Depuis son arrivée à la DGEP il y a un peu plus de six mois, Lionel Eperon n’a pas chômé. L’entité s’est réorganisée le 1er septembre 2018 et un gros chantier a été ouvert pour donner aux jeunes l’envie et les moyens de se lancer dans un apprentissage.
Vous passez de la promotion économique à l’enseignement postobligatoire. La transition est surprenante.
Lionel Eperon: Pas tant que ça. La première mesure du programme de législature du Conseil d’État est de revaloriser et renforcer la formation professionnelle. Je vois un lien évident entre les entreprises formatrices qui composent le tissu économique vaudois et la formation.
Contrairement à vos prédécesseurs, vous n’êtes pas enseignant…
Je ne crois pas qu’on demande au directeur général de la DGEP d’être un «super-enseignant». Il faut laisser la pédagogie et la didactique à ceux qui ont ces compétences: je pense ici aux enseignantes et enseignants qui, au quotidien, dispensent un enseignement de qualité au sein des 24 établissements du secondaire II. Je pense que mon rôle est davantage d’être un passeur d’idées, de messages et un vecteur du changement.
Vous êtes entré en fonction le 15 février dernier. Quelles ont été vos premières démarches?
Comprendre et fédérer. N’étant pas issu du monde de la formation, quoi de mieux que d’aller se former au contact du terrain? Je suis en train de visiter les 11 gymnases et 13 écoles professionnelles du canton. Cela permet de comprendre les cultures et attentes des deux types de formation. Parallèlement, je rends visite à toutes les associations économiques qui sont partenaires de la formation duale.
Et vous disiez fédérer?
J’ai souhaité rencontrer individuellement la centaine de collaborateurs de la centrale de la DGEP. Le but était de les connaître, ainsi que leur parcours, leurs aspirations et surtout leur rôle au sein de la structure. Je me suis rendu compte que j’ai des collaborateurs de très grande valeur, qui sont des experts dans leur domaine et qui sont parfaitement complémentaires avec mon parcours. Mais j’ai aussi constaté que la DGEP avait une logique assez segmentée, les choses étaient peu transverses. Pour pouvoir être en mesure de comprendre à 360°, il faut pouvoir induire de nouvelles logiques de collaboration.
Au début de l’été, vous avez annoncé une réorganisation de la DGEP. Pourquoi?
À la demande de la cheffe de département, Cesla Amarelle, j’ai voulu rendre plus visibles les trois filières de formation: professionnelle, gymnasiale et l’école de la transition (lire encadré). Dans l’ancien organigramme, on ne les voyait pas. Ce qui relevait de la formation professionnelle était par exemple réparti entre les anciennes divisions de l’enseignement et de l’apprentissage, deux entités distinctes. Je ne comprenais pas cette séparation. Maintenant chaque établissement peut se raccrocher à une structure de la centrale de la DGEP, qui lui est d’une certaine façon dédiée.
Le but n’est pas de déshabiller Paul pour habiller Jean; on met la formation professionnelle et l’enseignement gymnasial sur un pied d’égalité, tant en termes de lisibilité que des moyens. C’est un choix stratégique et il est assumé politiquement.
Qu’est-ce qui va changer pour les collaborateurs de la DGEP?
Relativement peu de choses. Le plus grand changement, c’est le nouvel Office de la formation professionnelle et continue (OFPC). Nous devons travailler sur un objectif commun: quels sont nos principales missions et nos principaux processus? Comment peut-on mieux collaborer? On se laisse quelques mois pour faire des ajustements.
Qu’est-ce que qui va changer pour les enseignants et les établissements?
Rien pour les enseignants. On ne touche pas à leur mission de service public, assurément l’une des plus nobles d’un État démocratique. Par contre, nous ouvrons un gros chantier sur les principes de collaboration entre la centrale de la DGEP et les directions d’établissements. J’ai trop régulièrement entendu dire que la DGEP c’est Saint-Martin 24 et 26, nos bâtiments. Non, la DGEP c’est nous, tous ensemble: la centrale, les établissements et les collaborateurs!
