Tout l’art de dénouer les conflits
Plus qu’une passerelle entre la population vaudoise et son administration, le Bureau cantonal de médiation administrative (BCMA) permet de désamorcer par le dialogue les éventuels conflits. Il fête cette année son 15e anniversaire. L’occasion pour sa responsable, Sylvie Cossy, médiatrice cantonale, de faire le bilan de ce bureau au service de toutes et tous.
Parfois, les citoyennes et les citoyens peuvent se sentir petits, impuissants et muets face à l’État, alors perçu comme une machine sourde et impénétrable, surtout en cas de contentieux. Même si l’image peut sembler caricaturale, et loin de la réalité, le gouvernement vaudois a toutefois voulu faciliter la relation de tout un chacun avec ses services en créant, en 1998, un bureau de médiation administrative. Comme le résume Sylvie Cossy : «L'idée était d’offrir aux usagères et aux usagers un lien plus direct aux services de l’État en leur permettant de faire appel à un tiers neutre et indépendant, pour les aider à communiquer et à trouver des solutions aux différends qui les opposeraient à l’administration, voire aux autorités.»
Premier bureau en Suisse romande
Historiquement, le premier bureau de médiation administrative en Suisse est créé au sein de la Ville de Zurich en 1971; celui du Canton de Vaud sera, en revanche, le premier en Suisse romande. «À la fin des années 1990, le Canton de Vaud traversait une période de crises, ponctuée de plans d'économie et de rationalisation, rappelle Sylvie Cossy. Le Conseil d’État avait saisi cette occasion pour lancer une réflexion sur le fonctionnement de ses institutions, dont l’une des retombées fut la création d’un bureau de médiation administrative. En 2003, un nouvel arrêté instaura un bureau de médiation en matière d'administration judiciaire. Les deux bureaux partageaient les mêmes locaux.» En 2009, le Grand Conseil adoptera la loi sur la médiation administrative, base légale de l'actuel BCMA, qui est désormais compétent pour les autorités administratives et judiciaires. Pour ces dernières, le champ d'action du BCMA est plus limité, en raison des principes de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance de la justice. «Aujourd’hui, nous pouvons compter sur 4,85 ETP», précise Sylvie Cossy.
«Nous n’avons aucun pouvoir décisionnel. Nous ne pouvons jamais exiger que les autorités modifient ou reviennent sur une décision. En revanche, nous fournissons un important travail d'explications.»
Rétablir le lien
Quel est plus précisément le rôle du BCMA? Suffit-il de s’adresser à lui pour résoudre tous ses problèmes? «Aucunement, précise d’emblée Sylvie Cossy. Parce que nous n’avons aucun pouvoir décisionnel. Nous ne pouvons jamais exiger que les autorités modifient ou reviennent sur une décision. En revanche, nous fournissons un important travail d'explications. Parce que toutes les décisions ne sont pas forcément compréhensibles – tout comme d’ailleurs les demandes des usagers –, ou bien parce que les personnes ne comprennent pas les procédures. Nous pouvons faire des recommandations à l’attention de l’administration et examiner les mesures qu’elle a prises. Parfois, il arrive également que des citoyens contestent une décision, auquel cas nous pouvons discuter de ce dossier avec l’administration; si le délai de recours n’est pas échu, ces personnes sont orientées auprès de conseils juridiques.» Le BCMA peut aussi être appelé lorsque surgissent des problèmes relationnels, par exemple dans le cadre d’une mesure de curatelle. Souvent, il s’agit d’un «simple» problème de communication que le BCMA va s’attacher à restaurer en rétablissant un lien avec les services de l’État.
Certains principes et valeurs fondent toute l'action du BCMA, comme l'impartialité, l'indépendance, la neutralité ou encore la confidentialité. En tant qu'ancienne déléguée du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Sylvie Cossy y est particulièrement sensible : «Ce sont les piliers de la médiation, puisqu'ils assurent aux personnes qui s'adressent à nous de le faire en toute confiance.»
