Apprendre un métier sans se blesser
À l’heure de la rentrée, la Direction générale des ressources humaines (DGRH) garde à cœur la santé et la sécurité au travail, notamment auprès des jeunes apprenties et apprentis qui démarrent leur parcours professionnel. En effet, comme le rappelle la SUVA, 25'000 jeunes en formation se blessent au travail, chaque année en Suisse. Soit une personne sur huit! Tour d’horizon d’un milieu semé d’embuches, mais plein de promesses.
Sur les quelque 525 apprenties et apprentis au sein de l’Administration cantonale vaudoise (hors CHUV, HEP et COFOP), 31 métiers sont représentés. Et des bureaux (environ 75% des jeunes suivent la formation d’employés de commerce) aux ateliers mécaniques en passant par les cuisines ou les bâtiments où œuvrent les agents d’exploitation, les risques ne sont évidemment pas les mêmes (lire les portraits de Paolo et Evan ci-dessous). «Certains métiers à risque, on pense aux bûcherons ou aux laborantins. Ces professions impliquent des formations Santé et sécurité au travail (SST) obligatoires et spécifiques; pour les métiers plus administratifs, nos efforts vont porter davantage sur la sensibilisation à l’ergonomie de la place de travail ou sur les plans d’évacuation des locaux en cas d’incendie», explique Stéphanie Mejri, responsable de l’Unité de l’apprentissage à la DGRH. «En plus de séances d’information générale destinées aux apprentis en début d’année scolaire, qui survolent quelques enjeux de SST, nous mettons en place des formations en ligne (e-learning) obligatoires ou non, ainsi que des modules de cours sur divers sujets, parfois même à la suite de demandes spécifiques.» Parmi les sujets brûlants et transverses, figurent en bonne place les risques psychosociaux, «une constante», selon la responsable. «On le sait, les jeunes dans l’adolescence rencontrent souvent des problèmes psychiques ou sociaux particuliers: ce sont des âges charnières, qui coïncident parfois avec des moments de vie compliqués.» Le maître-mot, ou plutôt la formule magique relayée par des campagnes nationales: «Encourager les apprenties et apprentis à dire ‘stop’». «Déjà pour des adultes expérimentés, cela peut s’avérer difficile; mais avec ce public-là, la dimension psychologique est l’objet de beaucoup d’attention afin d’éviter des burn-out ou des situations de harcèlement. Spécialement pour des métiers où l’on travaille derrière un guichet, en relation avec le public, parfois mécontent ou agressif, l’Unité de l’apprentissage est très vigilante.»
Donner l’exemple
Mettre en œuvre cette sensibilisation et «veiller au grain» sont les rôles principaux de l’Unité de l’apprentissage: «Nous sommes là en appui des services — qui recrutent eux-mêmes leurs apprentis; nous sommes présents pour développer les compétences des formatrices et formateurs en entreprise, mais aussi pour écouter et aider à résoudre certaines situations parfois problématiques».
Le cheval de bataille de Stéphanie Mejri et son équipe? Faire comprendre aux collaboratrices et collaborateurs de l’État leur rôle face à des apprentis. «Même s’ils ne sont pas formateurs, ils se doivent de montrer l’exemple, d’endosser un rôle de mentor. Il est à mon sens très important d’expliquer aux apprentis les dangers qui les guettent et leurs conséquences, mais encore davantage de leur montrer le chemin.» (EB)
Paolo Rossi, 16 ans - Apprenti employé de commerce en première année, au sein de la Direction générale des ressources humaines (DGRH)
Pour Paolo, tout est nouveau. En classe de raccordement 1 à l’École professionnelle commerciale de Nyon, il vient de faire sa rentrée pour devenir employé de commerce, à l’issue d’un apprentissage de trois ans en entreprise en mode dual. Depuis tout juste un mois, le jeune homme expérimente la vie de bureau au sein de la DGRH, où il est présent trois jours par semaine.
Oeuvrant durant les six premiers mois au service durabilité de cette direction générale (premier apprenti à occuper ce poste), l'une de ses missions est de trouver des solutions pour limiter les consommations d’énergie dans la gestion des stocks (fournitures de bureau, café, etc.) Charge à lui notamment de veiller à s’occuper de l’économat de façon durable, en optant par exemple pour la commande de stylos rechargeables. Des tâches qui semblent sans danger, mais qui, pourtant, recèlent leurs lots de mauvaises surprises.
