Elisabeth Thorens-Gaud est passionnée d'écriture et de voile | Wiktoria Bosc
Le cancer du sein touche une femme sur huit en Suisse. Si 1400 femmes en meurent chaque année, quasiment 90% des patientes survivent à cette maladie après cinq ans. C’est, entre autres, pour rendre cette réalité visible qu’Elisabeth Thorens-Gaud et sept autres femmes embarqueront début novembre à bord d’un catamaran de 14 mètres. Elle rallieront Le Marin en Martinique en partant des îles Canaries.
«L’idée est de donner un message d’espoir, explique Elisabeth Thorens-Gaud. Nous voulons montrer que nous sommes vivantes, et pas des survivantes!» Le but est aussi de faire connaître l’après-cancer du sein. Car une fois en rémission, quand tout semble fini, les femmes se retrouvent seules et doivent apprivoiser la peur de la rechute, présente à vie, souligne celle qui est passée par là.
«Un cadeau dans les emmerdes»
Elisabeth Thorens-Gaud a 55 ans quand son cancer est diagnostiqué, heureusement à un stade précoce. Elle enseigne la culture générale aux apprenties et apprentis en art et communication de l’ERACOM et donne des heures d’appui au Centre d’orientation et de formation professionnelle. «J’ai été bien secouée», raconte-t-elle. Durant son traitement, une de ses amies meurt de la même maladie. Elle en garde un traumatisme. «J’étais terrorisée, confie-t-elle. Quand on est touchée par la maladie, on se sent seule au monde. On a peur de la mort.» Par chance, son cancer réagit au traitement.
«Le cadeau – car il y a toujours un cadeau dans les emmerdes! – c’est que j’ai eu un appétit encore plus grand pour la vie, explique-t-elle. C’était comme si j’avais une deuxième chance. J’ai décidé de ne plus attendre pour vivre mon rêve!» Un rêve qui a jailli au moment du cancer justement: naviguer. Elle pratique cette activité depuis vingt ans avec son mari et ses deux enfants, mais l’a mise de côté ces dernières années au profit de l’écriture, une autre de ses passions.
Le rêve se précise encore: traverser l’Atlantique à la voile. Les heureux hasards s’enchaînent. Chez son oncologue, elle voit un dépliant pour des cours d’aviron, qui explique les bienfaits du sport pendant et après un traitement contre le cancer. Elle parle de son projet. Son médecin lui propose de monter un dossier pour l’adresser au Réseau Lausannois du Sein. Elle l’envoie la nuit-même.
«Dans la vie, c’est impossible d’avancer toute seule»
Elisabeth Gaud-Thorens surfe ensuite sur la vague: elle connaît une skipper, Muriel Favre. Quelques jours plus tard, elle explique son projet à Carine Clément Wiig, la spécialiste en gynécologie et obstétrique qui a opéré son cancer, elle aussi navigatrice, qui se joint à l’aventure. Elle trouve cinq coéquipières parmi ses connaissances et grâce à une annonce sur Facebook. Toutes ont été touchées par le cancer du sein et ont une expérience de la voile. Les sponsors suivent, puis le bateau. «Ma force, c’est de pouvoir fédérer les gens», explique l’enseignante qui met aussi à profit cette capacité dans son travail, pour mettre en confiance ses élèves. «En classe, j’instaure un climat harmonieux. C’est la base pour transmettre des connaissances. Dans la vie, c’est impossible d’avancer toute seule!»
Durant la traversée, qui devrait durer trois semaines, il y aura de l’inconnu. Naviguer jour et nuit, économiser l’eau douce et l’électricité, nécessaire aux instruments de navigation, s’adapter à la météo. Mais l’aventure ira au-delà. «On ne revient pas pareille d’un tel voyage», les a averties le navigateur suisse Alan Roura, qui est le parrain de l’équipage. «J’espère que cette traversée m’aidera à laisser l’épreuve du cancer derrière moi», explique Elisabeth Thorens-Gaud. La navigatrice tiendra un journal de bord de l’aventure, qui sera publié en 2020 aux éditions Favre.
Vivre ici et maintenant
L’enseignante a eu la chance de pouvoir prendre un congé non payé d’un mois et demi. Avec cette traversée comme en classe, elle a à cœur de transmettre. «Avec mes élèves, j’aime bien aborder des thèmes qui me tiennent à cœur, comme les droits humains. Je les aide à trouver leur talent, à se réaliser. Je les prends là où ils sont et je chemine avec eux», souligne-t-elle. Baptisé «r’Ose Transat», son projet veut inviter toutes les femmes touchées par le cancer du sein à oser vivre leurs rêves.
«La voile m’a beaucoup aidée, explique Elisabeth Thorens-Gaud. Sur le bateau, on est dans l’instant présent. On oublie tout. On apprend à vivre dans l’incertitude avec d’autres personnes. Bien sûr, on contrôle certains paramètres. Mais s’il y a un grain, une avarie ou si la voile se déchire, il faut garder son sang-froid et réagir au mieux. On ne sait pas de quoi demain sera fait.» L’argent récolté qui n’aura pas été dépensé pour la traversée servira à financer des stages de voile pour des femmes atteintes par le cancer. (mm)
> www.rosetransat.com
> Dernier portrait paru: au galop, dans les traces de Mylène Burkhardt (septembre 2019)
Bio express
L'équipage r'Ose Transat au complet | Wiktoria Bosc
1961: naissance à Genève
août 1986: déménage à Boston avec son mari, suit un cours de 3e cycle en administration et management à Harvard
1985 et 1987: naissance de sa fille et de son fils
1991: devient enseignante à Lausanne
2009: rédige un ouvrage sur l’homosexualité des adolescents, un domaine encore peu documenté pour les enseignants et parents d’élèves. Se découvre une passion pour l’écriture.
2011- 2013: attachée aux questions d’homophobie et de diversité pour les cantons de Vaud et Genève
2014: enseignante à 52% à l’ERACOM et au COFOP
13 octobre 2016: apprend qu’elle a un cancer du sein
5 novembre 2019: départ de sa transat avec des femmes touchées par le cancer du sein. Durée estimée de la traversée: 21 jours