Vincent Delay, dans l’ambiance délicieusement victorienne du Musée Sherlock Holmes, à Lucens. | Photo: ARC Sieber
Collègue passionné·e

Sir Vincent Delay, homme de loi aux mille casquettes

Chef de la police administrative de l'état-major de la Police cantonale, Vincent Delay est également conservateur du Musée Sherlock Holmes à Lucens et auteur de romans policiers à ses heures. Rencontre à l’heure du thé.

Vincent Delay, dans l’ambiance délicieusement victorienne du Musée Sherlock Holmes, à Lucens. | Photo: ARC Sieber
Publié le 31 mai 2021

Quand on essaye de se représenter Vincent Delay, on est tenté de l’imaginer coiffé de la casquette en tweed à chevrons du mythique personnage inventé par Conan Doyle en 1887. Pourtant, malgré son imagination débordante, ce juriste au verbe précis a tôt fait de rectifier : « Je suis responsable des autorisations concernant les armes et la sécurité privée dans le canton ». Pas de quoi nous refroidir toutefois, surtout lorsque l’on comprend, au fil de la conversation, que le droit a été pour lui un choix de raison, à l’époque où l’Institut de police scientifique et de criminologie de Lausanne — l’actuelle École des sciences criminelles — était soumis au numerus clausus. «Les places étaient chères dans ce qui fut, en 1909, la première école au monde directement inspirée des méthodes de Sherlock Holmes, et il fallait être réellement scientifique… ce que je n’étais pas. J’ai choisi une voie classique qui m’a permis, en intégrant la police comme juriste, d’être en contact étroit avec l’évolution des méthodes d’investigation criminelle, et également de la Fondation Sir Arthur Conan Doyle» (qui organise des échanges à des fins de perfectionnement entre des membres de la Metropolitan police de Londres et de la Police cantonale vaudoise, NDLR).

Sherlockmania

Sa passion pour Sherlock Holmes ? Elle remonte à l’enfance, quand il découvre, vers l’âge de dix ans, le château de Lucens, qui abrite alors le premier musée dédié au célèbre détective de fiction et à son auteur, Sir Arthur Conan Doyle. Fondé par son fils Adrian Conan Doyle en 1965, le musée a ensuite migré en 2001 dans la Maison rouge de Lucens, juste en face de l’Hôtel de Ville. Vincent Delay réalise alors son rêve de gosse en reprenant les rennes de la petite institution broyarde comme conservateur et archiviste au sein de l’association qui la gère, sous la tutelle d’une fondation et de la commune.

Plus encore que les romans à énigmes, c’est d’abord leur genèse et leur réception qui ont passionné l’enfant de jadis. Membre de la prestigieuse Sherlock Homes Society de Londres, Vincent Delay a désormais le privilège d’être invité au dîner annuel au Palais de Westminster ! Il est également le président de la Société d’études holmésiennes de la Suisse romande, qui imite les sociétés savantes du XIXe siècle et dont le but est de rendre accessibles au public francophone les textes holmésiens classiques, souvent parus en anglais et introuvables de nos jours.

Sherlock Holmes à la loupe

Sur les trois musées dédiés à l’œuvre holmésienne de Conan Doyle, un est à Londres et deux sont en terres helvètes pour une raison élémentaire : c’est au cours d’un séjour en Suisse, en 1893, que l’écrivain et médecin britannique découvre les chutes de Reichenbach dans le canton de Berne. Sublime et macabre décor qui lui servira à «tuer» Sherlock Holmes, en 1893…

Outre des livres et des objets relatifs au héros à la pipe et à la loupe, le musée de Lucens expose quelques meubles et affaires personnelles ayant appartenu à Doyle lui-même. Il y a enfin une reconstitution du salon de Sherlock Holmes et du Docteur Watson, d'après les descriptions minutieuses contenues dans les récits. L'ambiance de ce salon, qui contient des centaines d'objets authentiques, certains étranges et insolites, est rendue fidèlement dans une délicieuse ambiance victorienne. Parmi les pièces maîtresses, Vincent Delay cite un buste en stuc du célèbre détective réalisé vers 1890 et offert à Conan Doyle, ainsi qu’un portrait à l’huile de l’écrivain par Sidney Paget, illustrateur des aventures de Sherlock Holmes dans le Strand Magazine. «Le malheur est que l’héritage de Conan Doyle s’est irrémédiablement éparpillé dans la succession». Dans le canton de Vaud, une petite partie est conservée au Musée de Lucens et à la Bibliothèque cantonale universitaire, laquelle abrite un fonds d’archives.

Photo: ARC Sieber

De Sherlock Holmes à Toby Sterling 

Dès leur première publication à la fin du XIXe siècle, les enquêtes policières de Sherlock Holmes ont suscité un tel enthousiasme qu'elles en ont totalement éclipsé le reste de l'œuvre de leur créateur. Mais peut-on toujours lire Conan Doyle aujourd’hui ? « Bien sûr ! s’enflamme Vincent Delay. C’est une écriture qui ne vieillit pas, une narration à la fois limpide et élégante. Et même si le train à vapeur n’existe plus, les personnages restent très actuels. »

À son tour, Vincent Delay a aujourd’hui pris la plume. «J’ai déjà publié neuf romans grâce à Nicolas Régamey de l’Atelier typographique de la Cité qui m’a proposé d’éditer à petit tirage mon premier livre, selon les méthodes d’imprimerie artisanale en typographie. Son best-seller, La momie de Gruyères (2012), s’inscrit dans une œuvre de joyeuses pochades, nées de l’envie de renouer avec une littérature policière «paisible» axée sur les personnages et l’énigme. En avant-première, l’auteur nous dévoile que son dixième roman — prévu pour Lausan’noir en 2022 — mettra en scène son personnage, Toby Sterling, au Vatican. On y croisera même une certaine militante écologiste du nom de Frida Nielssen… Pour celui qui assume le «charme désuet» de son écriture et à qui le passé simple ne fait pas peur, la littérature est une manière de décrire un monde un peu idéalisé, le monde «tel qu’il devrait être», en somme. (EB)

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