Plateforme 10: «Ne jamais faire de concession sur l’ambition artistique»
Projet en constante évolution, Plateforme 10 connaît une nouvelle mue. Depuis le 1er janvier 2021, une nouvelle gouvernance voulue par le Conseil d’Etat est mise en place. Désormais, une seule et unique fondation de droit public regroupe le Musée cantonal des Beaux-Arts, le Musée de l’Elysée et le mudac. Rencontre avec Patrick Gyger, son nouveau directeur général, à pied d’œuvre depuis le début de l’année.
Assis au bout d’une longue table de réunion, entre trois téléphones et deux cafés, Patrick Gyger prend le temps pour parler du présent et du futur de Plateforme 10. Cela ne fait que quelques semaines qu’il est en charge de la destinée du futur quartier des arts lausannois – le Musée cantonal des Beaux-Arts sera bientôt rejoint par le mudac et le Musée de l’Elysée sur ce site de 25'000 m2 situé dans le prolongement de la gare de Lausanne – mais il se montre déjà très imprégné des enjeux culturels et artistiques qui s’y dessinent tout comme il semble aussi connaître chaque rouage de la machinerie qui fait avancer le navire. Il est désormais au cœur du réacteur, même si ses bureaux sont provisoirement situés à quelques centaines de mètres du site, avant qu’il ne puisse y déménager avec toute son équipe : «Le projet se construit de façon progressive, ce qui le rend d’autant plus passionnant.»
Un Vaudois venu d’ailleurs
Après une enfance au Brésil et des études à Lausanne, Patrick Gyger fait ses premières armes à Yverdon-les Bains, en tant que directeur de la Maison d’Ailleurs. C’est sous son règne que Jules Verne trouve un espace permanant dans le musée yverdonnois grâce au don d’une riche collection comprenant quelque 20'000 pièces et documents sur le célèbre auteur nantais. Dix ans plus tard, en 2011, le hasard veut que Patrick Gyger reprenne les rênes du Lieu Unique… à Nantes. Logé dans une ancienne usine réhabilitée, ce Lieu Unique est un endroit à part dans le monde culturel français, voire européen. «Il assume un rôle central au cœur de la ville, à la fois comme salle de spectacles et d’expositions mais aussi comme lieu de rencontres et d’échange, explique Patrick Gyger. Il faut dire qu’il propose plus de cent spectacles par saison, des expositions, des résidences d’artistes, des festivals, des grands débats, des conférences.» Et surtout, il brasse tous les domaines, qu’il s’agisse des arts plastiques, du théâtre, de la danse, du cirque, de la musique, de la littérature, la philosophie, de l’architecture ou encore des cultures numériques.
«Dans ce cadre, j’avais accueilli à Nantes des fragments de l’exposition de l’inachevé que Visarte-Vaud avait monté en 2013 dans les anciennes halles CCF pour préfigurer la dimension culturelle du site.» Une fois de plus le hasard ? Toujours est-il que sept ans plus tard, il quitte la capitale bretonne pour le chef-lieu vaudois. Sans trop de regret, estimant qu’un lieu doit forcément se réinventer après une décennie. Surtout pour relever ce nouveau défi. Le poste de directeur général de Plateforme 10 est nouveau et tout doit encore être inventé : «Cela me séduit d’autant plus que les expériences yverdonnoise et nantaise m’ont conduit à développer une large réflexion sur le rôle de la culture dans la cité et son impact sur l’identité d’une ville. D’une certaine manière, Plateforme 10 est un prolongement de ce travail.»
Monter en puissance
Mais avant tout, le premier grand défi de Patrick Gyger sera administratif, à savoir la mutualisation des tâches. «Nous n’avons clairement pas pour mission de faire des économies sur les postes. En revanche, la réunion des trois musées génère forcément des croisements. En les identifiant et en réadaptant certains cahiers des charges - essentiellement dans les domaines administratif et logistiques -, nous nous retrouvons avec des ressources humaines ou des moyens financiers supplémentaires que nous pouvons réinvestir dans l’offre et la qualité culturelle de chacun de nos musées. Ces regroupements nous permettront de monter en puissance. En faisant de sorte que le tout soit supérieur à l’addition des segments.»
Depuis son entrée en service, Patrick Gyger a donc lancé en parallèle toute une série de chantiers, notamment la réunion des fonctions back office, telles que les ressources humaines, la comptabilité et l’informatique : «Nous nous concentrons en ce moment sur ce travail administratif qui est assez lourd, mais fondamental. Ensuite, nous devrons nous atteler à créer des espaces et un environnement convivial sur le site. Il est peut-être encore un peu minéral, mais la vie pourra rapidement se développer autour des arcades, des différents restaurants et des jardins, une fois que le tout sera achevé.»
Amadouer le public
Si pour Patrick Gyger, le rayonnement national et international est important, l’adhésion locale est fondamentale : «Ça commence par-là, que des gens viennent boire un verre ou que des familles en profitent pour se balader un dimanche après-midi. Mais pour les atteindre, il faut d’abord que notre offre soit conviviale. Notre ambition est que Plateforme 10 soit un véritable lieu de vie. Un endroit où l’on peut s’extraire du quotidien, loin de nos soucis, dans l’échange avec les autres. A nous de créer ce moment de bascule qui fait que l’on passe d’un instant de convivialité au temps de la réflexion.»
Fort de ses expériences passées, à Yverdon comme à Nantes, Patrick Gyger est persuadé que le public est aussi prêt à vivre des expériences artistiques différentes, voire exigeantes, mais que le préalable repose sur un accueil bienveillant, convivial, à savoir des horaires d’ouverture aussi larges que possible, du personnel bien formé et accueillant : «Il faut amadouer un public qui peut parfois se sentir laissé sur le côté, pour ne pas dire rejeté par le monde des musées. Nous devons réussir à lui faire comprendre que ce qui se passe entre ces murs est d’abord pour eux.»
Un commissariat au niveau « méta »
Patrick Gyger estime qu’il n’existe pas en Europe de véritable quartier des arts où les institutions sont véritablement en dialogue les unes avec les autres : «Il s’agit la plupart du temps d’entités séparées qui font ce qu’elles veulent chacune dans leur coin. Pour notre part, nous avons commencé par un rapprochement administratif, mais de facto des glissements vont se faire à tous les niveaux, cela va automatiquement créer un dialogue entre nos trois musées.» Le défi de Patrick Gyger est désormais de développer avec les trois directeurs de nouvelles manières de présenter les œuvres et instaurer un nouveau rapport à l’art dans un contexte inédit : «En tant que directeur général, mon envie n’est pas de monter des expositions, mais de faire des choix en définissant des lignes stratégiques, une forme de commissariat au niveau « méta », et d’établir un dialogue aussi fréquent que possible entre les trois musées. Grâce aux espaces généreux dont nous disposons, nous pouvons offrir des réponses différenciées, avec des artistes connus et inconnus du grand public. Mais avec un credo simple: ne jamais faire de concession sur l’ambition artistique.» (DA)