Que faire quand le sommeil se trouble
En 2022, une étude de l’Office fédéral de la statistique (OFS) révélait que 33% de la population suisse souffrait de troubles du sommeil. Mais quelles réalités se cachent vraiment derrière ce chiffre? On fait le point en compagnie de Virginie Bayon, médecin associée au Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil au CHUV et d’Anouck Luini Macchi, spécialiste en promotion de la santé à Unisanté. En ligne de mire: les bons conseils pour tomber dans les bras de Morphée en toute sérénité.
D’abord spécialisée en santé au travail, la doctoresse Virginie Bayon a passé plus de dix ans au Centre du sommeil de l’Hôtel-Dieu à Paris, où elle s’est particulièrement intéressée aux relations entre les troubles du sommeil et les horaires de travail atypiques. En 2018, elle a rejoint le Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil (CIRS) du CHUV à Lausanne où elle exerce en tant que somnologue, sans abandonner la recherche. En parallèle, elle a développé une consultation spécifique en sommeil pédiatrique. Mais, quel que soit l’âge, son constat est identique: «Le sommeil est une fonction biologique indispensable à la récupération psychique et physique. Une dette de sommeil se paye toujours à un moment ou l’autre. »
«On dort de moins en moins»
Spécialiste en promotion de la santé, Anouck Luini Macchi anime quant à elle des conférences pour Unisanté, à la demande de collectivités et d’employeurs obligés par exemple de recourir au travail de nuit ou au travail posté, qui implique des rotations d’équipe à la même place selon des horaires atypiques. «Les troubles du sommeil ont souvent des répercussions dans la sphère psychosociale: la fatigue et la somnolence sont responsables d’erreurs, d’absentéisme ou, pire, d’accidents au travail; quant à l’irritabilité, elle n’est pas la meilleure conseillère dans les rapports humains... On dort de moins en moins, soupire Anouck Luini Macchi, et il y a toujours une bonne raison!» Qu’il s’agisse de terminer une série ou de boucler un dossier, la surconnexion fait sans aucun doute partie des responsables des troubles du sommeil qui ont bondi en Suisse de 4% entre 2017 et 2022.
«Le sommeil est une fonction biologique indispensable à la récupération psychique et physique. Une dette de sommeil se paye toujours à un moment ou l’autre»
Troubles du sommeil: qui est concerné?
Les troubles du sommeil ne touchent pas tout le monde de la même manière: plus fréquents chez les femmes (37%) que chez les hommes (29%), ils s'aggravent de surcroît avec l'âge. Mais comment savoir si l’on a véritablement un problème avec le sommeil? «Il faut d’abord comprendre que le champ de l’insomnie recouvre autant les réveils nocturnes ou précoces que les difficultés d’endormissement, ou un sommeil jugé non réparateur», précise en préambule la doctoresse Bayon. Ensuite, la sévérité des troubles se juge à partir d’une certaine durée: «Il peut arriver de souffrir d’une insomnie transitoire aiguë, liée à un contexte particulier comme un deuil, une séparation ou un déménagement. En revanche, si les troubles se répètent au moins trois nuits par semaine et au-delà de trois mois, on peut commencer à suspecter une insomnie chronique et il convient d’agir. Ne plus réussir à récupérer assez pendant le week-end ou les vacances peut être aussi un signe sérieux à prendre en compte», explique la somnologue.
Un véritable coût pour l’organisme
Anouck Luini Macchi tient à préciser que le premier coût d’une dette de sommeil est psychique: «On constate que l’estime de soi est la première touchée lorsque l’on est fatiguée.» Mais, au-delà des effets délétères à court terme (irritabilité, difficultés de concentration et de mémorisation, céphalées régulières), la fatigue a un coût pour l’organisme à long terme. «On connaît désormais les liens réels entre le manque de sommeil et certains cancers, ainsi que les maladies cardiovasculaires. On sait également qu’une dette de sommeil nous fait sécréter davantage de ghréline, une hormone digestive qui stimule l’appétit et nous pousse à consommer des choses sucrées qui peuvent être à l’origine d’un diabète de type 2.»
«Il faut arrêter de penser ‘’Je dois dormir au moins huit heures, sinon je ne vais pas être performante’’: cela dépend des personnes! Eviter la spirale de l’angoisse du bien dormir, parfois à l’origine des difficultés d’endormissement»
Des remèdes à portée de main?
Toutefois, les deux professionnelles sont unanimes: avant de s’affoler, il faut s’interroger sur son hygiène de vie quotidienne. Vais-je au lit dès que je suis fatiguée? Mes repas du soir sont-ils trop riches? Est-ce que j’utilise des écrans avant de dormir? «Avoir une routine simple, mais bien suivie (lire ci-dessous) peut déjà régler beaucoup de choses rapidement», assure Anouck Luini Macchi.
