12 minutes de lecturePublié le 18 mars 2025

«Tout a changé et rien n’a changé»

Katherine Giddey, 63 ans, établissement primaire de Cossonay Veyron-Venoge

Depuis 1982, son brevet d’enseignante primaire en poche, Katherine Giddey a arpenté le chemin de l’école aux quatre coins du canton. Au sortir de la Nouvelle École normale, elle fut tout d’abord envoyée pour un an dans l’école d’un village des bords du lac de Neuchâtel. «J’ai vécu cette première année dans une paix royale, mais aussi dans une grande solitude. Je crois même n’avoir jamais croisé le conseiller pédagogique», sourit l’enseignante.

Entre les rives du lac de Neuchâtel, les hauteurs de la Riviera et le pied du Jura, Katherine Giddey a le plus souvent pu travailler dans de petits collèges de village. «Forcément, il y a des inconvénients, mais ce n’est rien comparé aux avantages, notamment la proximité avec les enfants, les collègues et les parents, avec lesquels on crée des liens précieux.»

Voici huit ans, Katherine Giddey a rejoint le collège de Cuarnens, rattaché à l’établissement primaire de Cossonay Veyron-Venoge, où elle enseigne aux élèves des classes 3P et 4P, soit une moyenne d’une vingtaine d’élèves par classe, âgés de six à huit ans.

Katherine Giddey pose assise dans sa salle de classe, jambes allongées au sol devant un circuit de petit train en bois. Elle tient la locomotive et un wagon dans ses mains.Katherine Giddey, dans sa classe de Cuarnens. Photo | ARC-Sieber

Construire des classes avec des plots en bois

Pourquoi a-t-elle choisi ce métier? L’enseignante sourit: «L’envie d’enseigner me poursuit depuis ma plus tendre enfance. Vers cinq ans, j’avais des plots en bois. Je construisais des classes avec, que j’aménageais ensuite de manière que chacun y trouve une place assise… À la fin du gymnase, je savais que je n’avais aucune envie d’aller brasser des idées à l’université.» Elle préfère en effet l’École normale où elle rencontre des enseignants qui l’ont durablement marquée : «Ils avaient en commun la clarté des exigences et le maniement de l’humour.» Elle en ressort deux ans plus tard, bardée de distinctions, mais en ayant l’impression de ne rien savoir. «Je me revois arriver dans ma première classe, dans un village perdu… En me demandant bien ce que j’allais faire!» se souvient-elle en riant.

Enseigner, c’est comme partir en mer

Après 40 ans d’enseignement, comment ressent-elle l’évolution de son métier? «Tout a changé et rien n’a changé, constate Katherine Giddey. En tant qu’enseignante, ma mission est toujours la même. Tous les deux ans, j’embarque avec un nouvel équipage sur un bateau en constante évolution. Ensemble, nous prenons la mer et, quels que soient les courants ou la météo, nous tentons d’arriver à bon port deux ans plus tard. Et les premières semaines restent une source de stress, même après toutes ces années d’expérience: «Inlassablement, je me demande si je vais y arriver. Et chaque fois, il y a une espèce de miracle, après plusieurs semaines, ça y est, la mayonnaise prend! Les enfants commencent à comprendre ce que j’attends d’eux, et moi, je comprends comment ils fonctionnent. ça, c’est un moment de pur bonheur. Voilà pourquoi, sur le fond, rien n’a changé. Les enfants et les programmes changent, mais pas notre mission première.»

«Une incroyable complexité administrative»

Depuis 1982, l’année de son brevet, Katherine Giddey ne compte plus les changements. «Il y a eu des progrès certains. À commencer par la formation. Je suis épatée de voir les jeunes enseignants, leur assurance, mais également leur capacité à se remettre en question, ce que je n’avais pas à l’époque.» Revers de la médaille? «Peut-être que la notion d’engagement n’est plus une valeur cardinale…» regrette-t-elle.

