Éducateur au Tribunal des mineurs
Afin d’encadrer des jeunes qui ont commis des délits, les juges vaudois pour mineurs peuvent recourir à l’Unité des mesures socio-éducatives et à l’Unité des prestations personnelles du Tribunal des mineurs. Découverte de deux ramifications méconnues de la profession d’éducateur.
C’est l’histoire d’une rencontre forcée, mais salvatrice. Il y a quatre ans, Christophe Dufour, éducateur au sein de l’Unité des mesures socio-éducatives du Tribunal des mineurs, est mandaté par un juge pour évaluer et encadrer Nicolas*. Cette première entrevue s’effectue dans un parloir du centre de détention pour mineurs, à Palézieux. Ce multirécidiviste en rupture familiale et scolaire a alors 16 ans et purge une peine pour violences sous l’emprise de l’alcool.
Christophe Dufour doit tenter de l’accompagner sur un chemin de vie plus serein et, si possible, prévenir la récidive. Un chemin dont il s’éloigne malgré tout à de nombreuses reprises. Bagarres et alcool, le revoilà de retour derrière les barreaux pour près de deux ans. Aujourd’hui, désormais âgé de 20 ans, il fréquente un lieu de transition où il peut exercer une activité durant la journée, avec en point de mire l’obtention d’un CFC. Il a aussi renoué des liens avec sa famille et veut emménager avec sa copine. «C’est beau, car on sent qu’il a envie de construire quelque chose», commente celui qui a endossé à son égard, des années durant, le rôle d’adulte référent, l’aiguillant et le conseillant. «Si notre mission première est de renseigner le juge, l’autre volet de notre fonction consiste à créer du lien. Avec mes cinq collègues, nous apportons à ces jeunes – souvent en manque de cadre et de ressources dans leur entourage proche – une disponibilité d’esprit, du temps d’écoute, ainsi que des conseils», résume Christophe Dufour, qui remplit ce mandat depuis quatre ans, après avoir travaillé en foyer durant neuf ans.
« Notre fonction consiste à créer du lien »
Pas encore suivi
Si l’exemple de Nicolas, qui est en passe de s’en sortir, donne tout son sens au métier de Christophe Dufour, est-il pour autant emblématique des ados que ce quadragénaire voit passer ? «Ils ont des profils très variés, répond-il. Disons que la majorité d’entre eux a entre 15 et 18 ans, des difficultés sociales et/ou scolaires et qu’ils ne sont pas déjà, ou plus, suivis par la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse. Depuis quelque temps, on voit toujours plus de jeunes qui commettent des délits sur internet (menaces, etc.), bien souvent sans se rendre compte de la portée de leurs actes.»
Chaque éducateur traite simultanément une vingtaine de dossiers différents. La durée de la prise en charge fluctue entre quelques mois et des années, à raison généralement d’un rendez-vous hebdomadaire au tout début, puis mensuel par la suite.
La rencontre initiale avec le jeune se passe le plus souvent avant le jugement. «La plupart du temps, nous réalisons d’abord une «photographie» de la situation sociale et familiale de l’enfant, souligne le spécialiste. Un rapport est alors rendu au juge, qui choisit ou non de continuer le suivi après le jugement. Nous sommes également conviés à nous exprimer lors de l’audience.»
Un premier contact déterminant
Le premier contact avec l’adolescent et ses proches s’avère déterminant, aux dires de l’éducateur. «Pour moi, c’est un moment charnière et compliqué, car on ne sait jamais dans quoi on se lance, d’autant plus qu’il s’agit d’une aide contrainte, imposée par le juge, explique-t-il. Il ne faut pas être d’emblée pris en grippe, sans quoi le lien risque d’être compliqué à rétablir. À ce moment précis, nous devons être capables de tenir une certaine posture. Nous sommes également parfois en présence de familles qui n’ont jamais dû faire face à la justice, et avec lesquelles nous endossons un rôle de médiateur. Travailler pour le Tribunal des mineurs permet d’utiliser les multiples cordes qui se trouvent à l’arc du travailleur social.»
