Le 1er janvier 1969, naissait l’EFPL. Le directeur de l’époque, Maurice Cosandey (décédé en décembre 2018) a réussi à convaincre le gouvernement suisse de donner une envergure fédérale à son école. Depuis, son visage a bien changé. En 50 ans, l’effectif est passé de 1000 étudiants à plus de 11’000. À l’occasion de cet anniversaire, l’actuel président revient sur les liens qui unissent l’EPFL au canton qui l’héberge.
Depuis 50 ans que vous y êtes établi, quelles sont les relations de l’EPFL avec le canton de Vaud?
Martin Vetterli: Bonnes, car nous payons nos impôts! (Rire) Plaisanteries mises à part, nous apprécions énormément notre emplacement et la collaboration avec notre voisine, l’Université de Lausanne. Nous avons le plus beau campus au monde et sommes très heureux d’être ici. C’est hyper attractif et la qualité de vie est excellente. Pour le campus, et en termes de développement économique, il y a encore du potentiel. Nous sommes en discussion permanente avec le Canton pour les infrastructures, agrandir le campus, ou le parc de l’innovation.
L’EPFL rend le canton de Vaud attractif: elle fournit de la main d’œuvre très qualifiée et est un pôle d’excellence dans les technologies de pointe. Comment assumez-vous ce rôle?
C’est une osmose, a two-way street. Former des talents est très important pour nous. Le Canton de Vaud doit de son côté s’assurer qu’une partie d’entre eux restent. Je pense que cela fait partie des conditions d’attractivité. Parfois, certains diplômés ou doctorants de talent peinent à obtenir un permis. Or, si l’on veut rester dans la compétition, il y a des questions à se poser. Ceci dit, nous avons une région extrêmement attractive. L’EPFL fait partie du tissu historique de celle-ci. Nous y sommes très ancrés et notre cœur est ici.
Vous affichez des ambitions de croissance, notamment pour le parc de l’innovation. Pourquoi?
Nous avons un intérêt à continuer de grandir. Le parc de l’innovation compte 150 startups et entreprises. 250 nous iraient aussi! Il faut réfléchir au renouvellement du tissu économique. Dans le canton de Vaud, de superbes entreprises, comme Nestlé ou Bobst, sont des héritages de l’industrialisation du canton, à la fin du 19e siècle. Pour qu’une ou deux entreprises de cette ampleur émergent aujourd’hui, il faut suffisamment de startups. Actuellement, nous avons de nouvelles entreprises à croissance rapide. C’est bien. Mais elles peinent à trouver des financements et se font racheter par des entreprises étrangères. Il ne faut pas que leurs technologies et leurs propriétés intellectuelles nous échappent.
Comment l’empêcher?
Nous devons travailler tous ensemble – nous, la politique, l’État et les acteurs économiques comme la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI) – à rendre la région attractive pour l’investissement de capitaux. Et il y a encore des progrès à faire. Le nœud du problème, c’est le financement. Nous avons besoin de bonnes conditions cadres, par exemple, et je l’ai dit précédemment, de donner des permis de travail aux talents, qu’ils aient créé une start-up ou fassent leur thèse.
Le canton de Vaud héberge une concentration remarquable d’institutions de formation réputées: l’EPFL, l’UNIL, le CHUV, l’IMD pour le management, la HEIG-VD… Comment vivez-vous cette cohabitation?
Nous avons d’excellentes relations avec ces institutions. Ce biotope est très dynamique! Nous avons des échanges avec l’Université de Lausanne depuis la création de l’EPFL. Depuis que nous avons lancé les sciences de la vie dans les années 2000, nous échangeons des enseignements. C’est une osmose continuelle et d’excellente qualité. Et nous avons des projets très novateurs avec l’Université de Lausanne. Par exemple, nous construisons un campus durable. Nous avons des savoir-faire complémentaires et la durabilité est très interdisciplinaire. Elle mêle les sciences sociales, l’humain, l’économie, le management. C’est donc très important d’être ensemble.
D’autres collaborations?
Nous lancerons aussi un projet avec l’IMD et la Faculté des Hautes Études commerciales (HEC) autour de la notion de durabilité. C’est un des grands challenges de notre société à l’échelle mondiale, pas juste en Suisse. Avec le CHUV, nous avons le projet AGORA, autour de l’oncologie translationnelle (ndlr: qui essaie de transformer les découvertes scientifiques en traitements médicaux).
Depuis les années 2000, l’arc lémanique s’est profilé comme une health valley, spécialisée dans les technologies médicales. Quelle place y occupez-vous?