Grenouille en peluche, un peu uséeCuarnens, la peluche "Mouche". Photo | ARC Sieber

Réforme EVM, arrivée de la photocopieuse en salle des maîtres, déferlement du numérique dans les classes, différenciation, école à visée inclusive: quelle évolution en quelques décennies! Parmi les changements, l’enseignante de Cuarnens pointe du doigt «l’incroyable complexité administrative» à laquelle elle et ses collègues sont désormais confrontés: «Aujourd’hui, il faut justifier chaque centime dépensé, suivre des formations imposées, mais d’un niveau inégal, s’adapter aux nouvelles procédures d’acquisition de matériel, ou encore gérer le droit à l’image des élèves. Par le passé, on a connu des excès et il a fallu réglementer. C’est un retour de boomerang. Mais qu’est-ce que c’est compliqué! Et si, prises séparément, ces mesures se justifient amplement, leur addition finit par peser lourdement sur notre travail.» Mais ce qu’elle regrette surtout, c’est la fin des méthodologies sur papier: «Tout passe désormais par l’ordinateur. C’est peut-être juste une question de génération, mais je trouve que cela nous fait perdre la vue d’ensemble.»
À l’inverse, l’arrivée du plan d’étude romand est applaudie: «C’est un document précieux, d’une richesse immense, qui me permet en tant qu’enseignante de savoir où je vais tout en me laissant beaucoup de liberté. Et n’étant pas obligée de toujours prendre le même chemin, cela m’évite de me lasser d’une volée à l’autre.»

Discipline: un retour de balancier

Quant à la discipline, elle demeure une question sensible: «Depuis le temps, j’ai vu passer plusieurs vagues, pour ne pas dire modes, dont la pédagogie positive où l’on n’osait plus dire non à un élève, où tout était discuté et négocié. Le résultat n’a pas toujours été heureux: les enfants se sont souvent retrouvés sans balises, de nombreux enseignants et parents en ont également souffert. Depuis, il y a eu un retour de balancier. On discute, on explique, mais si besoin, il peut arriver que l’on sanctionne, en sensibilisant les élèves aux conséquences que peuvent avoir certains actes. On revient à quelque chose de plus équilibré.»
Katherine Giddey constate également que le regard sur son métier a évolué : «L’enseignant est descendu de son estrade. Jadis, la position surplombante du régent était acquise une fois pour toutes. Aujourd’hui, il faut être à la hauteur de son titre d’enseignant en gagnant la confiance des enfants et des parents, en allant à leur rencontre pour expliquer et assurer une vraie collaboration. Et ça, c’est un travail de tous les jours.»

Virginie Berger, devant son tableau noir.Photo | ARC-Sieber

« L’enseignement a toujours été une évidence pour moi»

Virginie Berger, 30 ans, établissement Léon-Michaud à Yverdon-les-Bains

«Ce n’est pas forcément très original, mais aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours voulu être enseignante ou sage-femme… Finalement, à la fin de mes années de gymnase, j’ai choisi l’enseignement, car j’aime le contact et j’adore transmettre, surtout des matières qui me passionnent personnellement. Par-dessus tout, j’aime la sensation de voir progresser les élèves. Ce métier a donc toujours été une évidence pour moi.»

Le français et l’histoire dans la peau

À 30 ans, Virginie Berger entame sa troisième année d’enseignement au sein de l’établissement Léon-Michaud, à Yverdon-les-Bains. En fonction des classes, elle y donne des cours de français, d’Histoire, de géographie et de formation générale à une quarantaine d’élèves, répartis entre une classe de 11e VG, un groupe de 11e année de français VG niveau 1 et un groupe de français en 10 VP. «À la base, il y a vraiment une passion personnelle pour la littérature et l’Histoire que j’ai cultivée tout au long de mon parcours scolaire.»
Pour la jeune prof, le français et la littérature constituent une merveilleuse échappatoire qui la pousse à les enseigner à ses élèves «comme un outil leur permettant de se libérer d’un quotidien parfois pesant.»

Le stylet tenu dans une main devant un écran blanc.Le stylet pour écran, objet du quotidien de Virginie Berger. Photo | ARC-Sieber

Se questionner à travers la littérature et l’Histoire

Si Virginie Berger constate que ces derniers sont moyennement motivés par la lecture des classiques, ils mordent plus facilement à la littérature contemporaine comme avec Petit Pays de Gaël Faye, qui évoque frontalement le génocide rwandais. «Nos élèves étant confrontés, par le biais des réseaux sociaux, à des choses abominables, j’ai parfois l’impression que leur sensibilité s’est amenuisée. Or ce genre d’ouvrage leur permet de se questionner en se confrontant à une certaine réalité de l’humanité et à l’importance de la transmission.»

