Vue du bâtiment sur sa façade ouest.
Épaulant le Gymnase du Bugnon, la longue façade de l’École de médecine surplombe la rue César-Roux. Construit en encorbellement, l’arrière du grand auditoire est littéralement projeté en direction de la Cité. | Photo: ARC-Sieber
Patrimoine-Trésors cachés

L’école de médecine, édifice-paysage au cœur de Lausanne

Situé rue du Bugnon 9, à un emplacement stratégique juste au-dessous du CHUV, le bâtiment de l’École de médecine (1959) témoigne d’une époque de transformation pour l’Université de Lausanne et son campus hospitalo-universitaire. L’historien de l’architecture Adrien Hürlimann dévoile les subtilités de cet édifice.

Épaulant le Gymnase du Bugnon, la longue façade de l’École de médecine surplombe la rue César-Roux. Construit en encorbellement, l’arrière du grand auditoire est littéralement projeté en direction de la Cité. | Photo: ARC-Sieber
4 minutes de lecturePublié le 18 déc. 2025

Chacune et chacun à Lausanne connait, de près ou de loin, l’École de médecine. Elle abrite aujourd’hui en grande partie le Département de neurosciences fondamentales de la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne. Mais tout le monde ne sait peut-être pas que l’origine de ce bâtiment remonte à la fin du XIXe siècle, comme l’explique l’historien de l’architecture Adrien Hürlimann: «Lorsque l’Académie de Lausanne, fondée en 1537, devient officiellement université en 1890, elle ne dispose que de locaux fragmentaires pour l’enseignement médical. Un embryon de section propédeutique est d’abord logé dans l’ancienne caserne de la Cité, puis déplacé à la douane désaffectée du Bugnon. Mais la poussée démographique des étudiants – 66 en 1890, plus de 500 à l’aube des années 1930 – rend très vite la situation intenable. Les salles sont exiguës, les normes d’hygiène dépassées, et l’Hôpital cantonal, en pleine modernisation, attire l’attention sur un besoin nouveau: constituer à Lausanne une véritable cité “hospitalo-universitaire”».

Loger deux instituts de médecine près de l’hôpital cantonal

C’est dans ce contexte que naît l’idée d’un Institut d’anatomie et d’un Institut d’histologie et d’embryologie, regroupés au sein d’une seule «école de médecine». Dès 1948, l’Université établit plusieurs hypothèses d’implantation. Le choix du Champ-de-l’Air – une colline encore semi-rurale surplombant la Cité – s’impose très naturellement. L’endroit est déjà occupé par l’Institut de physiologie (1913) et permet une articulation logique des savoirs autour des corps vivants et des corps étudiés. En 1950, le Conseil d’État lance un grand concours d’architecture, réservé aux architectes vaudois ou suisses, domiciliés dans le canton. «Les règles sont strictes, dictées par la nécessité de répondre à des exigences pédagogiques et fonctionnelles de haut niveau, poursuit l’historien. Le futur bâtiment doit se tenir à distance de la bruyante rue du Bugnon et sa hauteur doit être limitée, afin de préserver à la fois le calme des étudiants et la vue sur le lac et les Alpes qui s’offre aux patients hospitalisés. Quant aux deux instituts, ils doivent être distincts, mais reliés par des espaces communs, comme la bibliothèque, un musée d’étude et deux auditoires. L’accès doit être fluide, “lisible”, et un parking pour automobiles et bicyclettes est exigé dans le programme.»

Des fontaines carrées entourés de buis taillés à ras et, au fond, le bâtiment en forme de U, de relativement faible hauteur vu depuis le côté Est.Le bâtiment en forme de U présente, du côté de la rue du Bugnon, une certaine sévérité: blanc et noir des façades, buis foncés, thuyas, pièce d’eau statique, jardin au dessin rigoureux. | Photo: ARC-Sieber

Un plan quasi chirurgical

En février 1951, 24 projets sont rendus. Le lauréat est un homme de 45 ans, Marc Piccard, futur grand architecte scolaire vaudois à qui l’on doit déjà la piscine de Bellerive-Plage (1937). Il remporte le concours avec un projet dont le titre est emprunté à un aphorisme d’Hippocrate, père de la médecine moderne: Ars longa, vita brevis. Littéralement : l’art est long, la vie est brève. Tout est dit.

Inauguré en mai 1959 après six années de chantier – marquées par la collaboration avec des ingénieurs de renom, tels qu’Alfred Breguet, spécialiste du béton armé, et Albert Eigenmann, expert en installations sanitaires – le bâtiment frappe immédiatement par son intelligence fonctionnelle. Piccard choisit une forme en U dissymétrique, épousant la pente du terrain, une falaise de molasse qui s’ouvre vers la vallée du Flon. L’aile sud (histologie-embryologie) d’un niveau seulement, possède un rez inférieur avalant la déclivité ; l’aile nord (anatomie) possède deux niveaux, mais pas de sous-sol; entre les deux, un corps central rassemble auditoires et locaux communs. Le plan distribue les flux avec une clarté quasi chirurgicale: chercheurs d’un côté, étudiants de l’autre, circulations totalement séparées, mais quelques points nodaux où le savoir se partage.

