
Concilier vie professionnelle et alimentation heureuse
Faut-il travailler pour se nourrir ou se nourrir pour travailler? Pas avare de réponses, une diététicienne d’Unisanté nous parle de l’importance de l’équilibre alimentaire, notamment dans le monde professionnel, et nous livre quelques trucs et astuces pour conserver ou retrouver le plaisir de manger au travail. Faites bouillir la marmite!
Diététicienne, Annick Kaag est chargée de projet en alimentation au sein d’Unisanté. Son travail ? Sensibiliser petits et grandes aux bienfaits d’une alimentation équilibrée. Régulièrement en contact avec le monde professionnel à travers diverses prestations de prévention en nutrition, Annick Kaag précise que «si l’équilibre alimentaire concerne tout le monde, il joue dans le monde du travail un rôle clé en étant le garant de notre efficacité et de notre bien-être.» Pourtant, cet équilibre ne semble pas couler de source.
Stress au travail et comportement alimentaire
Un des grands responsables: le stress, qui peut être alimenté par le travail, et qui a des influences sur notre comportement alimentaire. Comme le résume la Société suisse de nutrition (SNN), le facteur temps, ainsi que les mécanismes physiologiques et psychologiques de défense face au stress, auraient de fâcheuses conséquences sur notre organisme: «Les personnes qui travaillent dans le stress mangent plus vite, oublient plus souvent les pauses et sautent parfois le repas de midi». Annick Kaag le rappelle: «Le signal de satiété s’opérant au bout d’une vingtaine de minutes, il faudrait faire une pause à midi d’au moins trente minutes, afin d’avoir le temps de réchauffer son repas ou de faire la file au restaurant d’entreprise…» L’idéal? Manger assis et bien mâcher afin de ralentir l’ingestion, si possible dans une ambiance détendue et «déconnectée».

Le grignotage, fléau au bureau
L’autre fléau que rencontre souvent cette professionnelle de la nutrition est le grignotage, une absorption permanente de petites portions d’aliments sans pauses régulières, «très fréquente dans les contextes professionnels», selon la SSN. «De nombreuses personnes entretiennent un lien émotionnel à la nourriture et les “aliments-doudous” – comme les en-cas gras ou sucrés – peuvent rapidement intégrer une stratégie de réconfort, plus ou moins consciente, afin d’apaiser des ressentis négatifs, comme une contrariété avec une supérieure ou une collègue, une réunion stressante, une journée fatigante…», explique Annick Kaag. Mais au lieu d’aider notre organisme en lui donnant l’énergie et les nutriments dont il a besoin pour être performant, ces aliments génèrent des carences, de la fatigue et augmentent aussi le risque de développer des maladies, sans oublier les effets néfastes sur la concentration et l’attention… «Des prises alimentaires trop rapprochées empêchent de ressentir clairement les sensations de faim et de satiété qui nous permettent de réguler nos apports alimentaires et le risque est de manger trop», précise encore Annick Kaag.
Remettre les pendules à l’heure
On le sait, une alimentation équilibrée – couplée à un mode de vie sain comprenant de l’exercice physique – aide à réduire ou prévenir ces problèmes de santé. Outre la qualité et la variété de ce que l’on ingère, le grand secret est la régularité, pièce maîtresse de notre horloge interne, qui repose sur quelques grands principes, à adapter bien sûr en fonction des personnes, des tempéraments et du rythme de travail comme le précise Annick Kaag. «Habituellement, cela signifie chaque jour un petit déjeuner et deux repas principaux, pris si possible à heures régulières, et de un à trois en-cas selon les besoins. Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est d’alterner des temps de repas avec des périodes où l’on ne mange pas, afin de réguler ses sensations alimentaires et ressentir la faim. On peut très bien rester quatre à cinq heures sans manger!» Dans le cas du travail de nuit ou du travail posté selon un rythme discontinu, le problème vient du fait que notre rythme biologique ou circadien est justement mis à rude épreuve. «La physiologie du corps humain n’est pas la même le jour et la nuit, explique Annick Kaag. En effet, lorsque le soleil se couche, les hormones du sommeil sont sécrétées, la température corporelle diminue et le métabolisme ralentit pour favoriser l’endormissement.» Ce cycle hormonal est perturbé chez les personnes travaillant de nuit ; de nombreuses études ont mis en évidence qu’elles courraient un risque plus élevé d’obésité et de diabète de type 2.