À l’inverse, l’enseignement du français peut s’avérer plus compliqué: «Ils saisissent moins l’utilité de l’apprentissage de la grammaire ou de la conjugaison, mais cela tient surtout au fait qu’ils écrivent de plus en plus à l’aide d’un correcteur orthographique.»

Enseignant l’Histoire, de l’Antiquité à l’époque contemporaine, Virginie Berger constate que cette branche est également très enrichissante pour les élèves: «Nous faisons l’effort de lier le passé aux enjeux actuels et ils sentent que cela peut éclairer des événements du moment présent, voire le futur. C’est pourquoi il faut sans cesse réactualiser nos cours et les ancrer dans la réalité des adolescents. Parfois ça marche, parfois pas.»

Le poids de la charge mentale

Le métier d’enseignant correspond-il toujours à l’image qu’elle s’en faisait?  Même s’il n’y a que trois ans qu’elle est passée de l’autre côté du miroir, Virginie Berger reconnaît volontiers que la perspective est différente. «Je n’imaginais pas forcément les difficultés de cette profession, mais c’est tout aussi vrai de ses bonheurs.» Parmi les difficultés du métier, elle pointe l’école à visée inclusive: «C’est un projet magnifique. Du moins, sur le papier. Car dans le quotidien, c’est un sacré défi pour lequel nous manquons parfois de moyens.» 
Une autre difficulté que la jeune enseignante ressent fortement? «La charge mentale. C’est un métier qui est extrêmement pesant – administrativement, socialement ou émotionnellement –, et qui nous accorde peu de droit à l’erreur. Chaque jour, nous faisons face à un public extrêmement sévère et jugeant, comme peuvent l’être les adolescents. Nous devons constamment être à cent pour cent de nos capacités.»

Une multitude de bonheurs simples

Si ces contraintes peuvent être pesantes, elles ne font cependant pas le poids face aux joies multiples que peut procurer l’exercice de l’enseignement: «Un bonheur simple, quotidien, est le lien qui se construit avec les élèves. Quel bonheur de ressentir leur envie d’apprendre, de vivre avec eux la joie de la réussite. Accompagner les adolescents dans cette période de vie charnière, mais si compliquée, est beau à vivre.»

Un autre aspect peu connu du métier est la collaboration entre enseignants. «La salle des maîtres est un lieu réconfortant, presque vital, après des journées parfois éreintantes et émotionnellement chargées. Parce qu’on y trouve le soutien des collègues qui vivent la même chose, qui deviennent des amis, et auprès de qui on trouve toujours la matière pour s’améliorer, pour proposer des choses toujours mieux adaptées aux élèves.»

Plus souvent critiqués que soutenus

Comment Virginie Berger ressent-elle le regard porté sur les enseignants? «À part notre entourage proche, qui est témoin de notre réalité professionnelle et de notre investissement personnel, nous sommes plus souvent critiqués que soutenus. Cela étant, et contrairement à ce que l’on entend souvent, la relation avec les parents est assez équilibrée. Comme partout, il y a de tout. Si certains parents peuvent faire preuve d’un peu trop d’ingérence, d’autres sont au contraire totalement absents et c’est tout aussi regrettable… Et puis, heureusement, il y a une majorité de parents avec qui cela se passe tout à fait bien.»

L'enseignant Gil Gertsch souriant devant son tableau noir.Photo | ARC-Sieber

«Le travail avec les enfants est vraiment très gratifiant»

Gil Gertsch, 24 ans, établissement de Cossonay Veyron-Venoge

À 24 ans, Gil Gertsch attaque sa deuxième année dans l’enseignement. Maître généraliste, il partage ses heures entre deux classes de 5P et 6P, soit trois jours par semaine à Mont-la-Ville et deux jours à Cossonay-Ville. Au total, 41 élèves entre 8 et 10 ans.

Très tôt, le jeune homme prend soin de son petit frère, mais aussi des enfants des amis de ses parents. «Ce que j’ai toujours fait avec plaisir. De là à dire que ma vocation pour l’enseignement était une évidence… »  S’il confesse que ce sont des problèmes de hanche qui l’ont empêché d’enseigner le sport pour les plus grands, ce qu’il souhaite au départ, il dit s’être tourné sans hésitation vers la voie générale. «J’apprécie beaucoup le travail avec des enfants de cet âge. Je ne sais pas trop s’il s’agit d’une évolution générale de la société, mais ils me semblent déjà très éveillés, presque déjà des adolescents pour certains.» 

