Madame Junet tient entre ses mains la tapisserie montrant la scène pastorale en question.
Magali Junet, conservatrice de la collection Toms Pauli, extrait cette pièce chamarrée, brodée au petit point par une main anonyme dans l’Angleterre de 1710. Photo | ARC-Sieber
Patrimoine-Trésors cachés

Une scène pastorale anglaise de la collection Toms

Installée depuis 2020 dans le bâtiment du Musée cantonal des Beaux-Arts à Plateforme 10, la Fondation Toms Pauli a pour mission de veiller sur les deux précieuses collections textiles (tapisseries anciennes et créations textiles) appartenant à l’État de Vaud. Parmi les centaines de pièces conservées, la directrice de la fondation nous dévoile un énigmatique trésor : une scène pastorale anglaise brodée du XVIIIe siècle, léguée par Mary Toms en 1993.

Magali Junet, conservatrice de la collection Toms Pauli, extrait cette pièce chamarrée, brodée au petit point par une main anonyme dans l’Angleterre de 1710. Photo | ARC-Sieber
3 minutes de lecturePublié le 15 mai 2025

La Fondation Toms Pauli, créée par l’État de Vaud en 2000, doit son nom aux deux principales collections qui l’ont constituée. «La collection Toms est l’une des plus importantes collections privées de tapisseries et de broderies anciennes, bâtie durant la seconde moitié du XXe siècle, nous apprend Magali Junet, conservatrice qui a repris les rênes de l’institution en 2024. Après avoir fait fortune dans l’immobilier, le promoteur anglais Reginald Toms (1892-1978) et son épouse Mary (1901-1993) s’installent en 1958 au château de Coinsins, à côté de Gland, et se découvrent une passion pour la tapisserie ancienne qu’ils commencent à collectionner dans les années 1960.»

Outre la centaine de tapisseries murales et pièces décoratives en tapisserie et en broderie représentatives des grandes manufactures européennes du début du XVIe à la fin du XIXsiècle, le legs au Canton, à la mort de Mary Toms en 1993, comprend également le château et ses vignes, les tableaux et le mobilier. «Un ensemble exceptionnel qui a été en grande partie documenté par des spécialistes et a fait l’objet, en 2010, d’un catalogue raisonné».

Si le grand public comme les spécialistes ont en tête des œuvres aussi prestigieuses et monumentales que La Conférence de Scipion et d’Hannibal (471 x 842 cm), tissée dans les ateliers des Flandres au XVIIe siècle, Magali Junet a pourtant souhaité mettre pour nous en lumière une pièce plus intime et pour le moins insolite.

Un trésor modeste et déroutant

Et l’effet est au rendez-vous: chamarrée, foisonnante, la scène pastorale brodée autour de 1710 qu’a choisie la directrice rappelle étrangement la manière naïve et quasi psychédélique des jungles du Douanier Rousseau, au tournant des XIXe et XXe siècles. Pourquoi ce choix? «Je suis véritablement charmée par cette pièce brodée au petit point: les fils sont en soie et en laine et la réalisation, sans relief, est d’apparence très simple».

Cette pastorale met en scène un berger et une bergère, assis en miroir dans un paysage. «Ce qui frappe, c’est la disproportion des éléments: les papillons font la même taille que les chiens, les fleurs sont aussi grandes que les arbres, les troncs sont ceux de baobabs…»
Non signée, cette broderie est sans doute l’œuvre d’une amatrice. Mais, malgré le sujet «modeste» qui n’a rien de biblique ou de mythologique, les dimensions (85 x 65,5 cm) sont notables, comme le fait remarquer Magali Junet. «Les codes de la grande tapisserie sont manifestement connus: on en retrouve des symboles végétaux et animaliers comme le léopard et le lion au premier plan (personnifications du pouvoir, voire de la royauté); le soleil anthropomorphe et les nuages festonnés sont plus déroutants ici. C’est aussi l’époque des herbiers, et l’on sent la volonté de représenter de nombreuses espèces végétales.» Entre pastorale anglaise, jardin d’Éden, jungle folle et Arche de Noé, cette broderie a de quoi dérouter. Quant à ses couleurs, «infiniment fraîches et étonnamment bien conservées plus de 300 ans après», elles ajoutent un intérêt indéniable à l’œuvre.

