Illustration: formes en couleur sur lesquelles on lit les mots équivalents de "Bonjour" dans différentes langues (Hello, Bom dia, Assalam Aleykom, et caetera.)
De nombreux services de l'administration communiquent dans plusieurs langues les informations jugées essentielles à une bonne compréhension de nos institutions, et surtout des rouages administratifs essentiels.| Illustration: BIC (FA)
Communication

Un canton plurilingue et polyglotte

Une récente étude statistique a mis en valeur le multilinguisme dans le pays de Vaud. Et pour les nouveaux habitants ne maîtrisant pas encore la langue de Molière, de nombreux services de l’administration cantonale s’adaptent et communiquent dans plusieurs langues. Survol de quelques actions mises en place afin d’améliorer l’accueil des populations allophones.

De nombreux services de l'administration communiquent dans plusieurs langues les informations jugées essentielles à une bonne compréhension de nos institutions, et surtout des rouages administratifs essentiels.| Illustration: BIC (FA)
11 minutes de lecturePublié le 30 mars 2022

Fruit d’un remarquable dynamisme démographique, le multilinguisme s’épanouit en terre vaudoise (lire plus bas). Revers de la médaille, cette tendance implique également un nombre croissant de personnes, pour la plupart nouvellement résidentes, encore peu familières avec la langue française. L’administration ne les pas oubliées.

Au Service de la population

Le Service de la population travaille dans plusieurs domaines avec la population étrangère : titres de séjour, asile, intégration, naturalisation, notamment. Sur la page d’accueil de son site, pendant la pandémie, les informations de base sur le dispositif COVID du service ont été traduites en anglais. Certaines pages, notamment celles concernant les conséquences du Brexit pour les ressortissants britanniques résidant en Suisse, ont également été traduites. Mais surtout, pour répondre à l’urgence et l’afflux des personnes fuyant la guerre en Ukraine, une page dédiée à l’obtention du statut de protection S est entièrement traduite en ukrainien.
Comme le précise Frédéric Rouyard, porte-parole du Service de la population, les collaboratrices et collaborateurs du service sont d’origines diverses. Outre le français et l’anglais, plusieurs maîtrisent souvent une autre langue comme le croate, le serbe, l’albanais, l’italien, l’arabe, le portugais ou encore le polonais.

| Image: BIC (MG, LC)

Un « bienvenu » très polyglotte

Afin de faciliter les premiers pas sur le territoire vaudois, le Bureau cantonal pour l’intégration des étrangers et la prévention du racisme (BCI) a réalisé une brochure intitulée Bienvenue dans le canton de Vaud. Elle se décline en treize langues, de l’allemand au turc en passant par l’albanais, l’arabe, l’amharique et le tigrigna. Sa première édition remonte à 2008, peu après l’entrée en vigueur de la loi sur l'intégration des étrangers et sur la prévention du racisme. Cette brochure contient toutes les informations nécessaires aux personnes nouvellement arrivées dans le canton de Vaud. Amina Benkais-Benbrahim, déléguée à l’intégration du canton de Vaud, résume : « Elle doit leur permettre de comprendre le système institutionnel (écoles, assurances, emploi, etc.), les démarches administratives à entreprendre (permis de séjour, état civil, naturalisation, etc.), et contient aussi les coordonnées des organismes susceptibles de les aider à résoudre les éventuels problèmes rencontrés lors de leur installation, ainsi qu’une ribambelle d’informations pour leur faciliter la vie de tous les jours. »

Comment se fait le choix des langues ? « Il y a plusieurs critères, qu’il s’agisse de données statistiques sur les langues ou de flux migratoires récents, mais également en fonction des publics vulnérables », précise Amina Benkais-Benbrahim. Dans une logique de sensibilisation et de prévention auprès des communautés concernées, le BCI a également publié deux brochures : l’une sur le mariage forcé et l’autre sur les mutilations génitales féminines (en six langues).

