Étonnamment, Valérie Despont Graf parle peu à ses collègues de son engagement. «Par pudeur» dit-elle. Peut-être aussi parce qu’elle le fait déjà tellement autour d’elle, sans arrêt à la recherche de parrains et marraines pour de jeunes migrants, de chambres ou d’appartements où ils pourraient loger et de places de stage ou d’apprentissage qu’ils pourraient occuper.
Depuis bientôt deux ans, Valérie Despont Graf consacre une dizaine d’heures par semaine à l’Action-parrainage. Lancé en 2016 par les Églises vaudoises, la communauté juive et des bénévoles, ce mouvement aujourd’hui laïque cherche à créer du lien entre des jeunes en exil et des personnes qui habitent en Suisse. «Le parrainage est quelque chose d’assez léger. L’idée est d’avoir une relation suivie et rencontrer le jeune une fois par semaine ou toutes les deux semaines», explique Valérie Despont Graf. La famille de parrainage n’héberge pas le jeune. «Chacun choisit sa façon de faire, explique l’enseignante. On peut aller se balader en montagne, aider pour les devoirs, aller au cinéma. L’idée est d’intégrer la personne dans son quotidien.»
Passionnée par l’humain
Il y a un lien évident entre son métier et son engagement: les adolescents. «J’adore travailler avec eux, explique Valérie Despont Graf. L’humain m’intéresse énormément. Et j’aime améliorer le vivre ensemble.» Elle découvre cet intérêt à 30 ans, durant sa formation d’enseignante. «J’ai eu un vrai coup de foudre pour ce métier, que j’aime toujours après 18 ans!» Polyvalente, elle teste beaucoup de choses: elle donne des cours pour les élèves à haut potentiel, se forme sur le deuil chez l’enfant, enseigne en classes d’accueil et de raccordement, forme de futurs profs, fait du tutorat pour des élèves en difficulté.
Le thème de la migration arrive par la bande. Elle lit en janvier 2017 un article de 24 heures sur le parrainage de jeunes migrants mineurs non accompagnés (MNA) et se porte volontaire. La maman de trois adolescents – une fille de 18 ans et deux garçons de 16 et 11 ans – est touchée par les récits qu’elle lit. «J’ai pensé que si mes enfants se trouvaient à l’autre bout du monde, j’aimerais qu’une famille et une maman prennent soin d’eux.»
C’est ainsi que Mostafa, jeune Afghan de 17 ans et demi entre dans la vie de la famille, avec la dureté de son parcours, sa douceur et son sourire. La première rencontre a lieu au foyer de l’Établissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM), en présence d’une représentante de l’Action-parrainages et d’un éducateur. « Il y a tout de suite eu un lien très chouette, se souvient Valérie Despont Graf. On a eu envie de le revoir. Lui nous a trouvé un air chaleureux.»
Pour sa première venue à la maison, Mostafa joue aux cartes avec les ados de la famille. Ne pas parler français n’était pas un problème, s’amuse Valérie Despont Graf. Une partie de foot au parc et la glace était brisée. Petit à petit, Mostafa vient une fois par semaine, puis les week-ends dans le chalet familial, puis tous les jours. «J’ai toujours voulu quatre enfants. Mostafa est comme mon fils. Et mes enfants sont très attachés à lui», dit tout naturellement l’enseignante. L’un de ses fils dort une nuit par semaine chez son frère d’adoption.
Un exercice de haute voltige
Portée par l’expérience, Valérie Despont Graf décide de donner de son temps pour faire se rencontrer des jeunes et des familles. Les parrains et marraines manquent; beaucoup de jeunes sont sur liste d'attente. Elle rencontre le jeune et la famille séparément pendant une heure, pour les connaître et savoir quelles sont leurs motivations. Quand elle pense avoir une «paire», elle organise une rencontre. «La mise en relation est toujours un exercice de haute voltige. Parfois on a de bonnes intuitions.»
Pour les jeunes, avoir une famille de parrainage est un gros changement. «C’est souvent la première fois qu’ils entrent chez des Suisses. Ils s’engagent énormément! Ils ont envie de plaire, d’être aidés et soutenus», raconte Valérie Despont Graf. «Quasiment tous me disent: "j’ai envie de compter pour quelqu’un". Ils ont envie que quelqu’un leur souhaite bonne nuit ou bon stage si c’est leur premier jour.»
Les familles de parrainage sont aussi une clef pour améliorer le français. La langue est un élément vital pour leurs démarches administratives, se présenter à un patron ou s’inscrire pour obtenir un appartement, rappelle l’enseignante. Une fois majeurs – c’est le cas de beaucoup des jeunes arrivés avec la crise migratoire de 2015 –, ils doivent se débrouiller seuls et sont souvent perdus. «Quand ils ont une famille de parrainage, ils finissent tous par trouver un apprentissage. C’est comme ça, le réseau est important en Suisse», souligne Valérie Despont Graf. L’actuel employeur de son filleul Mostafa est un ami d’enfance, chez qui elle lui avait obtenu un stage. Par son travail, qui a été apprécié, il a décroché une formation, dit-elle avec fierté.
«On change leur vie»
Une fois le contact noué, Valérie Despont Graf laisse les binômes vivre leur vie. Elle est a disposition pour les conseils, et prend des nouvelles tous les six mois. 80% des relations se passent bien, note-t-elle. Comme pour toute relation humaine, des fois le lien ne prend pas.
Valérie Despont Graf est ravie de son engagement, mais ne chôme pas. Elle rencontre des familles et des jeunes quasiment tous les soirs. «Ça m’apporte énormément, c’est extrêmement gratifiant. Il y a tellement de reconnaissance de la part de ces jeunes. Pour eux, tout est incroyable, on a changé leur vie!» Le don se fait dans les deux sens et l'enseignante dit recevoir beaucoup. «Il y a énormément de jeunes dans les rues. J’essaie de faire en sorte que des populations qui se croisent se rencontrent.» Car trois quarts de ces jeunes vont rester en Suisse et s’intégrer. Pour Valérie Despont Graf, aucun doute, la relation est vouée à durer: «Je me réjouis d’être un jour la grand-maman des enfants de Mostafa!» (mm)