Vétérinaire cantonal, un homme tout terrain
Maillon important de la santé publique, le métier de vétérinaire cantonal reste méconnu malgré de fréquents coups de projecteur médiatique qui demeurent des cas particuliers, loin de son quotidien. Dans son bureau de Saint-Sulpice, à quelques encablures du lac, Giovanni Peduto nous éclaire sur la réalité de son travail.
Considéré comme le garant de la santé et du bien-être des animaux, le vétérinaire cantonal est sur tous les fronts. Parmi ses nombreuses missions, il veille aux menaces d’épizooties, aux conditions de vie ou de morts des bêtes dans les élevages, chez les particuliers ou à l’abattoir. Et puis, de plus en plus souvent ces dernières années, il se retrouve en première ligne lorsque des cas de maltraitance sont dénoncés publiquement. Pourtant, rien sur le visage serein et la voix posée de Giovanni Peduto ne trahit le moindre débordement. Un peu comme son bureau aux allures spartiates où rien ne traîne: «Physiquement, mon bureau est à mon image, dit-il, un sourire discret aux lèvres. Je me concentre sur ce qui est important et essentiel. Le reste n'est que garniture.»
Comment voit-il le rôle du vétérinaire cantonal ? «Contrairement à l’imaginaire des gens, qui nous associe souvent à ceux qui prennent soin de leurs animaux de compagnie, notre mission est beaucoup plus globale et constitue surtout un maillon important de santé publique. Mais pour résumer l’éventail des missions des affaires vétérinaires – qui dépendent de la Direction générale de l’agriculture, de la viticulture et des affaires vétérinaires (DGAV) – on peut les classer en quatre grands axes d’égale importance: la protection des animaux, la sécurité alimentaire, la santé et la sécurité publique.»
«La sensibilité de la population ayant évolué, l'animal n'est plus simplement un animal de rente qui doit servir, notamment, à la chaîne alimentaire. Désormais, il occupe une place importante dans la société.»
Du soin au bétail à la mort du homard
Comme le résume Giovanni Peduto, des animaux sains produisent des denrées alimentaires de qualité. De même, il est devenu essentiel que les animaux soient correctement traités: «La sensibilité de la population ayant évolué, l'animal n'est plus simplement un animal de rente qui doit servir, notamment, à la chaîne alimentaire. Désormais, il occupe une place importante dans la société en tant qu’animal de compagnie. Un changement de perception qui a légèrement affaibli la dimension santé publique de notre métier.»
Le vétérinaire cantonal constate que lorsqu’il a débuté, en 2006, son activité était essentiellement en lien avec le monde agricole et les animaux de rente. Aujourd’hui, les questions liées aux animaux de compagnie, les problématiques de protection des animaux et l’expérimentation animale, ont pris plus d’importance et viennent équilibrer son temps de travail: «Nous passons désormais du temps pour des espèces pour lesquelles nous ne faisions quasiment rien auparavant. Comme les reptiles et autres animaux sauvages. Mais également d'autres espèces qui nécessitent soudainement une prise en charge. Comme, récemment, le homard et la question de sa mise à mort.»
Au cœur de la santé publique
A contrario, la pandémie de COVID a permis de remettre en évidence cet aspect fondamental et de resituer le rôle du vétérinaire cantonal au cœur de la santé publique : «Certains concepts, qui nous sont depuis longtemps très familiers, sont devenus plus compréhensibles à la population: le traçage et la propagation, sans parler des gestes barrières, qui s’apparentent aux mesures de biosécurité qu'on applique dans les fermes. De même, les épizooties qui paraissaient auparavant très exotiques, lointaines et qui s'approchent désormais de nos frontières ont renforcé notre rôle en matière de santé publique.»
Si les réalités cantonales, nationales et extraterritoriales sont souvent entremêlées, surtout lorsqu’il s’agit d’affronter les épizooties, des aspects plus régionaux demeurent. «Il faut tenir compte des différences d’un canton à l’autre, qui sont fonction du tissu économique, de leur nature urbaine ou rurale. À titre d’exemple, le canton de Vaud, qui abrite une forte population canine – une problématique plutôt urbaine –, dispose d’une base légale plus précise.»
«Du moment qu’on touche aux animaux, un sujet devenu très émotionnel, nous sommes souvent sollicités. Il est d’autant plus important de communiquer avec clarté. Notamment, pour expliquer des choses qui peuvent apparaître inconcevables lorsqu'elles sont jetées en pâture sur les réseaux sociaux.»
Analyser, nuancer et expliquer
Si le vétérinaire cantonal est un homme discret, il se retrouve plus souvent qu’il ne le souhaiterait dans la lumière médiatique. «Du moment qu’on touche aux animaux, un sujet devenu très émotionnel, nous sommes souvent sollicités. Il est d’autant plus important de communiquer avec clarté. Notamment, pour expliquer des choses qui peuvent apparaître inconcevables lorsqu'elles sont jetées en pâture sur les réseaux sociaux. Il y a des réalités qu'il faut pouvoir analyser, nuancer et expliquer. Je pense, notamment, à l'élevage de porcs. Pourquoi se fait-il dans ces conditions ? Quels en sont les avantages et les inconvénients. Expliquer aussi pourquoi il faut trouver un juste milieu au cadre législatif pour éviter les effets indésirables: si tout d'un coup les exploitations venaient à fermer parce que les conditions étaient devenues économiquement ingérables, le risque serait que nous finissions par importer de la viande d’animaux élevés dans des conditions désastreuses.»