Régulièrement remise à jour, la brochure Bienvenue dans le canton de Vaud est en cours de réédition. « Nous sommes en train de l’enrichir de plusieurs langues supplémentaires : le dari, le kurde et l’ukrainien ».

Visualisez les publications du BCI

https://www.vd.ch/index.php?id=1049910

Au DSAS

Le Département de la santé et de l’action sociale (DSAS) a produit des vidéos expliquant en plusieurs langues le système de santé et le fonctionnement de l’assurance maladie : des capsules avant tout destinées aux bénéficiaires du Centre social d’intégration des réfugiés. Comme l’explique Cathy Gornik, porte-parole du DSAS, « les migrants ont souvent de la peine à s’y retrouver dans ce domaine particulièrement complexe. Nous avons choisi les langues les plus souvent parlées parmi nos bénéficiaires, à savoir l’anglais, l’arabe et le tigrigna. »

En outre, plusieurs travaux sont en cours pour simplifier l’information pour les allophones et de nombreux francophones qui rencontrent des difficultés à lire et comprendre un texte. « Dans cet esprit, un travail de simplification se réalise en collaboration avec l’association Lire et écrire, explique Cathy Gornik. Nous travaillons avec cette association sur certaines de nos pages internet, documents imprimés et sur le contenu des courriers pour éviter le jargon juridique et administratif qui tend à perdre les gens. »

Pendant la pandémie de Covid-19

Rapidement, après le début de la crise sanitaire, le site du Canton mettait en ligne neuf vidéos (anglais, espagnol, tigrigna, arabe, tamoul, albanais) donnant les informations les plus importantes sur le coronavirus. Produites en collaboration avec l’Entraide protestante (EPER), ces vidéos ont été diffusées au niveau cantonal par le biais de ses différents partenaires sur le terrain. Cathy Gornik explique : « Le choix des langues est simple. Nous avons choisi celles des communautés au sein desquelles un fort besoin d’information a été identifié. » Au vu du succès de ces vidéos, le DSAS a répété l’exercice en traduisant le tract sur la vaccination ainsi que des vidéos explicatives en onze langues (anglais, espagnol, arabe, albanais, bosnien-croate-serbe, kurde, portugais, tamoul, tigrigna, somalien, romani). Nous souhaitons relever que nous avons collaboré très étroitement avec l’EPER pour la production et avec les partenaires du terrain et le BCI pour leur diffusion. Sans eux, il aurait été impossible d’aboutir à un tel résultat. ».

Un CHUV au renom international

Le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) est quant à lui essentiellement tourné vers la langue de Shakespeare. Au point qu’il a créé un site uniquement en anglais. Le portail international du CHUV met en avant une sélection de projets innovants menés au sein de l’institution, des chiffres clés, un aperçu de la Health Valley lémanique ainsi que des informations sur les activités humanitaires. Il comporte aussi un onglet destiné aux patients étrangers et anglophones en Suisse, ainsi que sur les possibilités de carrière pour les personnes en quête d’emploi. Mis en ligne le 1er juillet 2019 en parallèle avec l’ouverture à Lausanne de la 11e Conférence mondiale des journalistes scientifiques, ce site en anglais est relié au portail du CHUV (www.chuv.ch), mais autonome.

« Pour la petite histoire, ce site a été lancé en 2019, l’année où le magazine Newsweek a publié son classement des meilleurs hôpitaux du monde, qui propulsait le CHUV en neuvième position. »

Catherine CossyChargée des relations médias

Grâce à sa collaboration avec la Faculté de biologie et médecine de l’Université de Lausanne, ainsi que l’EPFL, le CHUV joue également un rôle de pointe et d’envergure européenne dans les domaines des soins médicaux, de la recherche médicale et de la formation : un monde dans lequel l’anglais joue un rôle prépondérant. Ainsi, les communiqués de presse portant sur des publications dans des revues internationales de renom, comme le nouvel implant pour traiter des paralysies, sont traduits en anglais. Édité par le CHUV et consacré aux avancées de la Health Valley lémanique ainsi qu’aux progrès des grandes institutions de recherche avec lesquelles l’hôpital collabore autour du globe, le magazine In Vivo sort trois fois par année en français sous forme papier depuis 2013. Une version en anglais est publiée sous forme numérique uniquement.