Diversité des demandes et doléances
«Nous sommes confrontés à des problèmes de nature très différente, qui, pour la plupart, sortent du champ judiciaire. Il peut s’agir de personnes qui se plaignent du délai de traitement, ou qui n’arrivent pas à joindre un service. Les problèmes peuvent aussi relever de la mauvaise compréhension d'une procédure, d'une décision, du vocabulaire ou de calculs, voire d'un sentiment d’injustice», détaille Sylvie Cossy.
Les questions de médiation peuvent toucher chaque segment de l’organigramme de l'État. En 2022, le BCMA a reçu 637 demandes, ce qui représente une baisse de 6.5% par rapport à 2021 (681 demandes) – «Cela s’explique par une nette diminution des situations liées au Covid (63 cas en 2021, contre 9 en 2022)». Et parmi ces demandes, quelques exemples témoignent de leur grande diversité. Comme cette étudiante qui se plaint de n’avoir pas reçu de décision à sa demande de bourse, déposée trois mois plus tôt. Ou cette femme qui ne comprend pas pourquoi l’Office de l’état civil demande des documents que son futur conjoint étranger ne peut pas se procurer – en raison de la situation politique du pays dans lequel il a vécu –, et sans lesquels ils ne peuvent pas se marier. Celui encore qui s’agace du manque de clarté des exigences à respecter pour faire entrer un colis dans les prisons vaudoises. Ou, au contraire, un service de l’État qui fait appel au BCMA, démuni face aux nombreux courriers d’un usager, auquel il estime avoir déjà largement répondu…
Si l’on s’en tient aux statistiques de 2022 du BCMA, l’orientation des usagers vers le bon service figure en première place de toutes les doléances (28%). On trouve ensuite l’incompréhension de l’action ou de la décision de l’administration (22%), la contestation de l’action ou de la décision de l’administration (15%), le délai de traitement (12%), la non-communication (9%) et le comportement de l’administration (9%).
Qui s’adresse au BCMA?
Au-delà des chiffres, peut-on dessiner un profil des personnes s’adressant au BCMA? « Je ne pense pas qu’il y ait une figure type, répond Sylvie Cossy. Nous recevons des demandes venant de tous les horizons, même si je dois bien reconnaître que, pour l'instant, peu de jeunes font appel à nous. Nous rencontrons parfois des personnes qui sont passées par une forme de déni administratif. À la suite d’une séparation, d’un licenciement, d'un burn-out, d'une dépression ou de tout autre épisode difficile dans leur vie, elles se sont retrouvées momentanément dans l’incapacité de gérer leur courrier, qui s’est amoncelé. Mais un jour, elles viennent nous voir parce qu’elles veulent reprendre pied.»
Sylvie Cossy observe que «si les interactions avec les usagères et les usagers se passent en principe très bien, une augmentation des tensions et de la méfiance envers les autorités a pu être observée. Ce constat est valable dans toute l’administration; il est vrai qu'il est devenu plus difficile de faire passer certains messages.»
Se délocaliser dans les régions
À l’occasion de son 15e anniversaire, le BCMA se mobilise pour mieux se faire connaître du public et des services de l’État : «Nous voulons montrer que nous sommes également à la disposition des employés de l'administration cantonale. Mais aussi rappeler notre existence, dans la mesure où il arrive encore, lorsque nous contactons un service, un office ou une direction, que nous devions nous présenter et expliquer notre rôle, nos principes.»
Parmi les différentes mesures prises pour améliorer sa «visibilité» auprès de la population, le BCMA a entamé l’an dernier des séances délocalisées. «Cette année, l’équipe se rendra à Yverdon-les-Bains, Aigle et Payerne. L’idée est d'aller dans d'autres régions, de faire connaître le Bureau, de se présenter à la population et aux autorités. En ces temps où l'administration se dématérialise de plus en plus, il est important d'offrir aux personnes qui le souhaitent des rendez-vous qui leur permettent de nous rencontrer directement pour expliquer leur situation de vive voix. Comme le canton est grand, cette offre ne doit pas être réservée aux habitantes et aux habitants de la région lausannoise, mais être ouverte à tous.» (DA)