L’autre cheval de bataille de la doctoresse Bayon: se libérer des fausses croyances. «Il faut arrêter de penser ‘’Je dois dormir au moins huit heures, sinon je ne vais pas être performante’’: cela dépend des personnes! Même si la moyenne recommandée par nuit est de sept à huit heures, il y a évidemment des variations individuelles. Un de nos combats au CIRS est d’éviter de tomber dans la spirale de l’angoisse du bien dormir, parfois à l’origine des difficultés d’endormissement. On peut d’ailleurs passer une mauvaise nuit et avoir des rendez-vous qui se passent à merveille et, a contrario, dormir comme un bébé et être de très mauvais poil…»
Les TCC: ces thérapies brèves qui donnent de bons résultats
Si les troubles ne régressent pas, Virginie Bayon suggère d’en parler d’abord avec son ou sa médecin de famille ou du travail, qui saura déceler s’ils sont le signe d’une pathologie nécessitant une prise en charge plus ciblée comme une dépression, de l’anxiété ou de l’apnée du sommeil. Rarement, il peut s’agir d’insomnie primaire (sans cause apparente), mais, la plupart du temps, les causes des insomnies chroniques sont psychophysiologiques: habitudes de sommeil inappropriées qui se mettent en place à la suite d’un événement déclencheur (stress au travail ou dans la sphère privée par exemple).
La bonne nouvelle, c’est que les thérapies cognitives et comportementales (TCC) sont les mieux indiquées pour les traiter: «On a de bons résultats et de moins en moins recours aux somnifères, car il y a un véritable risque d’accoutumance et, à long terme, une perte d’efficacité des hypnotiques», explique Virginie Bayon. Au CIRS, ces thérapies de trois à cinq séances (en groupe ou en individuel) sont basées pour beaucoup sur la participation des patientes et des patients. «Il faut tenir quotidiennement un agenda du sommeil et accepter de modifier ses habitudes: c’est une thérapie brève, mais pas passive», prévient la somnologue. Même son de cloche du côté d’Unisanté, qui propose une formation de 3h30 sur la physiologie du sommeil. Au cœur du processus: la tenue d’un «agenda du sommeil» destiné à objectiver les données individuelles sur 15 jours. «On fait tout noter, des siestes aux moments de somnolence en passant par l’alimentation et les événements particuliers. Le but est vraiment de déceler où intervenir et comment orienter au mieux les personnes».
Check-list pour dormir sur ses deux oreilles
- Aller se coucher dès les premiers signes de fatigue (bâillement, yeux qui piquent…)
- Privilégier des horaires réguliers de coucher et de lever, même le week-end. L’heure de lever est encore plus importante que celle du coucher.
- Pratiquer le couvre-feu digital: pas d’écran au moins une heure avant d’aller au lit! La lumière bleue qui supprime la production de mélatonine retarde l’endormissement et réduit la vigilance matinale. A contrario, s’exposer un maximum à la lumière du jour permet de sécréter de la sérotonine, hormone régulatrice du sommeil.
- Faire une activité physique régulière, mais pas à proximité de l’heure du coucher.
- Éviter les excitants comme le café, le sucre, le thé noir, l’alcool ou le tabac.
- Ne pas hésiter à consulter son ou sa généraliste si les troubles du sommeil persistent (au moins trois nuits par semaine et au-delà de trois mois).
- Quand les délais pour commencer une thérapie comportementale et cognitive (TCC) sont trop longs et si l’on a besoin d’une solution de secours dans l’intervalle, on peut recourir à des variantes en ligne de qualité comme ThéraSomnia (www.therasomnia.com), un programme de lutte contre l’insomnie imaginé par deux médecins français et testé en milieu hospitalier.
Le train du sommeil : conseils & astuces
Pour bien faire comprendre la structure de nos nuits lors de ses formations dans le cadre d’Unisanté, Anouck Luini Macchi aime comparer le sommeil à un train. «En moyenne, le temps d’endormissement (l’équivalent de la gare de départ) ne devrait pas excéder 30 minutes: au-delà, le train du sommeil est passé et il faut attendre un nouvel arrêt en gare» – entendez, un nouveau cycle de sommeil, lesquels arrivent à peu près toutes les 90 minutes à raison de quatre à six fois par nuit. «Ces arrêts de nuits sont un peu plus courts, 15 minutes en moyenne, et on y ressent moins de fatigue qu’en début de nuit, c’est normal. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il y a des moments plus ou moins propices pour se rendormir et qu’il est parfois plus judicieux de se lever et s’adonner à une activité calme, si possible dans la pénombre (lecture, radio, respiration consciente), plutôt que de laisser filer son hamster mental vers la panique de ne pas se rendormir. Attendez tranquillement une bonne heure avant de retourner dans les bras de Morphée: ce n’est pas grave de sauter un cycle de sommeil, à condition que cela reste épisodique». (EB)
A ne pas rater: «Au lit! Histoires de sommeil et de rêves» à Lausanne
Jusqu’au mois de décembre, le Laboratoire Histoire & Cité, installé au Palais de Rumine, a concocté un programme de rêve autour du royaume de la nuit… Qu’est-ce que notre sommeil dit de nous? Comment dort-on et à quelles fins? Participez à une série de rencontres variées, passionnantes et gratuites: des insomnies aux cures de repos en passant par des récits de rêves ou de veilles mystiques, expertes et experts de la communauté académique, scientifique et artistique interrogent l’évolution, au fil des siècles, des enjeux sociaux, politiques et moraux de notre rapport au sommeil.
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