Julia Genechesi, directrice adjointe du MCAH : «Tenir une pièce antique, c’est être en connexion directe avec le passé». Photo l ARC Sieber
Patrimoine-Trésors cachés

Quand l'argent fait le bonheur

Conservatrice en chef des Monnaies et médailles au Musée cantonal d’archéologie et d’histoire (MCAH), Julia Genechesi nous initie aux joies de la numismatique et nous fait partager un trésor : une mystérieuse pièce d’or trouvée en 2015 à Vufflens-la-Ville.

Julia Genechesi, directrice adjointe du MCAH : «Tenir une pièce antique, c’est être en connexion directe avec le passé». Photo l ARC Sieber
3 minutes de lecturePublié le 30 mars 2023

Comme le déclare d’emblée Julia Genechesi, directrice adjointe du MCAH et conservatrice en chef des Monnaies et médailles, «Les pièces, c’est mon dada ! Surtout quand elles sont celtiques», précise-t-elle avec un sourire… en coin. Ce n’est pourtant pas la cupidité qui anime cette docteure en archéologie, devenue passionnée de numismatique à la faveur d’une thèse sur la vallée du Rhône. «J’aime particulièrement décrypter les informations qu’elles contiennent, car les pièces nous parlent autant de société que de religion ou d’art.» Quand elle en tient une au creux de la main, elle avoue se sentir «en connexion directe avec le passé».

La numismatique, parent pauvre de l’archéologie

Après avoir été gérées par le Cabinet des médailles de Lausanne — créé au cours du XIXe siècle, puis renommé Musée monétaire cantonal en 2003 —, les collections de monnaies et médailles de l’État de Vaud ont été intégrées au MCAH en 2019. Aujourd’hui, elles sont trois conservatrices à s’occuper des «1000 à 2000 nouvelles pièces qui arrivent au musée chaque année, en provenance de fouilles archéologiques ou, dans une moindre mesure, de dons et d’achats», «si la valeur historique est avérée pour le canton de Vaud» nuance Julia Genechesi. 

La numismatique? Elle l’avoue sans gêne : «Si les fortunés collectionnent et publient déjà des ouvrages sur le sujet au XVIe siècle, elle devient particulièrement à la mode au XVIIe siècle avec la création des cabinets des médailles, mais la discipline subit un recul d’intérêt au XVIIIe… Même si au XIXe et au début du XXe siècle, plusieurs passionnés rédigent des catalogues de leurs collections personnelles et alimentent la recherche à l’aide d’articles scientifiques, la numismatique aujourd’hui, est devenue carrément désuète». Pourquoi un tel désamour? «La taille, peut-être, tente d’expliquer la numismate. Ces objets très petits sont assez difficiles à exposer et à rendre accessibles et intéressants sans remise en contexte».

« J’aime particulièrement décrypter les informations qu’elles contiennent, car les pièces nous parlent autant de société que de religion ou d’art. »

Julia GenechesiConservatrice en chef des Monnaies et médailles au MCAH
Extrêmement bien conservé, ce quart de statère gaulois au huit couché, retrouvé à Vufflens-la-Ville en 2015, est vieux de plus de 2000 ans. Photo l ARC Sieber

Petite pièce, grande valeur

Desserrant alors la main, la conservatrice laisse apparaître une petite pièce d’or, d’à peine deux centimètres de diamètre. «Celle-ci, par exemple, a été découverte à Vufflens-la-Ville en 2015, lors d’un chantier de fouilles où l’on a retrouvé les vestiges d’une des plus vieilles agglomérations celtiques du canton de Vaud, datée entre le IIe et le Ier siècle avant J.-C. Elle correspond aux toutes premières monnaies gauloises frappées dans nos contrées : les statères celtiques en or, dont les plus anciens remontent à -300, et qui imitent les statères grecs. Un objet plutôt rare, surtout en contexte archéologique», précise encore la conservatrice. Si la pièce n’est pas encore exposée, c’est parce qu’elle est toujours en cours d’étude scientifique.

Pourtant, Julia Genechesi a déjà beaucoup de choses à dire de ce quart de statère «au huit couché»: «Sur l’avers, on reconnaît une tête masculine de profil avec une coiffure antique, qui imite celle de Philippe II de Macédoine, le père d’Alexandre le Grand. Mais les Celtes se sont approprié les motifs en les réinventant: chez eux, tout est beaucoup plus abstrait, végétal et foisonnant, comme c’est le cas ici.

Encore tellement de choses à découvrir

Même s’il n’est pas aisé pour l’œil novice de s’y retrouver, la conservatrice se lance dans une description très précise : «Vous voyez, là, le profil est déformé. Le crâne montre trois rangées de mèches. On voit un œil protubérant, la pupille forme une boule, le menton et la joue sont marqués. Et on note un défaut: le visage est strié d’une rayure, témoignant de l’usure du coin qui a frappé la monnaie». Au revers, il est plus aisé de reconnaître un cheval, quoique sa multitude de jambes laisse un peu pantois… Un animal mythologique? «Non, sourit la conservatrice. En y regardant de plus près, il s’agit d’un bige — un char attelé de deux chevaux — ,même si l’on a du mal à discerner la figure du conducteur…» Sous le ventre des animaux, le fameux huit couché, qui donne son nom au quart de statère. Indique-t-il sa valeur? «Non, probablement pas, c’est un symbole qui demeure énigmatique, mais l’or indique tout de même qu’il s’agissait d’une pièce de valeur. Il y a encore tellement de choses à découvrir», s’exclame la pétillante numismate, enthousiaste et loquace lorsqu’il s’agit de parler de son passionnant métier. (EB)

 

Le MCAH en deux mots

Issu du Musée cantonal de 1818 installé à l’Académie de Lausanne et succédant au Musée des antiquités fondé en 1852 dans le même bâtiment, le Musée cantonal d’archéologie et d’histoire (MCAH) assure la conservation de collections très diverses, reflets de l’évolution des pratiques muséales depuis plus de 150 ans. Il conserve aujourd’hui des collections aussi variées que riches, puisqu’elles illustrent toutes les périodes de l’humanité, de la Préhistoire à nos jours, avec plusieurs centaines de milliers d’objets, dont moins de 3000 sont exposés en raison de la place à disposition et de choix muséographiques — soit seulement environ 1% des collections.

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