Comme tous les apprentis de première année au sein de l’État, Paolo a suivi la séance interne de présentation organisée par son service, où l’unité SST a témoigné de quelques situations concernant la santé et la sécurité au travail. Ce qu’en a retiré Paolo? «Ce qui pourrait être un danger pour moi, c’est surtout quand je dois porter des cartons: c’est vrai que je sens mon dos en fin de journée…» Conscient de l’importance de bien fléchir les genoux et de veiller à répartir ou alléger les charges, il avoue tout de même que la prévention SST, dans certains cas, demeure un peu théorique pour lui. Il a par exemple suivi un e-learning sur les conduites à tenir en cas d’incendie et d’évacuation, mais il le confesse, «On sait bien que ça peut arriver, mais c’est tellement rare que cela reste quelque chose à laquelle je ne fais pas trop attention…» Et la surcharge de travail? « Nous sommes tenus de faire 8h18 par jour, et nous avons un badge pour pointer; en fait, s’il nous arrive de déborder un peu, on vient toujours vers nous pour nous dire d’arrêter ou de rattraper notre temps. Nous sommes très encadrés», assure Paolo, visiblement serein et motivé.
Evan Marmet, 17 ans et demi - Apprenti mécanicien de maintenance véhicules lourds en troisième année, au sein de la Direction générale de la mobilité et des routes (DGMR)
Evan entame sa troisième année d’apprentissage au Centre cantonal d’entretien des véhicules, à la Blécherette. Désormais, il n’a plus qu’une seule journée de cours par semaine à l’École professionnelle de Lausanne (EPSIC), dont il devrait sortir diplômé en 2024. Déjà rompu au travail de mécanicien de maintenance, identifié parmi les métiers à risque au sein de l’Administration cantonale, le jeune homme a appris à ses dépens les risques du métier. En octobre de l’année dernière, alors qu’il dévissait un tuyau qui n’était pas censé être sous pression, Evan a subi un jet d’huile hydraulique en plein visage. Touché au niveau des yeux, il en a été quitte pour une brûlure de la rétine, heureusement parfaitement soignée en deux semaines. Après plus de peur que de mal, comme il le dit lui-même, il tire de cet accident de salvateurs enseignements: «Nous, les apprentis, on a un peu tous le même discours au début: on n’écoute pas trop les mises en garde, on se dit qu’à nous, il n’arrivera jamais rien… Mais, même sans être une tête brûlée, je me suis rendu compte qu’un accident pouvait vite arriver. Ce que j’ai vécu aurait pu arriver à n’importe qui ici. Et, heureusement, ce n’était que de l’huile, et pas de l’acide… ça fait réfléchir. Maintenant, je préfère perdre deux minutes pour mettre des lunettes de protection, même si ça ne semble pas nécessaire, plutôt que de perdre la vue!»
Comme il tient à le rappeler, tout est vraiment mis en œuvre à la DGMR pour éviter les dangers, des vêtements techniques aux formations en passant par un encadrement attentif et bienveillant. «Dans notre quotidien, nous ne sommes pas à l’abri de recevoir une pièce lourde sur le pied, de nous faire mal au dos en portant une charge, de nous couper avec des outils ou de nous brûler avec des produits chimiques. En plus des e-learnings sur la santé et la sécurité au travail, et des piqûres de rappel régulières au quotidien, la DGMR nous offre, comme aux cantonniers, aux bûcherons ou aux laborantins, des cours en présentiel sur certains thèmes. Pour ma part, j’ai suivi deux modules: «Apprendre à porter des charges» et «Ergonomie et posture au bureau» car, pour les cours, je sentais que j’en avais besoin.»
Si Evan se sent bien protégé dans son travail, ce n’est pas uniquement grâce à ses chaussures de sécurité S3 ou à sa salopette normée anti-feu, antiacide, et anti-électricité: «Globalement, on est plus que bien formé; et entre le chargé de sécurité au travail et mon chef d’atelier et maître d’apprentissage, on se sent bien encadré. J’ai des supérieurs très à l’écoute qui préfèrent nous entendre dire ‘stop’ au moindre doute plutôt que de nous voir nous faire du mal.» La santé et la sécurité au travail ? Pour Evan, c’est du concret. (EB)