Le grand amphithéâtre, avec quelques personnes assises, et des personnes au pied des bancs, lors d'une conférence.Baigné de lumière naturelle, l’intérieur du grand auditoire (élément emblématique du bâtiment) est en forme d’amphithéâtre. | Photo: ARC-Sieber

Le grand auditoire : un morceau de bravoure

Moderniste, la façade principale en béton armé, agrémentée de larges baies vitrées et d’avant-toits saillants, est tout aussi expressive, comme l’a exprimé lui-même Marc Piccard : «Le caractère des façades est marqué par le travail qui se fait à l’intérieur». Témoin manifeste de cette volonté, le grand auditoire est sans doute l’élément le plus emblématique du bâtiment. Accessible de plain-pied par l’entrée centrale, côté Bugnon, il se révèle être construit sur deux niveaux, en encorbellement dans la pente, comme suspendu au-dessus de la vallée et littéralement projeté vers la vieille ville. Ce porte-à-faux en béton, que l’on peut admirer depuis la rue César-Roux, est entièrement vitré dans sa partie supérieure et offre un contrepoint moderne et singulier à la silhouette de la cathédrale. L’intérieur, en forme d’amphithéâtre, est baigné de lumière naturelle. «Le choix de cette forme n’est pas seulement une prouesse architecturale, mais aussi une métaphore de la transmission du savoir, ouvert sur l’extérieur», explique l’historien.

Le bas relief orne le dessous de l'avant-toit.Un bas-relief représentant un cervelet en coupe et une cellule de Purkinje (un type de neurone présent dans le cervelet), œuvre du sculpteur vaudois Milo Martin. | Photo: ARC-Sieber

Poésie et gravité

Et, comme l’a imaginé Marc Piccard, l’expérience architecturale commence dès l’entrée de l’école avec un jardin géométrique, composé de bancs et de quatre bassins, qui s’intègre parfaitement dans l’ensemble, créant un sas avec la frénésie de la ville. «Il s’agit d’un jardin seuil, une extension de l’édifice qui invite à la sérénité et à l’étude», commente Adrien Hürlimann. Piccard l’avait théorisé en 1959: «L’ensemble, surtout du côté de la rue du Bugnon, est empreint d’une certaine sévérité: blanc et noir des façades, buis très foncés, thuyas, pièce d’eau statique, jardin d’un dessin rigoureux. De la poésie, afin de traduire la gravité du labeur qui s’accomplira ici – pourquoi pas.» De la poésie encore dans le bas-relief représentant un cervelet en coupe et une cellule de Purkinje (un type de neurone présent dans le cervelet), œuvre du sculpteur vaudois Milo Martin, visible à l’extérieur du bâtiment et dessinant d’intrigantes volutes. Incarnant encore avec malice et poésie la vérité nue de l’apprentissage, une main écorchée, que l’on doit au même artiste, se trouve au-dessus de la porte de la grande salle de dissection au deuxième étage de l’Institut d’anatomie. (EB)

Emmanuel Ventura, architecte cantonal

«Marc Piccard a sans aucun doute marqué l’architecture du canton de Vaud durant les années 1930 à 1950 et l’École de médecine fait partie de ces chefs-d’œuvre méconnus de l’architecture moderne lausannoise. C’est lui qui signe en 1937 la Plage de Bellerive et, plus tard, en 1965, le Collège du Belvédère. Il a introduit un style révolutionnaire pour une époque teintée de l’École de Paris. Son œuvre, marquée par la clarté des formes et des proportions, sa volonté de perfection jusque dans le détail, est à redécouvrir!»

Alberto Corbella, conservateur cantonal

«Construite en 1958 par l’architecte Marc Piccard, l’École de médecine de Lausanne illustre avec sobriété les principes de l’architecture moderniste appliqués aux bâtiments d’enseignement supérieur. Volumétrie rigoureuse, trame régulière des percements et usage affirmé du béton traduisent une esthétique fonctionnelle au service d’une formation scientifique alors en plein essor. Situé non loin du CHUV, l’édifice s’inscrit dans un ensemble hospitalo-universitaire en pleine mutation et marque une étape importante dans l’organisation des infrastructures médicales vaudoises d’après-guerre. Ces caractéristiques n’ont pas échappé à la commission pour le patrimoine culturel immobilier qui lui a attribué une note *2* en 2022, justifiant ainsi l’application d’une mesure d’inventaire par le Canton.»

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