Dans les coulisses du déménagement du mudac
Le Musée cantonal du design s’apprête à élire domicile dans le quartier des arts Plateforme 10. Son nouvel écrin à l’architecture très contemporaine s’ouvrira au public le 18 juin. Chantal Prod’Hom, sa directrice, revient sur la difficulté et les enjeux de ce changement d’adresse.
Un déménagement représente toujours une épreuve logistique périlleuse et nerveusement éprouvante. C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit d’un musée. Cela nécessite alors un véritable travail de fourmi – même si, en l’occurrence, ce n’est pas le musée d’histoire naturelle qui s’apprête à changer d’adresse, mais bien celui de design et d’arts appliqués contemporains ! Après 22 années passées dans une bâtisse du XVIIe siècle sise en face de la cathédrale de Lausanne, le mudac s’installera dans le quartier des arts Plateforme 10, à proximité de la gare de Lausanne – le public aura accès dès le 18 juin à cet édifice à l’architecture moderne, aux lignes épurées, que le mudac partagera avec Photo Élysée.
Si deux expositions inaugurales sont programmées à l’occasion de cette ouverture, le déménagement des quelque 3000 pièces du musée est prévu par la suite, en deux temps: début juillet, puis dans le courant du mois de novembre. « La configuration de l’ancien bâtiment nous a jusqu’ici obligés à stocker les œuvres dans différents dépôts, mais nous allons progressivement toutes les rapatrier dans le sous-sol du nouveau musée, où des espaces au climat stable, tant au niveau de l’hygrométrie que de la température, ont été prévus », détaille Chantal Prod’Hom, directrice du mudac.
L’art… de l’emballage et du calage
Tout semble pourtant déjà être réglé comme du papier à musique. « Cela fait trois ans que nous menons une campagne de récolement, c’est-à-dire d’identification, de localisation et de vérification de l’état des œuvres, poursuit-elle. Mes collaborateurs ont suivi des cours afin de manipuler les différents objets de la manière la plus adéquate possible. Les gants à utiliser ne sont, par exemple, pas les mêmes selon les matériaux constituant l’œuvre. » Le gros du travail sera toutefois assuré par des déménageurs agréés beaux-arts, qui maîtrisent l’art… de l’emballage et du calage. Ils seront… encadrés, au départ comme à l’arrivée du convoi, par l’équipe des conservateurs. « Comme nous ne sommes pas un musée dont la mission première est patrimoniale, notre collection n’est pas énorme en nombre, mais de grande qualité, explique Chantal Prod’Hom. En revanche, la pluralité des matériaux, la fragilité et les formats tridimensionnels compliquent grandement la tâche. De fait, des caisses sur mesure seront parfois nécessaires. »
Qu’en sera-t-il de la plus grande collection d’art verrier d’Europe, détenue par le mudac ? « Elle sortira du bâtiment actuel comme elle y est entrée, à savoir par le toit, grâce à un lift extérieur », explique Chantal Prod’Hom, qui affiche un sourire confiant. Seul un coup de malchance semble en effet pouvoir jouer les trouble-fête, tant le travail réalisé en amont est minutieux.
L’ouverture à d’autres propositions
Mais revenons au nouveau bâtiment. Autre décor, autre ambiance, mais aussi autres perspectives. « Cela ouvre une nouvelle ère, comme si l’on appuyait sur un bouton reset », image Chantal Prod’Hom, qui rappelle que la surface d’exposition passera à 1500 m2, soit le double d’avant. « Cet outil contemporain, tellement plus simple à gérer d’un point de vue logistique, va immanquablement nous ouvrir à des propositions et des réflexions nouvelles. D’autant plus que l’espace est modulable. Les parois amovibles nous permettront notamment de proposer plusieurs expositions simultanément. »
Ce changement sur la forme ne devrait en revanche pas avoir un écho sur le fond. « J’espère que nous allons continuer à porter un regard anthropologique sur l’univers du design », souhaite la directrice.
