Du latin sacramentum, le serment est la promesse faite en prenant à témoin Dieu, un être ou un objet sacré. Qui est encore concerné par ce rituel ancien, à contre-courant du rationalisme qui caractérise notre époque ?
Le canon tonne. Exactement 23 coups sont tirés depuis la colline de Sauvabelin. Les cloches sonnent, la fanfare de la police et les Milices vaudoises accompagnent au pas le cortège officiel qui mène du château Saint-Maire à la cathédrale de Lausanne, les huissiers sont en grande tenue. Devant l’autel, couronnés par les colonnes du chœur, les sept membres du Conseil d’État vêtus de couleurs foncées vont prêter serment, tour à tour. Devant les 150 députées et députés du Grand Conseil, ils s’apprêtent à lever la main droite et dire à voix haute : « Je le promets ».
Pour le serment d’autorités politiques – marquant un engagement solennel vis-à-vis de la population – rien n’est laissé au hasard. Le protocole de la prestation de serment du Conseil d’État ne déroge pas à la règle : précise, immuable, la formule n'a presque pas changé depuis la création du canton, en 1803.
Un engagement de probité et de loyauté
Pour l’ancien chancelier Vincent Grandjean, la prestation de serment des autorités politiques est un moment grave et profond ; il se met dans la peau d’un ou d’une élue : « Je suis élu et personne ne peut me destituer, même s’il existe dans certaines collectivités une procédure de destitution. Le principe en démocratie est que le peuple fait et défait l’élu. Comme l’Histoire le montre, le serment est un engagement de probité, de loyauté : celui de mettre, avant toute chose, l’intérêt du corps que l’on va servir. Il scelle le pacte entre l’élu et l’électeur. »
En tant que conseillère communale, Elisabeth Wermelinger a déjà plusieurs fois prêté serment : «Ce n’est jamais anodin. Chaque fois, cela constitue un moment extrêmement important. C’est un acte qui m’engage entièrement et que je me dois de respecter ; il me rappelle que mon comportement en tant qu’élue doit être exemplaire. Et même si je suis laïque, j’ai envie de dire que le serment tient de la cérémonie religieuse.»
«Ce n’est jamais anodin. Chaque fois, cela constitue un moment extrêmement important. C’est un acte qui m’engage entièrement et que je me dois de respecter; il me rappelle que mon comportement en tant qu’élue doit être exemplaire. Et même si je suis laïque, j’ai envie de dire que le serment tient de la cérémonie religieuse.»
Une parcelle de puissance publique
L’assermentation n’est cependant pas réservée aux seules autorités politiques. Vincent Grandjean décortique ses différentes formes, même si elle concerne avant tout ces fonctions un peu particulières dont les représentants disposent d’un pouvoir significatif sur la population : « Je pense à toutes celles et tous ceux à qui l’État confie une parcelle de puissance publique. Notamment celle de prononcer une peine d’amende ou de prison ou encore de faire usage de la force. En prêtant serment, ces représentants de l’autorité marquent leur engagement au service de l’État et leur probité, mais également leur respect de l’égalité de traitement dans l’exercice de leur fonction. »
Au sein de l’administration, il existe également des postes exigeant un rapport de confiance tout particulier. Notamment lorsqu’il s’agit de partager des secrets de fonction : « Il est alors attendu de la personne une discrétion totale, une loyauté à toute épreuve, un sens du service poussé encore plus loin. » L’ex-chancelier sait de quoi il parle, lui qui a partagé pendant plus de deux décennies les secrets protégés par loi des délibérations du Conseil d’État. « C’est un engagement scellé par le serment, parce que la fonction requiert une confiance totale sans laquelle le rapport de travail ne peut pas exister. »
Il y a encore des fonctions, comme celle de secrétaire du Grand Conseil, élu par ce même parlement, qui prête également serment, comme le procureur général – « qui détient une sacrée dose de puissance publique » – lui aussi désigné par les députés.
Sans portée juridique
Si sa portée morale est indéniable, le serment échappe en revanche à la sanction juridique en cas de violation : « Je dis souvent que les juristes adorent cartographier, formater, équarrir, mais que c’est très bien qu’il y ait parfois des éléments qui échappent à la rationalité juridique qui nous enserre de plus en plus. En revanche, l’organisation cérémonielle sacralise le serment pour renforcer son importance. L’assermentation est la cérémonie la plus théâtralisée de l’État. Cela ne rigole pas, c’est grave, c’est profond. Même s’il n’y a pas de sanction, il s’agit d’une caution morale. »
Un cérémonial pas si désuet
À la question de savoir si ces cérémonies et leur décorum n’ont pas pris la poussière au regard de l’évolution du monde, Vincent Grandjean est formel : « On enlèverait quelque chose d’intangible, aussi nécessaire qu’un point de repère. Les institutions doivent évidemment se modeler pour être à la hauteur des attentes des citoyennes et des citoyens. Le monde change rapidement et les institutions doivent évidemment se modeler pour être à sa hauteur. Mais pour beaucoup, l’État doit rester un roc. En ce sens, le serment est un rappel des fondements de notre contrat social. Et pour ces mêmes raisons, je suis persuadé qu’il a encore un sacré avenir devant lui : il parle à l’esprit, mais aussi au cœur, il suscite de l’émotion ; un serment n’a de sens que si quelqu’un le fait et quelqu’un le reçoit. »
Naturalisation : moment d’émotion
Même si elles appartiennent à un autre registre, les naturalisations ordinaires passent également par une prestation de serment : « On ne peut pas non plus imaginer supprimer cette cérémonie qui est désirée autant par les candidats à la naturalisation que par les membres du Conseil d’État ¬tous présents, ils ne manqueraient sous aucun prétexte cette cérémonie. Quand tout le monde dit “je le promets”, il y a une émotion palpable. L’acmé du processus, le temps de la poignée de main, “bienvenue, chère concitoyenne, cher concitoyen !” Un moment dont personne ne voudrait se passer. »
Lors des cérémonies de naturalisation, il revient au chancelier de dire tous les noms de candidats à la citoyenneté suisse, les uns après les autres. Durant les 24 années passées au service de l’État, Vincent Grandjean a ainsi récité les noms de quelque 40'000 nouvelles citoyennes et nouveaux citoyens.
