
Rencontre avec deux agents de détention, chefs d’ateliers au Bois-Mermet
Avant de franchir les portes de la prison de Bois-Mermet, Jean-Luc Vassalli et James Bobillier ne se destinaient pas à travailler en milieu carcéral. Loin de l’univers de série ‘’Prison Break’’, tous deux ont trouvé, dans les ateliers pénitentiaires, un sens profond à leur engagement. Chefs d’atelier, anciens agents de détention, ils encadrent aujourd’hui des activités essentielles pour les personnes détenues. Entre jardinage, buanderie et accompagnement humain, ils racontent comment.
Inaugurée en 1905, la prison de Bois-Mermet est l’une des plus anciennes du canton de Vaud. Connue pour son imposant portail en fer forgé, cette prison accueille près de 170 personnes détenues en détention provisoire.
Les ateliers dans les établissements pénitentiaires de détention avant jugement sont dédiés aux personnes ayant terminé leur phase d’intégration. Au Bois-Mermet, elle dure deux mois. À partir de ce moment, les prévenus peuvent s’inscrire pour participer aux ateliers. Leur sélection se fait principalement en fonction de leur comportement, mais aussi selon le nombre de places disponibles Ces activités leur permettent notamment de sortir de leur cellule, d’acquérir de nouvelles compétences, mais aussi de participer au fonctionnement de la prison. En termes de réinsertion, ces activités contribuent à préparer « l’après-détention » avec l’apprentissage de nouvelles compétences, dans le but de réduire le risque de récidive, une fois que les personnes retrouvent la liberté. Parmi les nombreux ateliers proposés, Jean-Luc Vassalli encadre principalement l’atelier jardin et apiculture, tandis que James Bobillier est responsable d’atelier tournant.

Une envie de changement et de rapprochement de l’humain
Avant de devenir agent de détention, Jean-Luc Vassalli a travaillé dans une raffinerie et comme électricien, où il formait des apprentis. Il appréciait particulièrement l’accompagnement des jeunes en cours de formation et le partage de connaissances. « Je suis tombé par hasard sur une annonce de recrutement d’agents de détention aux Établissements de la plaine de l’Orbe (EPO). Ils parlaient de l’accompagnement des détenus, ce qui a attiré mon attention ». Quelques années plus tard, un poste de chef d’atelier s’est libéré. Attaché au « côté émotionnel et psychologique des personnes », Jean-Luc Vassalli décide alors de se porter candidat pour avoir plus de contacts avec les détenus et mieux les accompagner.
De son côté, James Bobillier, ancien boulanger, a découvert le métier d’agent de détention par l’intermédiaire d’un ex-collègue ayant exercé cette profession. Tout comme Jean-Luc Vassali, James Bobillier souhaitait accompagner des personnes en difficulté. Lorsqu’ils ont eu l’occasion de devenir chefs d’atelier, tous deux y ont vu un moyen de se rapprocher davantage des détenus et de les guider dans l’apprentissage de nouvelles compétences.
Se considérant comme un « amateur éclairé » du jardinage, Jean-Luc Vassalli est devenu chef d’atelier jardin. James Bobillier, quant à lui, fonctionne comme responsable d’atelier tournant. Ainsi a-t-il «un lien différent avec les détenus et des occasions de faire d’autres activités.»
"Quand j’ai commencé comme agent, j’avais en tête des images de la série Prison Break. En réalité, c’est très différent."

L’adaptation au milieu carcéral
Autrefois, Jean-Luc Vassalli avait une image des prisons influencée par les médias - films et séries - avant de découvrir une réalité bien différente : « Quand j’ai commencé comme agent, j’avais en tête des images de la série Prison Break. En réalité, c’est très différent. » James Bobillier, lui, n’a jamais été gêné de travailler dans un milieu fermé. « Contrairement aux détenus, je peux rentrer chez moi le soir. Finalement, ce n’est pas si différent que de travailler dans un bureau », remarque-t-il.
Cependant, les agents de détention reconnaissent qu’ils exercent dans un milieu où il est nécessaire de rester en état de vigilance constant :« Les difficultés de ce métier, c’est déjà que, quand vous entrez dans ces murs, quand vous côtoyez des détenus, il peut arriver n’importe quoi à n’importe quel moment. Vous êtes donc constamment en état d’alerte. » En effet, il arrive que des bagarres éclatent entre détenus, et parfois, ce qui reste rare, ce sont les gardiens eux-mêmes qui sont pris pour cible.
Dans le cadre de l’atelier jardin, Jean-Luc Vassali précise que cette activité n’est pas sans risques, car les détenus ont accès à des outils potentiellement dangereux, pouvant être utilisés comme armes. Les agents soulignent également qu’une attention particulière doit être portée aux détenus souffrant de troubles psychiatriques : en cas de décompensation, ceux-ci peuvent adopter des comportements menaçants envers les gardiens ou envers d’autres détenus.
"Les délits ne définissent pas une personne"

Malgré cela, les deux chefs d’atelier voient les détenus comme des individus, et non comme des criminels : « Il ne faut pas avoir de préjugés. Les délits ne définissent pas une personne, et cela ne se voit pas sur les visages », insiste James.
Cette absence de jugement leur permet de créer un lien, essentiel pour les chefs d’ateliers : « Ce qui est intéressant avec les ateliers, c’est que, même sans être proches, on parvient à établir une véritable relation de confiance avec les détenus. Certains se confient beaucoup lors des ateliers. Nous avons également de bons retours d’anciens détenus qui ont acquis de nouvelles compétences grâce aux ateliers ».
Encourager une réorientation en détention
Un autre enjeu majeur pour les chefs d’ateliers est d’accompagner les détenus afin de prévenir la récidive : « Nous avons des personnes qui sont là pendant quelques semaines ou plusieurs mois, mais si nous n’essayons pas de les aider à évoluer pour qu’elles ne reproduisent pas les mêmes erreurs, nous n’aurons pas servi à grand-chose. Le but c’est d’avoir envie d’aider et de donner la possibilité aux gens de prendre un autre chemin. »
Ces ateliers permettent également aux détenus d’échanger avec les agents de détention, qui, selon Jean-Luc Vassalli, agissent comme des « thérapeutes ». « Un thérapeute qui ne va pas vous guérir, mais vous montrer les outils que vous possédez pour prendre soin de vous ». Toutefois, les agents doivent garder une certaine distance : « Les détenus ont des parcours de vie qui sont souvent touchants et qui peuvent être très difficiles, il faut donc avoir la capacité de ne pas le prendre sur soi, ce qui est parfois compliqué. On appelle cela la juste distance.» (ESP)