Une très grande liberté

L’autre avantage d’enseigner aux enfants de cette classe d’âge? L’absence d’horaires. «Cela nous procure une très grande liberté, dans la mesure où il y a la sonnerie du début de matinée, celle de la récréation et enfin celle de midi. Dans l’intervalle, nous pouvons nous organiser un peu comme nous voulons: si j’ai du retard dans telle ou telle matière, mais de l’avance dans d’autres, je peux ainsi mieux m’adapter au rythme d’apprentissage des enfants et à leurs besoins.»

Un autre aspect que Gil Gertsch apprécie : la diversité des matières. Il jongle entre le français, les maths, l’allemand, l’Histoire — qui couvre la Préhistoire et l’Antiquité —, la géographie, les sciences, la musique, la gymnastique et le bricolage. «Les matières sont nombreuses, mais cela reste les bases, et c’est facile à gérer, nous n’en sommes pas encore aux fonctions à deux inconnues…». Sur l’ensemble de ces matières, les goûts des élèves sont multiples: «C’est très équilibré: certains vont préférer le français, d’autres les maths ou l’Histoire.»

Une tablette posée sur une pile de cahiers sur un pupitre. La tablette, outil de travail du quotidien pour Gil Gertsch. Photo | ARC-Sieber

Très à l’écoute des élèves

Comment apprécie-t-il l’évolution de son métier, malgré son jeune âge? «Sur la base des remarques de mes collègues plus anciens, de mes premières observations et de mes propres souvenirs d’écolier, j’ai parfois le sentiment qu’on a adapté, voire nivelé vers le bas certains apprentissages.» Gil Gertsch se dit également dubitatif lorsqu’il évoque l’école à visée inclusive. «Nous sommes très à l’écoute des élèves et leurs des besoins — ce qui est absolument réjouissant et normal —, mais il me semble que, par le passé, on comptait moins d’élèves ayant des besoins d’aménagements spécifiques. Peut-être que cela tient simplement au fait que l’on était moins attentif, que l’on dressait moins de bilans des enfants et que l’on se rendait moins compte qu’ils étaient autant dans le besoin.»

Par exemple, une dyslexie lourde pourra déjà être détectée en 3-4 P. En revanche, c’est seulement à partir de la 5P, quand les élèves commencent à écrire et à lire des phrases et des textes plus longs, qu’une dyslexie plus légère pourra être détectée. «Observer les difficultés des élèves, en parler aux parents pour qui ce n’est pas toujours facile d’entendre certaines choses. Même si ce n’est qu’une petite partie du métier, ce n’est pas forcément la plus agréable, mais elle n’en reste pas moins essentielle. Le reste du temps, le travail avec les enfants est formidable, vraiment très gratifiant.»

Faire face aux sempiternelles critiques

Concernant sa perception du regard extérieur sur son métier d’enseignant, Gil Gertsch ne tient pas vraiment à s’étendre. «C’est toujours les mêmes et sempiternelles remarques sur les enseignants toujours en vacances, payés à ne rien faire. Heureusement, elles sont contrebalancées par celles, positives, des personnes qui connaissent mieux la réalité du métier ou qui, simplement, s’y intéressent.»

Malgré sa vocation précoce, le jeune enseignant ne se projette pas trop dans le futur: «Autant certaines journées sont géniales, autant d’autres sont moins rigolotes, avec l’impression de passer plus de temps à faire de la discipline que de l’enseignement. À cause de cela, je ne sais pas si je vais y consacrer toute ma vie, si dans 15 ou 20 ans j’y serai toujours.»

L'enseignant dans sa classe, devant un tableau blanc où l'on voit des éléments de cours de géométrie.Photo | ARC-Sieber

«Nous passons beaucoup de temps à nous justifier»

Abdellatif Najem, 56 ans, établissement secondaire Léon-Michaud, à Yverdon-les-Bains

Biologiste de formation – il a suivi ses études à l’Institut de physiologie de l’UNIL (au laboratoire de neuro-heuristique) et à l’UNIGE – Abdellatif Najem décide au début des années 2000 de se consacrer à l’enseignement. À sa sortie du Séminaire pédagogique de l’enseignement secondaire en 2002, il entame sa carrière de professeur au collège de Gland où il enseignera les sciences et les mathématiques jusqu’en 2021, date à laquelle il rejoint l’établissement secondaire Léon-Michaud, à Yverdon-les-Bains. Aujourd’hui, il enseigne durant 25 périodes par semaine à des classes de VG et VP, dont les effectifs varient entre 18 et 24 élèves de 13, 14 et 15 ans. «Quand on change d’école, il y a toujours une certaine appréhension, celle de quitter des élèves et des collègues que l’on appréciait pour se plonger dans l’inconnu. Finalement, je suis très heureux de cette mutation qui m’a fait découvrir un autre univers, et qui en plus me rapproche de ma famille.»