Détresse psychologique
Pour Giovanni Peduto, s’il faut aborder la santé publique dans le sens large, il arrive aussi qu’elle surgisse de manière détournée et mette en lumière des problèmes sociaux, comme la solitude. «L’exemple classique est celui d’un chien qui aboie dans un appartement aux volets fermés. Dans certaines situations, une détresse humaine se répercutera directement sur l'animal. Mais en le retirant à son propriétaire, nous risquons également de renforcer une détresse psychologique. Dans ces cas de figure, nous travaillons conjointement avec des assistants sociaux, des curateurs ou encore des médecins pour trouver une solution adaptée. Parfois, il faut décider de retirer la garde de l'animal, mais jamais sans faire une pesée d'intérêts entre le bien-être d'un animal et la détresse psychologique d’un individu. Savoir où mettre le curseur n’est pas toujours évident.»
Indispensable présence sur le terrain
La sobriété de son bureau trahit aussi le temps que Giovanni Peduto passe sur le terrain : «J'essaie d’être le plus proche possible de la réalité des personnes, des éleveurs, des animaux.» Selon lui, cette présence est indispensable, car elle permet de «relayer les besoins du terrain auprès de la Confédération, qui pourra ainsi affiner ses stratégies. Cela est par exemple le cas pour la campagne de vaccination contre la fièvre catarrhale ovine.»
Menaces d’épizooties
L’année 2023 sera très clairement marquée par la peste porcine, qui s’approche des frontières helvétiques. Selon le vétérinaire cantonal, des foyers sont signalés en Allemagne, près de la frontière bâloise, mais également dans le Piémont, en Italie : «Quant à la grippe aviaire, elle devient quasiment endémique en Europe. Avant, on enregistrait quelques foyers en hiver, désormais, elle touche quasiment toute l'Europe, et toute l'année. La menace est bien là, et elle s’approche.»
Pour réduire notre vulnérabilité par rapport à cette menace, le vétérinaire cantonal préconise une formation accrue des personnes impliquées dans cette lutte: «Cela implique aussi la mise en place des dispositifs de surveillance et de détection précoce, des plans de lutte actualisés avec le matériel adéquat. En fait, nous vivons une situation similaire à celle du COVID, mais à l'échelle animale. Et nous nous y préparons.» (DA)
Recensement animal
Fin 2021, le canton de Vaud est en tête du peloton suisse avec une population canine approchant les 60 000 chiens, avec accroissement de 3300 individus (soit plus de 5%) entre 2020 et 2021. «Certaines hypothèses évoquent un effet COVID», commente avec prudence Giovanni Peduto.
Pour ce qui est du recensement des autres espèces, l’effectif des animaux de rente (bovins et porcs) poursuit une diminution entamée depuis une trentaine d’années. En 1994, on comptait 135 000 bovins contre 112 000 aujourd’hui. De 44 000 porcs, on est passé à 32 000 unités – dans ce cas, le durcissement de la législation en matière d’élevage est à l’origine de cette diminution.
Toujours pendant la même période, le nombre de petits ruminants (veaux, moutons, brebis) est stable alors que celui des volailles a explosé, passant de 555 000 à 1,4 million de têtes – «un effet économique et diététique». Enfin, l’effectif des chevaux a doublé pendant cette même période, s’élevant désormais à 9500 – «qui est probablement en lien avec son changement de statut, puisqu’il est passé d’animal de rente à celui d’animal de compagnie.»
En revanche, il est impossible de connaître le nombre de chats, ceux-ci n’étant pas soumis à une obligation d’enregistrement. Néanmoins, à l’échelle nationale, on les estime à plus 1,7 million, approximation faite sur la base de la quantité d’aliments vendus en Suisse.
Protection des animaux en quelques chiffres
Plus de 320 procédures ont été ouvertes en 2021 dans le canton concernant la protection des animaux, dont une partie en collaboration avec la gendarmerie, la police, l'Administration fédérale des douanes et les sociétés de protection des animaux. 165 infractions ont été dénoncées aux autorités judiciaires.
Le nombre de cas d'importations illégales de chiens et de chats recensés s'est élevé à 200 cas. Les mesures nécessaires ont été prises.
Affaires vétérinaires en chiffres
Le service des affaires vétérinaires compte environ 40 collaboratrices et collaborateurs, dont une dizaine de vétérinaires, des biologistes, des agronomes, du personnel administratif, des laborantins et autres techniciens (ces derniers étant basés à l’Institut Galli-Valerio, au centre de Lausanne).
Il peut également s’appuyer sur un réseau d’une vingtaine de vétérinaires externes. Constituant un dispositif de première alerte, ces vétérinaires, dont les cabinets sont répartis sur l’ensemble du territoire, sont un rouage important lorsqu’une campagne de vaccination est décidée ou s’il faut assurer une surveillance nécessitant des prises de sang, par exemple. (DA)