La preuve nous en sera en tout cas donnée avec les deux expositions inaugurales, visibles en même temps. La première, « Écoutons la Terre », réunira des œuvres majoritairement acquises récemment, en lien avec l’environnement et le développement durable; la seconde, projet commun aux trois musées, sera consacrée au train. « La proximité avec Photo Élysée et le Musée cantonal des Beaux-Arts va créer une nouvelle dynamique, estime la connaisseuse. Nous avons d’ailleurs décidé de proposer un billet unique, transmissible, qui permet un accès aux trois musées et restera valide trois mois. Nous menons une politique incitative à l’égard du public. » L’art et la manière de susciter l’intérêt… (FR)
Interview
« J’ai toujours aimé casser les codes »
L’historienne de l’art Chantal Prod’Hom a créé le mudac, ex-Musée des arts décoratifs, en 2000. Une institution qu’elle a dirigée jusqu’ici avec un enthousiasme inaltérable et dont elle prendra congé en fin d’année.
2022 est une année très particulière pour vous…
Effectivement. C’est à la fois l’année du déménagement du mudac, de l’ouverture d’une nouvelle ère pour notre musée, de la finalisation du quartier Plateforme 10, pensé pour favoriser la vie sociale et dont j’ai été, pendant cinq ans, la présidente du conseil de direction de la phase projet, et de ma retraite.
Avez-vous encore d’autres projets à finaliser avant votre départ, en fin d’année ?
Je travaille depuis cinq ans sur la première grande exposition qui sera présentée, fin octobre, sur l’intégralité du plateau d’exposition du nouveau mudac. Elle me tient particulièrement à cœur, car il s’agit de dévoiler une sélection de chaises atypiques, majoritairement des prototypes, des pièces uniques ou produites en petite série, issues de la collection genevoise de Thierry Barbier-Müller. Chacune d’entre elles aura son propre environnement sonore et lumineux, assuré par l’extraordinaire metteur en scène américain Robert Wilson. De quoi offrir à ces chaises un rôle de divas !
Ce mélange des genres représente-t-il la patte Chantal Prod’Hom ?
J’apprécie l’art et le design, mais aussi de nombreux autres domaines, comme le milieu des arts vivants. Étant donné que mes intérêts sont variés, j’ai toujours aimé casser les codes, mixer les catégories.
C’est ce qui a fait la réputation du mudac en Suisse et même à l’étranger ?
Entre autres. Dès ma première exposition, intitulée « Air en forme » et dédiée aux objets gonflables, j’ai bénéficié d’une grande liberté de programmation, qui a permis au mudac de se positionner dans le secteur du design, mais au sens large, et d’être atypique. Nous avons aussi développé une programmation très dynamique au travers de nos expositions temporaires. Je lèguerai tout cela à ma ou mon successeur, ainsi qu’un musée très fonctionnel et une équipe extrêmement solidaire et professionnelle. J’espère qu’il ou elle aura autant de plaisir que moi j’en ai eu.
À vos débuts à la tête du mudac, auriez-vous imaginé que votre musée allait acquérir une telle notoriété ?
Je n’ai jamais orienté la programmation en me disant qu’il fallait viser ce but. C’est, chemin faisant, en gardant tous nos sens en mode écoute et prospection, que les thèmes ou les choix des designers qui nous intéressaient ont pris forme. Le regard porté sur nos modes de fonctionnement, les questionnements sur la société contemporaine ont progressivement établi la réputation d’un musée original, curieux et inventif. La notoriété se construit à partir de l’offre que le musée propose au public, large et ciblé.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du paysage muséal ?
La médiation, terme qui désigne la manière d’accueillir le public, a énormément évolué ces 20 dernières années.Les musées offrent de nouvelles clés de lecture à leur public pour ne pas rester élitistes et réservés aux seuls connaisseurs. Notre nouvel écrin place, par exemple, sa salle d’accueil des publics au cœur même des espaces d’exposition, afin de rendre la programmation plus accessible. Cette mission est essentielle, car tout ce que nous faisons doit être orienté vers et pour le public.
Comment abordez-vous votre retraite ?
Diriger un musée est très enrichissant, car c’est un outil de transmission extraordinaire, qui offre l’opportunité de se poser de nombreuses questions sur le monde qui nous entoure. D’un autre côté, cela représente une charge de travail considérable. Quitter cette fonction me permettra de poursuivre d’autres activités qu’il était parfois difficile de concilier avec mon emploi du temps fort chargé, comme faire partie de jurys d’art et de design, écrire des articles pour des magazines ou des publications spécialisées, ou encore faire du commissariat d’exposition. Je me réjouis de pouvoir ainsi collaborer à d’autres et nouveaux projets ! (FR)