Les broderies Toms: une collection intime et méconnue

Cette broderie provient d’un ensemble d’une trentaine de pièces de la collection Toms, qui datent pour la majorité de 1650 à 1750 et sont d’origine anglaise. Elles ont probablement été collectionnées par Reginald et Mary Toms en raison de leur propre origine britannique. «Pour rappel, l’Angleterre est un pays de grande tradition textile, dans lequel la broderie a tenu depuis le Moyen Âge une place prépondérante. Les broderies Toms, exécutées pour certaines en relief et avec des matériaux précieux, sont pour la plupart des ouvrages domestiques, véritables tableaux brodés, dont la popularité va croissant aux XVIIe et XVIIIe siècles», explique Magali Junet.  

Ces pièces de grand intérêt n’ont jamais été montrées au grand public et ne figurent pas au catalogue raisonné de la collection Toms. «Il s’agit véritablement d’un trésor caché!».

Vue de la tapisserieCette œuvre de soie et laine de la Collection Toms est remarquable par la disproportion des éléments: les papillons font la même taille que les chiens, les fleurs sont aussi grandes que les arbres, les troncs sont ceux de baobabs. Photo | ARC-Sieber

Une œuvre qui attend qu’on la découvre

Mais que se cache-t-il derrière cette apparente simplicité? «On retrouve les références au genre de la pastorale qui prend son essor au XVIIIe, mais la partie inférieure semble se lire de manière très linéaire et dépasse assurément la réalité, dans une veine plus médiévale… J’aime imaginer que ce couple de bergers est le miroir du couple Toms dans sa campagne de la Côte, comme si Reginald et Mary avaient choisi cette œuvre pour sa douce résonance champêtre aux allures fantastiques, confie Magali Junet. C’est en tous les cas une œuvre qui demande du temps pour découvrir ses méandres…» Un appel du pied à des chercheuses ou des chercheurs intéressés? «Certainement, abonde la conservatrice. Si quelqu’un avait le désir de faire la lumière sur cet ensemble de broderies, j’en serais très heureuse.» (EB)

La Fondation Toms Pauli

Créée par l’État de Vaud en 2000, la Fondation Toms Pauli a pour missions principales d’étudier, de conserver et de mettre en valeur deux collections de tapisseries et d’art textile, propriété du Canton. Ce patrimoine comprend un prestigieux ensemble de tapisseries et de broderies européennes du XVIe au XIXe siècle légué par Mary Toms en 1993, et un ensemble d’œuvres textiles illustrant le développement de la Nouvelle tapisserie dans la seconde moitié du XXe siècle – donation initiale de 46 œuvres données par l’Association Pierre Pauli en 1996 dont le nombre a aujourd’hui quintuplé.

La Fondation prend part à l’actualité de la discipline par des recherches et de nombreux prêts présentés à l’occasion de grandes expositions internationales dédiées à la tapisserie et au Fiber Art. Ne disposant pas d’espace d’exposition permanente, elle est commissaire de propres expositions sur le site de Plateforme 10, en Suisse et en Europe.

Héritière du Centre international de la tapisserie ancienne et contemporaine (CITAM), inauguré à Lausanne en 1961, la Fondation conserve en outre une riche documentation relative aux artistes ayant soumis un dossier de candidature à la Biennale de Lausanne entre 1962 et 1995, ainsi qu’une bibliothèque spécialisée.

Depuis 2020, la Fondation Toms Pauli est installée dans le bâtiment du Musée cantonal des Beaux-Arts à Plateforme 10 où sont désormais regroupés son administration, les deux collections cantonales de tapisseries et de créations textiles, les archives et les ouvrages dont la Fondation a charge de conservation et de valorisation pour l’État.

Continuez votre lecture