Dessin: Collectif Marie-Louise, Christian Bovey
Culture

Quand le dessin fait parler les archives du noma

Le 1er mars 2021 ouvrait une exposition d’un nouveau genre aux Archives cantonales présentes sur le campus de Dorigny. Le collectif Marie-Louise restitue une expérience peu commune: mettre en valeur par le dessin le fonds d’archives de la Fondation Sentinelles dans son action de lutte contre le noma.

Dessin: Collectif Marie-Louise, Christian Bovey
3 minutes de lecturePublié le 08 mars 2021

38 kilomètres. C’est la longueur actuelle de toutes les archives mises bout à bout qui reposent dans le bâtiment des Archives cantonales vaudoises (ACV), sur le campus de l’Université de Lausanne. «Dans le métier on a l’habitude de parler en mètres linéaires tellement nous avons de matériel.», plaisante Acacio Calisto, archiviste. En juin 2020, c’est le fonds d’archives de la Fondation Sentinelles qui vient ajouter ses 120 mètres de long au patrimoine documentaire vaudois.

Une action réparatrice depuis 1980

La Fondation Sentinelles œuvre dans plusieurs pays d’Afrique, en Colombie et en Suisse, pour secourir dans l’immédiat des enfants, des femmes et des hommes profondément meurtris et en détresse. Agissant au plus près de la souffrance, Sentinelles soutient parfois longtemps ces personnes. Elle assure tous les soins médicaux et chirurgicaux nécessaires et les accompagne en parallèle dans leur reconstruction physique et psychique.

2020 commémore le 40e anniversaire de l’action humanitaire de Sentinelles. Pour marquer le coup, la Fondation a décidé rendre publique ses archives historiques en les déposant aux Archives cantonales vaudoises.

Un projet d’exposition mais un accès très limité

«Il y a eu de la part de Sentinelles et des Archives la volonté de mettre en valeur ce nouveau fonds, de sensibiliser à son importance, sa richesse et son intérêt pour le public et la recherche scientifique.» souligne Acacio Calisto. Le projet est d’en faire une exposition. Mais un problème de taille demeure : la quasi-totalité de ces archives sont protégées. Composées majoritairement de dossiers médicaux, elles recèlent des informations sensibles soumises à la loi sur l’archivage et à la loi sur la protection des données personnelles. «On parle d’êtres humains qui sont peut-être en prison, vivant dans une pauvreté extrême, soumis à de la violence, surtout pour les femmes et les enfants, ou encore qui subissent des maladies, expose l’archiviste. Il y a des images et des parcours de vie qui peuvent choquer.» Ainsi, la consultation n’est pas libre et est soumise à une autorisation de Sentinelles au préalable.

Les dessinateurs à la rescousse

Pour pallier ces difficultés d’accès, les Archives ont mandaté le collectif d’artistes Marie-Louise pour réinterpréter par le dessin ce fonds si particulier. Une seule règle était de mise: pas d’identification claire des personnes, ni d’informations personnelles sur les dessins. «Les Archives nous avaient sorti un échantillon du fonds, commente Christian Bovey membre du collectif. Martin Bovay, étudiant qui venait de terminer la rédaction de son mémoire de master sur le fonds Sentinelles en lien avec le noma, nous a longuement parlé de cette maladie ravageante pour le visage. Nous avons choisi de nous concentrer spécifiquement sur ces dossiers de personnes atteintes du noma, des enfants pour la plupart.»

Image dessin Collectif Marie-LouiseDessin: Collectif Marie-Louise, Hannah Klaas
Image dessin Collectif Marie-LouiseDessin: Collectif Marie-Louise, Michael Scheuplein

La rencontre

«Nous avons passé beaucoup de temps plongés dans ces dossiers, détaille Sabine Bertschi, membre du collectif. Nous avons tous abordé ces archives différemment. Certains ont travaillé sur plusieurs bouts de dossier, d’autres ont eu besoin d’aller régulièrement aux Archives. Personnellement j’ai choisi de me concentrer sur un seul dossier. C’était très émouvant de voir à travers l’écriture les liens qui se tissent entre un enfant qui ne prend jamais la parole et un entourage qui parle de lui. J’avais vraiment l’impression de rentrer dans l’intimité de cet enfant, de deviner son parcours entre les lignes des rapports de la vie quotidienne.» Des films sont aussi présents dans le fonds. «C’était très puissant de tout à coup voir des images vidéo de gens en soin, quand ils sont ramenés au village, les réactions. Ce n’est pas rien de rentrer là-dedans.», renchérit Christian Bovey.

Réinterpréter les archives du noma

Au total c’est 36 dessins de 9 artistes différents qui sont exposés aux Archives. «Cela a été un très gros défi de présentation, explique Sabine Bertschi. Comment raconter ce qu’est cette maladie sans susciter le choc, le rejet, le dégoût ? Nous avons tous opté pour des stratégies différentes.» Cela a eu pour résultat une mise en valeur artistique inédite de ces données sur le noma, difficiles d’accès en l’état. Le visiteur de l’exposition passera tour à tour par la BD, l’aquarelle, le stylo, le collage, tout ceci au gré de ses envies et de sa curiosité.

Une scénographie unique

Pour accéder aux dessins il va falloir travailler et oser tirer de mystérieuses poignées. La scénographie a été elle aussi assurée par le collectif Marie-Louise qui a eu carte blanche pour la créer. Le visiteur va se trouver dans le hall des Archives, devant un bloc de monolithe de cinq mètres de long, doté de multiples poignées. En tirant une poignée, il ou elle aura accès à des dessins. «Nous aimons ce système car il rend bien compte de notre expérience aux Archives, commente Christian Bovey. Il faut fouiller et tirer pour avoir accès aux documents. On a aimé l’idée de faire un geste concret pour accéder à l’information. Cela a été notre cas au départ. On a dû prendre des informations ci et là pour constituer un savoir.»

Les Archives se disent très contentes de cette première expérience de valorisation avec un collectif d’artistes. «On a vraiment pu mettre en valeur les informations qui sont contenues dans ce fonds en faisant quelque chose du texte brut.», se réjouit Acacio Calisto. (MD)

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