La greffière est assise derrière un bureau, stylo en main, des dossiers étalés devant elle; une personne de dos est assise en face d'elle
Céline Aellen, greffière de deuxième instance au Tribunal cantonal de Lausanne : «Ce métier demande de la minutie et une extrême attention dans la rédaction.» Photo |ARC-Sieber
Métier

Les greffiers, maillons essentiels de la chaîne judiciaire

On les voit sans les voir. Hormis quelques furtives apparitions publiques lors de certaines audiences, l’essentiel du travail des greffiers se fait dans l’ombre. Passionnée par son métier, qu’elle exerce depuis une vingtaine d’années, Céline Aellen le met en lumière pour nous.

Céline Aellen, greffière de deuxième instance au Tribunal cantonal de Lausanne : «Ce métier demande de la minutie et une extrême attention dans la rédaction.» Photo |ARC-Sieber
5 minutes de lecturePublié le 12 déc. 2024

Présentons d’abord les personnages du monde judiciaire, répartis en trois fonctions distinctes : les magistrats, les greffiers et les gestionnaires de dossiers. Ces derniers, essentiels dans la chaîne judiciaire, gèrent, au sein des greffes des tribunaux, notamment tout ce qui touche au secrétariat et à l’accueil. Comme le précise Céline Aellen, le greffe est souvent le premier contact avec le public, tandis que les greffières et les greffiers sont uniquement dans le sillage des juges. « Si le métier de greffier est relativement peu connu, cela tient probablement au fait qu’il n’est ni vraiment en lien avec les parties, ni celui qui prend la décision; il est avant tout le bras droit d’un magistrat, celui qui l’assiste pour rédiger une décision judiciaire.»

En quoi consiste le métier de greffier?

Greffière de deuxième instance au Tribunal cantonal de Lausanne, dans le bâtiment qui trône sur les pentes verdoyantes de l’Hermitage, Céline Aellen a déjà effectué un long parcours dans le monde judiciaire. Elle résume en quelques mots son métier: «En règle générale, l’activité principale d’une greffière est de rédiger la décision judiciaire, sur les indications et sous la responsabilité d’un ou d’une juge.» Dans ce but, la greffière est au préalable amenée à assister aux audiences dont elle rédigera le procès-verbal, et prend des notes pendant les plaidoiries et les délibérations:  « C’est également elle qui procède à des recherches s’il faut approfondir une question juridique. » Enfin, elle est parfois responsable de l’anonymisation du document en vue de sa publication sur Internet: «Il est vrai que ce métier demande de la minutie et une extrême attention dans la rédaction.»  Comme le précise à cet égard Céline Aellen, le niveau de compétences des greffiers est élevé : « Tous sont au minimum titulaires d’un master en droit, et, en deuxième instance, la plupart ont également un brevet d’avocat.» 

« Greffières et greffiers sont au minimum titulaires d’un master en droit, et, en deuxième instance, la plupart ont également un brevet d’avocat.»

Céline AellenGreffière

Compétences pointues

Si les greffiers travaillent dans l’ombre, leur rôle est fondamental et demande des compétences pointues dans le domaine juridique: « Même si les décisions sont toujours relues par les magistrates et les magistrats, il appartient aux greffiers de veiller à ne pas passer à côté des griefs qui sont soulevés par les parties, d’y répondre exhaustivement, de construire la décision et de citer correctement la jurisprudence ainsi que les références qui seront mentionnées dans le jugement ou l’arrêt.» Que ce soit au sein d’une cour pénale ou civile, en droit administratif ou des assurances sociales, les greffiers tiennent la plume à tous les moments d’une procédure judiciaire « même s’il peut arriver en première instance qu’un juge soit amené à rédiger lui-même».

La tâche des greffiers peut néanmoins différer selon l’instance à laquelle ils sont rattachés: « Ils peuvent ainsi être amenés à suivre l’instruction de l’ouverture du dossier jusqu’à la rédaction de la décision de clôture ou être uniquement chargés de rédiger le jugement ou l’arrêt, de manière autonome ou sur la base des indications ou d’un rapport du juge.»