*prénom d’emprunt
Le jugement a été rendu, la peine est tombée comme un couperet pour ces mineurs qui ont enfreint la loi. Il est désormais temps pour eux de payer leur dette à la société. «Mes deux collègues et moi-même convoquons chaque année près de 1000 jeunes auteurs qui ont été condamnés à la suite d’une infraction. Pour la majorité d’entre eux, il s’agit de garçons dont l’âge moyen est 16 ans (mais cela peut osciller entre 10 et 20 ans, ndlr) », explique Nihal Falay Carera, éducatrice àl’Unité des prestations personnelles du Tribunal des mineurs. Dans près de 80 % des cas, ce ne sont pas de vrais délinquants, mais des jeunes qui ont commis une erreur de parcours, comme un vol à l’étalage. Les cas plus lourds sont en revanche les plus chronophages et toujours davantage liés à des troubles psychologiques.» Le rôle de cette quadragénaire est donc de faire en sorte que la sanction prononcée par le juge soit correctement exécutée.
Le travail manuel, un formidable médiateur
De quels types de sanctions parlons-nous ? De séances de prévention en lien avec le caractère du délit, que ce soit la consommation de stupéfiants ou d’alcool, le cyberespace, la sécurité routière, les pompiers ou encore la petite violence; d’astreintes à résidence, à savoir le placement dans un milieu agricole quand le juge estime qu’il faut sortir le jeune de son environnement pour l’exécution de ses prestations personnelles; de séances en bibliothèque avec des bénévoles de l’association Lire L!ve; et, enfin, de peines exécutées sous forme de travail, la mesure la plus fréquemment ordonnée, en moyenne sur une durée de quatre jours. « Si l’on détermine que le jeune est en mesure d’évoluer dans un milieu public, il peut, par exemple, aider dans les cuisines d’un EMS ou au sein d’une commune. Si ce n’est pas le cas, il est dirigé vers un chantier encadré par des travailleurs sociaux. » Entendez par là l’atelier de travail pour mineurs exploité par la Fondation vaudoise de probation ou un groupe coaché par Nihal Falay Carera ou l’un de ses collègues, où la jeune personne effectuera des travaux manuels.
« Le travail manuel est un formidable médiateur. Au-delà du caractère «réparatif» de cet acte, il peut également jouer un rôle valorisant pour des jeunes qui sont souvent en manque de reconnaissance et de confiance. Beaucoup de choses s’y jouent....Si certains restent mutiques, ce qui est leur droit, les langues se délient bien souvent…»
Par exemple auprès d’une institution d’utilité publique dans le secteur du maraîchage, dans un centre de récupération de tortues, dans le cadre de l’entretien d’un monastère, ou encore, prochainement, au sein d’un atelier bois à l’École de la construction, à Tolochenaz. « Le travail manuel est un formidable médiateur, constate-t-elle. Au-delà du caractère «réparatif» de cet acte, il peut également jouer un rôle valorisant pour des jeunes qui sont souvent en manque de reconnaissance et de confiance. Beaucoup de choses s’y jouent, plus que dans un cadre public.» Si certains restent mutiques, ce qui est leur droit, les langues se délient bien souvent… «Même si nous représentons l’autorité, beaucoup finissent par s’ouvrir à nous. Je me souviens notamment d’un ado condamné pour des actes de violence qui, en construisant des barrières de sécurité sur un parcours de nordic walking, a été touché par le fait de participer à la sécurité des autres. Ou encore de ce garçon qui a compris que le planton qu’il avait devant les yeux allait devenir un arbre et qui a tout fait pour le protéger.»
Sur le terrain et au bureau
À cette dimension sociale fait écho un volet administratif. Ainsi, depuis maintenant 10 ans, le quotidien professionnel de Nihal Falay Carera se partage, de manière plus ou moins égale, entre le terrain et le bureau, depuis lequel elle doit également régler de nombreuses tâches. « Il nous incombe notamment de convoquer les jeunes aux ateliers, de les relancer s’ils n’y viennent pas, d’entretenir nos réseaux ou encore de soigner et développer nos relations avec nos partenaires. »
Qu’apprécie-t-elle le plus dans son métier? « La variété, répond celle qui a précédemment travaillé en foyer. Mais aussi ce contact privilégié avec les jeunes dans un cadre bien précis, pour une durée restreinte. Cette limite temporelle rend la relation plus directe. J’aime ce cadre judiciaire clair, dans lequel on dispose d’une certaine liberté de manœuvre. » Des jeunes qu’elle ne reverra d’ailleurs généralement plus, puisque son travail s’arrête juste après l’exécution de la peine. (FR)