Nous avons besoin des compétences des directions d’établissements pour construire et mettre en œuvre, conjointement, les décisions. J’ai envie de leur donner la marge de manœuvre nécessaire. Nous travaillons sur la gestion des ressources humaines et la relève, une gestion administrative simplifiée – on a, à mon sens, beaucoup de directives qui brident l’autonomie de gestion par les établissements –, une réforme informatique et de nouveaux processus financiers.
Lors de sa conférence de presse de la rentrée, le DFJC a annoncé vouloir renforcer la formation professionnelle. Comment allez-vous le faire?
Il faut d’abord renforcer l’attractivité de l’apprentissage. Aujourd’hui, 43% des jeunes qui sortent de l’enseignement obligatoire vont au gymnase, que ce soit en école de maturité, de culture générale ou de commerce. Seuls 20% des élèves s’orientent directement en formation professionnelle. Les cantons de Vaud et Genève sont en décalage sur ce point par rapport au reste de la Suisse.
Or le CFC et l’attestation fédérale de formation professionnelle (AFP) sont des sésames vers tous les possibles. Ils permettent l’insertion socio-professionnelle la plus rapide. L’objectif est d’arriver à ce que les jeunes attirés par la filière professionnelle n’attendent plus 19 ans, comme c’est le cas maintenant, pour entrer en apprentissage. Nous devons valoriser la formation professionnelle le plus en amont possible, pour qu’elle soit un choix tout aussi intéressant que les filières académiques.
Le nombre de places d’apprentissage est aussi une limite. Comment convaincrez-vous les entreprises de former des jeunes?
Il faut réaliser que dans le canton de Vaud, 80% des entreprises formatrices ont moins de cinq collaborateurs et 90% des PME moins de dix collaborateurs. Former un apprenti représente un effort indéniable. Et les démarches administratives sont de plus en plus lourdes. Ce n’est pas le fait de l’État de Vaud. Les ordonnances de formation définies par la Confédération deviennent de plus en plus techniques. Nous devons, à cet égard, user de notre poids auprès des instances fédérales.
Il nous faut simplifier les procédures en aidant les PME, par exemple dans le recrutement des apprentis et apprenties et en facilitant leurs démarches, notamment pour se regrouper en réseaux. On y travaille avec les associations économiques.
Un autre problème, c’est la rupture de contrat en cours d’apprentissage et les échecs. Comment lutter contre?
Il y a 27% de ruptures de contrats dans le canton, c’est plus que la moyenne suisse. On sait qu’on peut mieux faire. Par contre, le taux de réentrée est de 78%. Les ruptures de contrats n’induisent donc pas une sortie du système de formation professionnelle.
Cela dit, le but est d’anticiper au maximum la détection des problèmes pour éviter ces ruptures: en cas de difficultés dans la relation employeur-apprenti, par exemple, il s’agit d’aiguiller les cas vers un conseiller en orientation. Un des gros enjeux est de renforcer le réseau des commissaires professionnels et conseillers aux apprentis. Pour l’heure, on a un taux d’encadrement de un pour 800. Il est nécessaire de faire mieux ces prochaines années.
Et concernant les échecs?
Il faut aussi diminuer leur nombre. On a 10% d’échecs à la fin du cursus de trois ou quatre ans. C’est beaucoup. Selon les branches, ça va de 0 à 48%! Parfois, c’est la pratique qui pêche. Dans d’autres cas, les apprentis échouent à la partie théorique. Il nous faut mieux comprendre ces réalités pour pouvoir infléchir ces résultats. C’est l’objectif de la démarche «SUCCES» actuellement en cours au sein de la DGEP.
Ce qui nous paraît fondamental dans la fixation des exigences de formation, c’est que les jeunes utilisent leur temps à développer des compétences qui leur permettront de s’adapter, quelles que soient les exigences techniques ou pratiques qui vont fortement évoluer avec le monde numérique: culture générale, créativité, esprit critique, travail en réseaux, goût de prendre des risques. Et ne pas considérer l’échec comme un échec en tant que tel, mais comme un essai qui n’a pas marché, pour mieux rebondir.