La ténorisation au cœur du métier

La tenue du procès-verbal d’audience est l’une des tâches demandées aux greffières et greffiers: un exercice exigeant, surtout dans le domaine du droit, qui demande rigueur et précision. «Le but est d’être le plus précis possible, notamment pendant l’audience, durant laquelle nous verbalisons les dépositions des parties. Mais il existe plusieurs manières de fonctionner, qui dépendent en grande partie des magistrates ou magistrats. Certains dictent ce qu’ils veulent voir apparaître dans le procès-verbal. Avec d’autres, nous prenons des notes à la volée et il nous appartient alors de rester précis entre ce que nous entendons et ce qu’il est important de souligner. Dans tous les cas, mieux vaut avoir un niveau de dactylo qui permette de suivre les débats, même si nous n’en sommes pas au sténotype (ndr: un clavier ressemblant à une machine à écrire, comme on en voit souvent dans les séries américaines, servant à saisir du texte sous forme phonétique simplifiée à la vitesse de la parole). Nous ne retranscrivons pas au mot près: l’idée est que l’ensemble des propos soient intelligibles, et que les parties – qui ont le droit de relire le procès-verbal – s’y retrouvent.»  

Un juge travaillant sur ses dossiersLa relation entre juges et greffiers est faite de confiance et de connaissance réciproques. Photo | sebra

Un premier pas dans le métier

Comme Céline Aellen, de nombreuses jeunes personnes licenciées en droit ou en cours de thèse mettent un pied dans le métier en travaillant comme greffière, comme greffier. «C’est un premier pas dans le domaine judiciaire, c’est là qu’on peut convertir la théorie en pratique.» Et ce ne sont pas les occasions qui manquent, entre les justices de paix, les différents tribunaux de première instance, le Tribunal cantonal, ainsi que le Ministère public, autant d’autorités qui emploient des greffiers.

Outre les connaissances juridiques, la parfaite maîtrise du français et de solides capacités rédactionnelles, il est recommandé aux greffiers qui travaillent en première instance – et particulièrement au pénal où l’exposition au stress est souvent intense – de posséder une bonne résistance nerveuse et un sens de l’initiative et de l’anticipation. «Les dossiers doivent avancer rapidement et sont souvent sensibles: il faut donc réagir vite et, lorsque des éléments inhabituels ou inattendus apparaissent en cours de procédure, il faut être capable d’attirer l’attention du magistrat, sans pour autant outrepasser ses fonctions. C’est un vrai tandem entre les juges et les greffiers, fait de confiance et de connaissance réciproques.» 

Le pénal, son domaine de prédilection

Aussi loin qu’elle s’en souvienne, Céline Aellen a toujours été attirée par le monde judiciaire. Lors de ses études en droit, cherchant un petit boulot pour les financer, elle a eu la chance d’être engagée comme secrétaire au Tribunal d’arrondissement de Lausanne: « Les magistrats pénaux n’étaient pas assistés par des greffiers juristes, mais administratifs, donc des secrétaires. C’est ainsi que j’ai pu assister à mes premières audiences, avant même d’avoir obtenu ma licence.»

Le hasard du calendrier a voulu que la fin de sa formation en criminologie coïncide avec l’introduction du nouveau Code pénal prévoyant la création de l’Office du juge d’application des peines, qui deviendra en 2011 le Tribunal des mesures de contrainte et d’application des peines. «La matière m’ayant toujours captivée, j’ai eu la chance d’obtenir un des trois postes de greffier créés pour cet office et d’être formée par une juge extraordinaire, qui a pris le temps de m’apprendre l’art de la rédaction judiciaire.» Au bout de cinq ans, et après la naissance de sa première fille, Céline Aellen a poursuivi sa carrière au Tribunal cantonal, dans les cours pénales, son domaine de prédilection, pendant douze ans, avant de rejoindre, il y a quelques mois seulement, la Chambre des curatelles.

«Il y a des audiences inattendues ou surprenantes, des moments forts aussi, pas toujours drôles…»

Céline AellenGreffière

En presque vingt ans de carrière, Céline Aellen a vu défiler les dossiers, derrière lesquels se jouent des vies et des situations parfois étonnantes, souvent tristes. N’était-ce la question de la confidentialité, elle pourrait raconter des heures d’anecdotes. «C’est vrai, il y a eu des audiences inattendues ou surprenantes, des moments forts aussi, pas toujours drôles, surtout lorsque je travaillais pour le juge d’application des peines, quand nous étions amenés à revoir annuellement toutes les personnes condamnées à de lourdes peines: c’est là que j’ai probablement côtoyé les cas les plus difficiles, les plus marquants.» (DA)

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