Communes vaudoises : une histoire bien singulière
A la suite d'un week end d'élections communales, l’archiviste Mathias Walter, nous rappelle quelques jalons importants de ce découpage territorial et politique hérité des paroisses, du bailliage bernois et de la France napoléonienne.
«Au tournant de la Révolution française, les cantons suisses se retrouvent en 1798 au sein de la République helvétique, rompant ainsi avec l’ancien régime féodal pour amorcer leur modernisation politique». Cette même année, les bernois sont chassés et le Pays de Vaud devient le canton du Léman. Pour Mathias Walter, responsable des relations avec les communes aux Archives cantonales vaudoises, la constitution de la nouvelle République helvétique instaure, entre autres, une division en cantons, districts et communes. «Il s’agit d’un concept dont le sens varie beaucoup au fil de l’histoire, du moyen-âge aux temps modernes, mais si on considère la commune au sens politique, on peut dire qu’elle est née en 1798, avec la République helvétique. Ce qui ne veut pas dire qu’avant il n’y avait rien…»
Au temps des châtellenies
Effectivement, pendant les périodes bernoises et savoyardes, il existait des communautés de bourgeois, qui jouaient en partie ce rôle. Elles géraient les biens communs, qui pouvaient être une propriété, une fontaine, un chemin ou un canal d’irrigation. Au-dessus d’elles, il y avait les seigneuries ou les châtellenies qui exerçaient l’autorité et qui octroyaient ces droits, sous la forme de franchises ou de concessions, par exemple.
«A cela, il ne faut pas oublier la dimension religieuse et les paroisses qui représentaient une autre forme d’organisation territoriale. Le système féodal est ainsi remplacé en 1798 par des communes politique dont le territoire correspond souvent à celui des paroisses, précise Mathias Walter. A leur création, ces communes politique étaient en concurrence avec les communautés bourgeoises (l’une étant politiques, l’autres économique) qui géraient les biens communaux.»
Droit d’éligibilité et de vote
Il faut attendre 1803 et l’acte de Médiation qui permet une fusion entre ces deux autorités pour assister à la création d’un système assez similaire dans son fonctionnement à ce que nous connaissons aujourd’hui. «Si ce n’est une différence majeure : le droit d’éligibilité et de vote, précise Mathias Walter. Et il faudra encore de nombreuses étapes pour élargir le corps électoral et connaître une représentativité de la population telle que nous la connaissons aujourd’hui.»
La toute première élection dans le tout nouveau canton de Vaud date de la mi-août 1803. Mais cette année-là, pour pouvoir être considéré comme un citoyen à part entière, il fallait être Vaudois, domicilié dans la commune, être au bénéfice d’une propriété ou d’une fortune, être âgé d’au moins 30 ans (ou avoir 20 ans révolu, mais être marié) et, bien sûr, être un homme. Le suffrage censitaire est abandonné en 1814. «Mais tout le monde n’était de loin pas inclus. Sachant qu’il fallait respecter un quota de bourgeois parmi les élus - les non bourgeois ayant droit à une part résiduelle.» Ce quota sera finalement abandonné en 1872. Mais il faudra encore attendre 1959 pour que les femmes obtiennent enfin le droit de vote et d’éligibilité. Le tour des étrangers viendra en 2003.
Le poids des communes
En matière d’organisation, le mode de fonctionnement des communes a relativement peu changé depuis lors, la loi sur les Municipalités datant du 18 juin 1803. La différenciation entre les conseils communaux et conseils généraux en fonction de leur taille est déjà adoptée. Le nombre de conseillers communaux variait entre 25 et 100 et les municipalités pouvaient compter au début jusqu’à 16 membres : «Ce qui peut paraître beaucoup. Plein de raisons expliquent ce choix, notamment celui du système de milice. Plus on est, mieux on peut se répartir les tâches».
Pendant deux siècles, le nombre de communes est relativement stable, se situant entre 380 et 400 communes. Les fusions et les divisions de communes étaient exceptionnelles. Il faut attendre 2003 et la nouvelle constitution vaudoise pour assister à une accélération du phénomène de fusion. Désormais, on enregistre plusieurs fusions par années. L’an dernier, à la mi-juillet, nous comptions 308 communes dans le canton. «Ce mouvement s’explique surtout en raison de la complexité croissante des dossiers et le besoin d’avoir une masse critique pour y faire face», observe Mathias Walter.
Loi sur les Municipalité du 18 juin 1803
Tableau des Municipalités du District d’Aubonne, mai 1799 (République helvétique)
Socle du fédéralisme suisse
Le poids des communes s’est également modifié au cours des ans. Au début du 19ème, l’influence française et sa tendance centralisatrice sont fortes. Les communes gagnent ensuite en compétences et en responsabilités pour devenir le socle du fédéralisme suisse. Le rôle des communes est en constante évolution avec notamment la répartition des tâches entre le canton et les communes et la multiplication des organismes intercommunaux.
En parallèle, les préfectures naissent dans la continuité de ce que les Bernois avaient mis en place, les bailliages préfigurant les districts (territoire dépendant d’une préfecture). Sous la République helvétique, le canton a à sa tête un préfet du Léman et les districts des sous-préfets. Les préfectures jouent un rôle important, en tant que représentant de l’État dans les communes.
«Si la vie politique vaudoise est riche de fortes personnalités dont l’ancrage local était tout aussi fort, elle n’a, en revanche, pas donné naissance à des baronnies locales, comme on a pu en connaître en France»
Terreaux politique
De nombreux syndics, municipaux ou conseillers communaux vaudois ont vécu de belles carrières politiques. Comme, par exemple, Louis Ruchonnet, Ernest Chuard, le vigneron Paul Chaudet (qui devenu syndic de Rivaz sera ensuite élu deux fois à la présidence du Conseil fédéral en 1959 et 1962), ou encore Jean-Pascal Delamuraz dont la carrière au Conseil fédéral n’éclipsera jamais son ancienne stature de syndic de Lausanne. « Si la vie politique vaudoise est riche de fortes personnalités dont l’ancrage local était tout aussi fort, elle n’a, en revanche, pas donné naissance à des baronnies locales, comme on a pu en connaître en France », note l’historien Olivier Meuwly. (DA)