il avec douceur.
Heureux hasards
Et c’est tout. Hors du monastère, il ne dessine pas. En 20 ans, plus de 3000 dessins se sont accumulés dans ses cartons. Il y a deux ans, ses enfants, adultes aujourd’hui, trouvent dommage que cette production ne soit pas mise en valeur et réunissent une quinzaine de personnes en lien avec le domaine de l’art – étudiant de l’ECAL, responsable d’une collection d’art, artistes – pour leur soumettre ces dessins. La conclusion des discussions est qu’il vaut la peine d’en faire quelque chose.
Un article paraît dans une revue d’architecture. Le conservateur du Musée d’art d’Aarau contacte Bernard Verdon. L’historien de l’art trouve sa production «étonnante et inédite, comme un contrepoint à l’excitation de notre société». Il lui conseille de publier un livre pour la présenter et de choisir avec soin l’endroit où il exposera. Bernard Verdon est un peu «emprunté» à l’idée de dévoiler une page secrète de sa vie. Mais le projet se met en route.
Le livre sort de presse ces jours. Clin d’œil de la vie, la Fondation de Romainmôtier – un site dont il a supervisé les travaux de restauration pour le SIPaL – le contacte et lui propose d’exposer ses dessins dans la Grange de la Dîme. «J’ai ressenti une joie très intérieure et très cachée, raconte en souriant l’architecte. C’est une belle proposition de la vie et une aventure que je n’avais pas prévue.» Il s’agit d’une ancienne abbatiale, comme Hauterive, où les premiers dessins qu’il a produits représentaient des moines. La fin du chantier du château Saint-Maire, la publication d’un livre, et une première exposition en deux mois. Bernard Verdon savoure ces coïncidences heureuses de l’existence.
Fil de vie
«Je ne crois pas que je dessine pour compléter la partie du métier que je n’exerce plus en étant chef de projet, analyse l’architecte. Le dessin, c’est le fil rouge de ma vie. Il a préexisté à mon métier.» Pour Bernard Verdon, c’est juste une autre facette de sa personnalité. «Comme on regroupe sur un chantier une famille d’ouvriers et de compétences, il y a dans l’humain une mosaïque d’expériences, différentes pages.»
Le chef de projet du SIPaL prendra sa retraite dans deux ans. «J’ai eu beaucoup de chance d’avoir été chargé de l’opération de la restauration du château cantonal Saint-Maire. Ça a été des années de travail et parfois de souci, mais surtout de belles pages de bonheur, à côtoyer des gens de grandes compétences, architectes, ingénieurs, archéologues, historiens, ouvriers!» Peur de l’ennui? Non, l’occasion de dessiner plus et se lancer dans de nouvelles aventures. «J’adore être en projet, pouvoir concrétiser une idée, pose Bernard Verdon. Quand on est en projet, on est vivant.»
> «Bernard Verdon. Reflets du silence». Exposition à la Grange de la Dîme, à Romainmôtier, du 26 mai au 24 juin: ve-di: 14h-17h30.
> www.bernardverdon.ch