Par ailleurs, de nombreux documents destinés aux patients sont traduits au cas par cas et selon les besoins des services. Un exemple parmi d’autres, les formulaires de consentement qui existent en anglais, allemand, italien, espagnol et portugais.

L’école dans toutes les langues

À l’école obligatoire, tout est également mis en place pour que les parents allophones puissent assurer un bon suivi de la scolarité de leurs enfants, ce qui passe aussi par une bonne compréhension d’un système et de ses attentes. 

« Sur le site de l’État de Vaud, une page entièrement consacrée à l’information des parents est traduite en neuf langues, explique Joëlle Cochard, collaboratrice pédagogique à la Direction générale de l’enseignement obligatoire et de la pédagogie spécialisée. Tout le parcours scolaire est ainsi passé en revue et clairement expliqué, des différents cycles aux classes de raccordement, en passant par le choix des options, chaque étape étant détaillée dans des documents facilement imprimables. » Certaines pages du cahier de communication et de l’agenda de l’élève sont également traduites, toujours pour permettre aux parents de bien suivre l’évolution de leurs enfants. Et sous le lien « Schémas comparatifs par pays », ils peuvent mieux comprendre les correspondances entre notre structure scolaire et les leurs. À partir de la rentrée 2022, certaines pages de l’agenda de l’élève seront enrichies d’un code QR qui dirigera les parents directement sur les pages proposant des traductions.

« Actuellement, une traduction est réalisée à partir du moment où le seuil de 800 élèves d’une même langue est franchi. Il est cependant question d’abaisser ce seuil à 500 et d’introduire par exemple, le tigrigna ou le macédonien, ou encore d’ajouter certaines langues correspondant à des populations qui ne sont en mesure de comprendre aucune des autres langues de traduction », précise Joëlle Cochard. Et de manière générale, ces pages se veulent évolutives en fonction de la survenue de nouveaux besoins. Ainsi, un schéma comparant la structure scolaire vaudoise avec celle de l’Ukraine vient d’être ajouté.

Et du côté de la police ?

Au niveau du secrétariat de la Gendarmerie, la très grande majorité des courriers reçus et traités parviennent en langue française. Quelques cas isolés sont rédigés principalement en langue allemande ou anglaise. Chargée de communication à la police cantonale, Florence Frei explique : « La plupart du temps, les connaissances linguistiques du personnel sont suffisantes pour parvenir à une bonne compréhension du courrier, certains logiciels permettant le cas échéant de combler les éventuelles lacunes. Et lorsque cela ne suffit pas, des traducteurs agréés par la Police cantonale peuvent être sollicités. »

Lorsque la Gendarmerie agit en lien avec des investigations policières de type judiciaire (auditions de prévenus ou de témoins), elle a essentiellement recours à des interprètes agréés. Pour certains événements de peu de gravité où les circonstances sont clairement établies, comme un accident de la circulation, un gendarme peut se charger de la traduction pour autant que la personne entendue soit d’accord, ce qui sera inscrit noir sur blanc à l’audition.

Du côté de la Sûreté, les inspecteurs effectuent de nombreuses traductions, que ce soit lors d’auditions ou encore d’écoutes téléphoniques. Pour ce faire, elle recourt essentiellement à des interprètes agréés par la Police cantonale.