Travail de nuit: comment s’alimenter?
«Il faut savoir qu’entre 22h30 et 6h du matin, notre métabolisme et donc notre système digestif fonctionnent au ralenti. Si l’on consomme des aliments la nuit, il convient d’éviter les sucreries et boissons sucrées, qui peuvent entraîner des perturbations de la glycémie. Quant aux aliments gras, ils sont lourds à digérer la nuit et peuvent entraîner des aigreurs et autres problèmes digestifs. Il est aussi préférable d’arrêter les boissons énergisantes et le café – qui perturbent non seulement l’endormissement, mais aussi la qualité du sommeil – et cela six heures avant le coucher…»
Dans les faits, seulement 10% des personnes concernées supporteraient bien le travail de nuit. Les autres? «Elles s’adaptent… Et plus on vieillit, moins c’est aisé, car le sommeil est moins profond et nécessite des périodes de repos plus longues», reconnaît Annick Kaag. Au menu des préconisations: des repas réguliers et équilibrés au maximum, même s’ils sont décalés. «Le Secrétariat d’État à l’Économie délivre de précieuses informations à ce sujet, en fonction des heures de travail ou de l’irrégularité de celui-ci. En ligne de mire: aider le corps à trouver une structure familière».

L’assiette optimale chez soi… et au travail
Élaborée par l’Office fédéral de la sécurité alimentaire, en collaboration avec la SSN, la pyramide alimentaire a été réactualisée en septembre 2024. S’il est toujours recommandé de manger «cinq portions de fruits et légumes par jour», elle met l’accent sur la durabilité en préconisant les aliments frais et de saison, les céréales complètes et les protéines végétales.
A sa base, les boissons. «Il faut boire en tout cas un à deux litres par jour, de préférence de l’eau, explique Annick Kaag. Au travail, l’idéal est d’avoir une gourde avec soi, de tisane ou d’eau aromatisée naturellement si l’on préfère, et ne pas hésiter à boire pendant le repas si on oublie un peu le reste du temps.»
Deuxième palier, les fruits et légumes: «En Suisse, on n’en consomme toujours pas assez, se désole-t-elle, alors que c’est vraiment la base de nos apports en vitamines, fibres et sels minéraux». Les légumes peuvent être cuits ou crus. L’important, c’est que chaque portion représente une bonne poignée». Viennent ensuite les produits céréaliers (idéalement complets) qui sont vraiment notre carburant. «J’entends encore des travailleurs très actifs physiquement clamer qu’ils ont besoin de viande pour être à la hauteur… Notre rôle est aussi de déconstruire cette idée reçue: non, ce ne sont pas les protéines qui nous rendent plus endurants, mais bien les féculents, notamment riches en glucides sous forme d’amidon et vitamines du groupe B».
D’ailleurs, les protéines végétales (légumineuses, tofu et dérivés) ainsi que les produits laitiers sont désormais au même niveau que les protéines animales: «Idéalement, il faudrait varier les différentes sources de protéines au fil de la semaine. L’idée, que ce soit chez soi, à l’emporter ou au restaurant, est de manger local, de saison et, surtout, varié. Des conseils avisés à garder à l’esprit au moment de préparer sa gamelle pour le lendemain. Ou pour la nuit…
Trucs et astuces pour une bonne alimentation au travail
Selon Annick Kaag, il n’est pas si difficile de faire «d’une pierre deux coups» pour apporter son repas au travail. «On peut cuisiner plus de féculents et de légumes le soir ou le week-end et réserver des portions pour la semaine, ou surgeler certains plats maison comme des soupes ou des quiches aux légumes qui se réchauffent très bien. La majorité des lieux de travail disposent aujourd’hui de réfrigérateurs et de micro-ondes, il serait dommage de s’en priver.» Ses astuces pour manger plus de fruits et légumes? Consommer un fruit chaque matin et, au travail, emporter des fruits et des légumes « pratiques »: tomates cerises ou concombre à la belle saison, carottes, endives ou céleri branche, quasiment toute l’année. Un apéro au bureau? On mise sur les bâtonnets de légumes avec un dip au séré-ciboulette, une tartinade de lentilles et des dés de gruyère… Côté en-cas, les fruits oléagineux (noix, noisettes, amandes…) à garder dans son tiroir sont une excellente solution. En cas de coup de mou, on remplace les sucreries par une pomme et un carré de chocolat que l’on savoure. (EB)
Quatre idées de recettes faciles, optimales pour notre santé et bienvenues pour éviter le gaspillage alimentaire :
- Il reste du riz cuit de la veille? On l’agrémente de crudités de saison, d’une poignée de graines de courge et de tournesol et de quartiers d’œufs durs.
- Il reste de la soupe de légumes? On y ajoute une poignée de pois chiches et on l’accompagne d’une tranche de pain.
- On a quelques wraps dans le placard? On les tartine de houmous ou de tzatziki et on picore à côté une grosse poignée de tomates cerises.
- Je n’ai pas eu le temps de préparer ma gamelle? J’emporte une carotte à croquer pour accompagner un sandwich au fromage et au pain complet acheté en boulangerie.
Bon à savoir
Tous les mardis, de 10 à 13 heures, les diététiciennes d’Unisanté tiennent une permanence téléphonique gratuite sur la nutrition. S’il ne s’agit pas d’une consultation, cette discussion d’une quinzaine de minutes maximum a pour mérite de répondre à vos questions et de vous aiguiller vers quelques solutions – ou, si nécessaire, vers une consultation plus poussée en diététique. Tél. 021 545 15 00