«Un engagement collectif»

Le choix de l’enseignement s’est imposé à lui très jeune déjà. Cinquième enfant d’une fratrie de neuf frères et sœurs, il passe ainsi beaucoup de temps avec les plus jeunes, les aidant à faire leurs devoirs, «toujours heureux lorsqu’ils finissaient par comprendre, même les sujets les plus compliqués.» Si la transmission du savoir est la pierre angulaire de sa mission, il se sent particulièrement heureux quand il peut susciter un besoin et un plaisir d’apprendre chez les élèves, mais aussi d’éveiller leur curiosité: «De surcroît, je suis convaincu que la construction de la société passe par cet engagement collectif. À mes yeux, c’est une mission extraordinaire à laquelle je suis fier de pouvoir participer.»

Vélos stationnés devant l'établissement le long d'un mur où un graph donne le nom de l'établissement en grandes lettres.L'établissement Léon-Michaud, à Yverdon-les-Bains. Photo | ARC-Sieber

Du bonheur d’être enseignant

Au-delà de la transmission du savoir, l’enseignant d’Yverdon-les-Bains considère également la relation humaine qui se développe avec les élèves et les collègues comme quelque chose d’unique: «Je ne boude pas mon plaisir lorsque je croise d’anciens élèves qui ont fait leur chemin dans la vie, voire une carrière, et qui se souviennent de mes cours et de ce que j’ai pu leur apporter.»

Mais si Abdellatif Najem préfère nettement parler des bonheurs de l’enseignement, il n’en minimise pas moins ses difficultés: «Les élèves évoluent dans un monde où les écrans sont omniprésents. Conséquences: l’attention est souvent absente. Et à force d’être branchés – bien sûr pas à l’école –, ils finissent par perdre de précieuses heures de sommeil. Inévitablement, cela se ressent ensuite en classe. Même si ces technologies peuvent être extraordinaires, les enseignants doivent redoubler d’efforts pour capter l’attention des élèves.»

Autorité remise en question

Autre point d’achoppement, la remise en question par des élèves, mais aussi par des parents, de l’autorité traditionnelle de l’enseignant: «Il peut arriver que certains enseignants galèrent lorsqu’il s’agit de recadrer les quelques élèves qui perturbent les cours. On perd alors beaucoup trop de temps et d’énergie à faire de la discipline. Et lorsqu’on n’y arrive pas, la faute incombe trop souvent à l’enseignant. Parfois, les élèves jouent avec cela. En ce qui me concerne, il ne s’agit que de deux ou trois élèves. Et dans la plupart des classes, cela se passe très bien, les élèves sont respectueux. Le travail se fait dans un bon esprit. J’ai une chance extraordinaire.»

Et heureusement. Car, comme le souligne encore Abdellatif Najem, la charge de travail est toujours plus importante, entre les tâches administratives et les réunions: «Tout cela accumulé, nos journées finissent par être bien chargées.»

La faute au prof…

Quant au regard extérieur? «Difficile de ne pas comparer avec le passé: lorsque j’étais enfant, le maître était une figure de savoir et d’autorité, qui jouait un rôle central au sein de la communauté. Dans les petites villes et les villages, il était respecté, son rôle valorisé. Je ne dirais pas que le regard sur nous s’est complètement inversé, mais il a changé, influencé par plusieurs facteurs.» Pour Abdellatif Najem, la profession s’est avant tout banalisée: «L’évolution des rapports avec les parents fait que nous passons beaucoup de temps à nous justifier si les notes sont insuffisantes ou ne correspondent pas aux attentes de certains. Ceux-ci veulent des résultats et si leur enfant n’a pas la moyenne, le responsable est tout trouvé, c’est l’enseignant! Par bonheur, cela ne concerne qu’une minorité de parents.» (DA)

Continuez votre lecture