Dans le biomédical, le potentiel d’exploration et de recherche est extrêmement intéressant. C’est une tendance claire. Et dans la société suisse, qui a des moyens, ce n’est pas surprenant que la santé monte en puissance. Pour prendre un exemple, les recherches conjointes du professeur Grégoire Courtine de l’EPFL et la neurochirurgienne du CHUV Jocelyne Bloch, qui visent à faire remarcher des personnes paraplégiques, montrent bien qu’être ensemble sur une toute petite région présente de l’intérêt.
Vous fêtez cette année vos 50 ans. Que souhaitez-vous développer pour la suite?
Nous mettons l’accent sur la digitalisation. Les recherches dans les sciences des données et dans l’intelligence artificielle se transforment. J’appellerais aussi ça la «confiance numérique». La question se pose avec les services en ligne, l’identité numérique. Des transformations fondamentales pour la société sont en jeu; il faut les accompagner dans la recherche et la formation. En tant qu’institut de technologie, nous avons une certaine responsabilité; nous lançons par exemple avec l’EPF de Zurich un master en cybersécurité. Il manque des gens formés au meilleur niveau.
Pourriez-vous devenir acteur dans le domaine du vote électronique?
On peut mieux faire. Nous n’avons pas été assez présents dans les discussions. Avec l’EPF de Zurich, nous voulons bâtir notre présence à Berne. Devenir une sorte de thinktank technologique auprès du gouvernement.
Quelles sont vos relations avec le Département de la formation vaudois?
Nous avons de très bons liens. Nous participons à l’enseignement digital, du primaire au gymnase. En fait, il faudrait dire de la pensée computationnelle, qui permet aux enfants d’appréhender comment fonctionne un moteur de recherches sur internet, par exemple. Le professeur Francesco Mondada, spécialiste de robotique ludique, est notamment très actif. Nous avons très à cœur d’aider la formation publique. C’est un rôle important, auquel nous croyons passionnément, entre autres avec le vice-président de l’EPFL, Pierre Vandergheynst. Nous trouvons une oreille attentive auprès de la conseillère d’État Cesla Amarelle. Ainsi, nos étudiants en première année seront meilleurs ! (Sourire) Nous collaborons également avec la HEP pour la formation des enseignants en informatique. Nous travaillons en osmose. (Propos recueillis par mm)
> Pour ses 50 ans, l’EPFL ouvre ses portes samedi 14 et dimanche 15 septembre 2019.
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En dates
À ses débuts en 1853, l'École spéciale de Lausanne était installée à Chauderon. Elle y reste jusqu'en 1944 | archives EPFL
1853: création de l’École spéciale de Lausanne. 11 étudiants.
1944: l’École s’installe à l’avenue de Cour, dans l’ancien Hôtel Savoy à Lausanne
1946: l’École change de nom et devient l’École polytechnique de l’Université de Lausanne (EPUL)
1969: naissance de l’EPFL, sous l’impulsion de Maurice Cosandey, son président. Environ 1000 étudiants
1977: déménagement sur le site actuel au bord du lac
1978: création du parc scientifique.
2000: Patrick Aebischer devient président. L’EPFL compte 4899 étudiants. Cet effectif va plus que doubler durant son mandat
2017: Martin Vetterli devient président. 11’700 étudiants
Source: Regards sur l’EPFL (PPUR, 2019).
Publication
Extrait du livre «Regards sur l'EFPL»: installation automatisée pour effectuer des recherches sur les malformations congénitales, le cancer et les troubles neurologiques | Catherine Leutenegger
Pour marquer son cinquantième anniversaire, l’EPFL a donné carte blanche à trois photographes pour saisir son essence. Leur travail complémentaire est rassemblé en un livre, qui a été édité en partenariat avec le Musée de l’Élysée.
La Suissesse Catherine Leutenegger s’est glissée dans les laboratoires et montre, parfois de très près, les coulisses de la recherche scientifique. Bogdan Konopka, photographe polonais décédé en mai dernier, a figé en noir et blanc les bâtiments du campus, déserts et poétiques. Le Lausannois Olivier Christinat a quant à lui saisi des moments de vie, effervescents ou studieux, au hasard de l’une de ses 40 déambulations sur place.
Pour compléter ce portrait visuel, quatre présidents y écrivent en une demi page leur regard sur l’EPFL, cette «adolescente fringante» dans les mots de Martin Vetterli.
> Regards sur l’EPFL , Presses polytechniques et universitaires romandes, 2019, 132 p., 39 fr.
> Vidéo: rencontre avec Olivier Christinat
> Vidéo: rencontre avec Catherine Leutenegger
> Vidéo: rencontre avec Bogdan Konopka