L’accent sur la prévention

Pour la direction communication de la police cantonale, la prévention de la criminalité nécessite un effort important en matière de traduction :

« Si l’on veut toucher nos cibles, c’est fondamental, nous l’avons fait pour le site et pour la brochure de synthèse qui sont traduits en douze langues. »

Florence FreiChargée de communication à la police cantonale

La campagne nationale de prévention cyber est quant à elle systématiquement traduite en trois langues (français, allemand et italien), car elle touche toute la Suisse. « Nous ne pouvons pas le faire pour toutes nos prestations de prévention faute de moyens, mais cela se développe », précise Florence Frei.

Traduit en justice ?

S’agissant des autorités et offices judiciaires vaudois, la langue de la procédure est le français, souligne d’emblée Liliane Beuggert, responsable de la communication à l’Ordre judiciaire. Il n’empêche. Lorsqu’une personne ne comprend pas le français ou n'est pas en mesure de s'exprimer correctement, un interprète est convoqué. Et il en va de même pour les personnes malentendantes qui peuvent également demander l’assistance d’un interprète en langue des signes. « L'interprète étant rémunéré, ce coût peut être mis soit à la charge d'une partie, soit réparti entre plusieurs parties, soit encore aux frais de l'État », explique Liliane Beuggert.

Dans le cas d’une procédure pénale, pour autant qu’un prévenu ne soit pas de langue maternelle française, ces frais sont alors pris sur les deniers publics. En revanche, si des parties souhaitent remettre au juge des pièces qui ne sont pas en français, elles devront faire préalablement traduire les documents en langue française, à leurs frais cette fois. (DA)

Le multilinguisme en chiffres

Le canton de Vaud accueille parmi ses quelque 823'000 habitants de nombreux italophones, des hispanophones, des lusophones, des anglophones, des germanophones, mais aussi des gens parlant une multitude d’autres langues. D’après la récente étude de Statistique Vaud (2019), basée sur la dernière Enquête nationale sur la langue, la religion et la culture, trois quarts de la population utilisent au moins deux langues de manière hebdomadaire. Riches des personnes originaires du Portugal, d’Espagne, d’Italie, des Balkans, sans oublier les Confédérés venus d’outre-Sarine et du Tessin, le canton est clairement multilingue.

Cheffe de projet à Statistique Vaud, Amélie de Flaugergues analyse les nombreuses données en la matière : « Les personnes pensent, travaillent, discutent et lisent souvent dans plusieurs langues. Ainsi, trois quarts de la population (âgée de 15 ans et plus) utilisent régulièrement plus d’une langue. Il s’agit d’un usage hebdomadaire, qu’il soit à l’écrit ou à l’oral. Dans le détail, 42 % de la population vaudoise déclare utiliser au moins une fois par semaine deux langues, soit une part plus importante que la moyenne suisse (38 %). Près d’un quart recourt régulièrement à trois langues et 9 % à quatre langues ou plus. »

Des loisirs en anglais

Dans le large éventail linguistique, l’anglais prévaut après le français, que ce soit dans un usage régulier, comme langue principale, ou dans un usage d’appoint, pour le travail ou les loisirs. C’est dans ce dernier contexte que son utilisation est la plus large, avec quatre personnes sur dix qui y recourent pour écouter la radio ou regarder la télévision. Ce sont les jeunes (15-24 ans) qui sont les plus nombreux (71%) à visionner des films ou regarder la télévision en anglais.

Quid du français ?

À l’inverse, si l’on considère la population résidente (âgée de 15 ans et plus), seul 0,5% (entre 1000 et 5000 personnes) n’utilise pas régulièrement le français – à savoir au moins une fois par semaine, que ce soit à l’écrit ou à l’oral. 18% (environ 117'000 personnes) n’ont pas mentionné le français comme une de leurs langues principales, 15% (99'000 personnes) n’ont pas mentionné le français comme une de leurs langues parlées habituellement à la maison. 7% des personnes actives n’ont pas mentionné le français comme une de leurs langues parlées habituellement au travail ; également 7% (44'500 personnes) n’ont pas mentionné le français, ni comme langue principale ni comme langue parlée habituellement à la maison ou au travail. (DA)

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