Ce soir-là, la maternité du CHUV est calme. Le couloir blanc est vide et silencieux. Aux extrémités, une porte conduit au bloc opératoire où sont pratiquées les césariennes, une autre à l’unité de provocation. Deux patientes sur le point de mettre leur bébé au monde sont arrivées un peu plus tôt dans la soirée. Elles ont été accueillies et installées dans deux des six salles d’accouchement. Benjamin Gonod, grand et fin jeune homme souriant, a pris sa garde à 19h30. Elle durera jusqu’au lendemain matin, 7h45.
Après avoir reçu ses dossiers, il a pu faire connaissance avec la future maman dont il s’occupera en début de soirée. Le but de cette prise de contact est de mettre le couple à l’aise. Hasard de la maternité, Benjamin Gonod les avait déjà suivis un petit moment lors de la naissance de leur premier enfant. Au CHUV, il arrive de revoir des familles pour plusieurs naissances successives. «Il y a tellement de moments forts dans ce métier! Mais quand j’accouche une femme de son deuxième ou troisième enfant, c’est toujours un plaisir! On connaît toute la fratrie. Et la présentation avec les parents est facile», raconte-t-il. Ce soir, la situation est un peu plus compliquée, car le seul anesthésiste est en salle d’opération pour une césarienne et ne pourra peut-être pas se libérer à temps pour la péridurale. L’homme sage-femme doit garder son calme et composer avec ce paramètre incertain.
Le mariage de la technique et de la psychologie
«Ce que j’aime dans mon métier de sage-femme, c’est l’aspect technique de l’accouchement associé au côté relationnel», explique Benjamin Gonod. Après des débuts dans le domaine agricole, il se lance dans une formation d’infirmier, sur les conseils de ses profs, qui le verraient bien dans le secteur des soins. Il comprend qu’il a trouvé sa voie. Durant un stage humanitaire de six semaines au Vietnam, il est marqué par ses passages en salle d’accouchement. Il travaille ensuite un an et demi avec des prématurés dans un service de néonatologie, et tente sa chance à la Haute École de santé Vaud (HESAV), où il est admis pour la formation de sage-femme, sur deux ans. À mi-chemin entre les soins aigus et la psychologie, le jeune homme a trouvé un «bon compromis», qu’il n’abandonnerait pour rien au monde.
Chaque prise en charge de future maman est unique. Parfois l’accouchement est prévu et c’est un peu comme un rendez-vous. Il y a les deuxièmes ou troisièmes enfants qui peuvent naître en quelques minutes après l’arrivée à la maternité, les jumeaux, les césariennes. Pour une première naissance, le travail peut durer dix heures ou plus, durant lesquelles le soignant fera tout pour que la maman se détende. «Il faut expliquer au fur et à mesure ce qui se passe pour que la personne comprenne. Nous sommes dans un service d’urgence, on ne sait jamais ce qui va se passer. ll n’y a pas de routine de travail, c’est agréable!», relève le soignant.
Pendant sa garde la plus chargée, treize bébés sont nés entre minuit et 7h, se souvient-il devant le grand écran de monitoring de la salle de garde. Des courbes lumineuses indiquent sur un écran noir le rythme cardiaque fœtal dans toutes les salles d’accouchement occupées. Les problèmes peuvent être ainsi rapidement détectés. Un rythme qui baisse peut par exemple indiquer que le bébé est en souffrance.
Voir les gens repartir avec le sourire
Vers 21h, Benjamin Gonod disparaît pour aller prendre le rythme du bébé dont il s’occupe et voir avec la maman si ses contractions se rapprochent. Une demi-heure plus tard, on va et on vient avec fébrilité dans le couloir. Une petite lampe clignote, au plafond devant la porte de la salle d’accouchement 2. L’homme sage-femme ressort et s’affaire. L’accouchement est pour tout de suite. «Ça va être intense!», glisse-t-il à une collègue. À 21h52, des cris de nouveau-né se font entendre dans le couloir. Une petite fille est née.
«J’ai de la chance. C’est génial d’être à l’hôpital et de voir les gens venir et repartir avec le sourire. C’est une épreuve difficile pour les futures mamans, mais c’est un événement majoritairement heureux», souligne Benjamin Gonod. Pour le soignant, l’émotion est présente dans ces moments, mais il a la responsabilité de rester vigilant au cas où des complications surviendraient.
Lors d’une naissance, deux sages-femmes sont présentes, une pour la maman et une pour le bébé. Les couples restent deux heures en salle d’accouchement après l’arrivée du bébé, car durant ce laps de temps des saignements peuvent survenir chez la mère. Le bébé est mesuré, pesé, observé sous toutes les coutures, des orteils à la tête pour s’assurer qu’il n’y a pas de problème. Mais d'abord, en tout premier, le bébé est posé tout nu sur sa maman, avant que le cordon ne soit coupé. «La priorité, c’est l’attachement! Il faut laisser les parents et le petit faire connaissance tous les trois», explique Benjamin Gonod. Les familles sont ensuite transférées dans l’unité post-partum ou à l’hôtel des patients.
Un pied dans l’inconnu
Le jeune homme a conscience d’accompagner des couples dans un moment fort, qui marquera un tournant dans leur vie. «Les mamans ont parfois peur d’accoucher, peur de la douleur ou de ne pas se reconnaître. Une femme qui accouche pour la première fois met un pied dans l’inconnu. C’est un moment très intense», souligne Benjamin Gonod, qui doit veiller à rester dans l’empathie.
Les deux petits bémols qu’il voit à sa pratique, c’est la paperasse. «Il faut beaucoup de clics pour un accouchement», explique-t-il. Et le manque de collègues masculins. Actuellement, ils sont deux en salle d’accouchement au CHUV. Mais il savait à quoi s’attendre s’engageant dans cette voie: durant sa formation, il étaient deux garçons.
Chaque nuit, cinq à six sages-femmes veillent au CHUV. Il est 23h, l’équipe se retrouve dans la salle de pause. C’est l’heure de manger pour celles et ceux qui vont travailler encore neuf heures. On réchauffe un plateau-repas au micro-ondes, on picore quelques cacahuètes sur une assiette au milieu de la table, on discute. L’ambiance est chaleureuse.
Cette même nuit, Benjamin Gonod accouchera encore une autre femme, et suivra une future maman en travail. Une grosse nuit, somme toute.
> Dernier article paru de la rubrique: à la rencontre d'une conservatrice de manuscrits (La Gazette n°289, octobre 2018)