Parmi eux, Driton Kajtazi. Naturalisé il y a quelques années déjà, il s’en souvient encore avec émotion : « À cet instant, j’ai vu ma vie défiler. Mais surtout, en prêtant serment, je me suis senti en paix et fier de cette nouvelle responsabilité. » (DA)
Nuria Gorrite : «Un engagement personnel, de soi à soi»
Nuria Gorrite a prêté serment lors de sa naturalisation, puis comme conseillère communale, municipale, syndique, députée et encore comme conseillère d’État. C’est peu dire qu’elle connaît la musique. Et pourtant, pour la Présidente du gouvernement vaudois, chacun de ces moments fut unique, marquant durablement les étapes de son parcours personnel et politique, comme une « balise morale et éthique ».
Que fut son ressenti lors de chacune de ses assermentations ? « Les pensées intérieures sont multiples et humaines, elles nous renvoient forcément au chemin parcouru. Lorsqu’on fait de la politique en tant que femme ou homme, cela signifie également que l’on s’est engagé dans un processus collectif qui est celui du “nous”. Mais, au moment de se lier par serment, on est seul à prendre la responsabilité. Le premier sentiment est alors celui de la prise de conscience de la solitude de la fonction. Symboliquement, mais concrètement aussi, ce moment est celui du “je”, celui de l’engagement individuel, d’un face-à-face de soi à soi. »
Souvenirs immuables
Parmi les différentes prestations de serment auxquelles Nuria Gorrite s’est prêtée, la plus forte, celle gravée dans sa mémoire, est celle de conseillère d’État : « En raison de la solennité de la cérémonie, du lieu, la cathédrale de Lausanne. Le décorum est symboliquement puissant. »
Autre lieu, autre ambiance. L’assermentation de sa nouvelle collègue Christelle Luisier, en pleine crise sanitaire, l’a également fortement marquée. « Pour les raisons que nous connaissons tous, on s’est retrouvé dans une salle du Grand Conseil : dix personnes en tout, toutes masquées. Le moment n’en était pas moins fort. Ce fut une assermentation exceptionnelle dans une situation tout aussi exceptionnelle. »
Le témoignage de la continuité
La présidente du Conseil d’État est profondément attachée aux cérémonies de naturalisation : « Un témoignage de la continuité. J’ai été naturalisée et maintenant je naturalise. » Et puis, il y a aussi ces instants rares qui laissent des traces durables. « Lors sa naturalisation, la cantatrice Barbara Hendricks nous a proposé de chanter pour marquer sa reconnaissance au Pays de Vaud, terre d’accueil. Exceptionnellement, nous avons accepté et reçu ce cadeau. »
En filigrane de ses souvenirs, on aura compris que pour Nuria Gorrite, le fait de prêter serment n’a rien de désuet. « Au contraire ! Je crois beaucoup aux rituels, ce serait une erreur de les mépriser. Le serment nous rappelle que la fonction que nous occupons transcende nos petites destinées individuelles : il inscrit notre action dans la continuité des institutions. Nous devons les chérir parce qu’elles protègent les humains, surtout dans les moments troublés comme ceux que nous connaissons aujourd’hui. »
Texte de prestation de serment du Conseil d’État
Avant d'entrer en fonction, les membres du Conseil d'État solennisent, devant le Grand Conseil ou devant une délégation de ce corps, la promesse suivante :
« Vous promettez d'être fidèle à la Constitution fédérale et à la Constitution du canton de Vaud. Vous promettez de maintenir et défendre, en toute occasion et de tout votre pouvoir, les droits, la liberté́ et l'indépendance de votre pays ; de procurer et d'avancer son honneur et profit, comme aussi d'éviter ou d'empêcher ce qui pourrait lui porter perte ou dommage. Vous promettez aussi d'exercer en toute conscience la charge importante à laquelle vos concitoyens vous ont appelé́; d'avoir toujours, dans tout ce qui sera projeté́, discuté et arrêté, la vérité́ et la justice devant les yeux ; de vous opposer avec toute la force et tout le zèle dont vous êtes capable à tout ce qui pourrait nuire aux principes de la religion et aux mœurs ; de faire exécuter les lois avec courage et fermeté́; de veiller au maintien de l'ordre public ; de nommer toujours celui que vous croirez le plus éclairé́, le plus honnête et le plus propre à l'emploi dont il s'agira ; de tenir secrètes les opinions ainsi que les choses et les affaires que ne doivent se révéler, sinon en temps et lieu convenables ; enfin de n'excéder jamais les attributions que la Constitution donne au Conseil d'État. »
Ndlr : les mots « aux principes de la religion et… » sont supprimés pour le membre du Conseil d'État qui en fait la demande.