Jan Krause, archiviste-informaticien aux Archives cantonales vaudoises, présente le projet vaudois d’enregistrement de données d’archives dans un brin d’ADN, devant les membres de l’Association des archivistes suisses.| Image: ACV
Archives

L’ADN, possible support d’enregistrement de demain

Aussi surréaliste que cela puisse paraître, l’acide désoxyribonucléique pourrait permettre de stocker avantageusement de grandes quantités de données. Les Archives cantonales vaudoises sont en pleine phase test.

Jan Krause, archiviste-informaticien aux Archives cantonales vaudoises, présente le projet vaudois d’enregistrement de données d’archives dans un brin d’ADN, devant les membres de l’Association des archivistes suisses.| Image: ACV
4-5 minutes de lecturePublié le 30 mars 2022

C’est une grande boîte grise et rectangulaire. À voir les mines réjouies des archivistes en ce jour de mars 2022, elle semble avoir tout d’un cadeau ! À l’intérieur ? Des documents ou objets déposés par des institutions archivistiques. La boîte se remplira progressivement, jusqu’en septembre, au gré d’un tour de Suisse et du Liechtenstein organisé dans le cadre de l’opération « Archive on Tour », manifestation organisée pour fêter le 100e anniversaire de l’Association des archivistes suisses. Lors de son escale en terres vaudoises, les Archives cantonales y ont déposé un document imprimé qui évoque les informations conservées sur papier, un code QR pour incarner les données digitales, et une petite fiole supposée contenir un brin ADN. Elle se veut le symbole de la recherche de solutions d’avenir pour la conservation à long terme de la mémoire numérique.

C’est tout du moins l’espoir qui sous-tend le projet mené depuis une année par Jan Krause, archiviste-informaticien aux Archives cantonales vaudoises, en collaboration avec l’Université de Genève et la Haute école de gestion Genève. « Les techniques de stockage dans l’ADN sont en plein essor », explique celui qui est aussi biologiste.

Animation: BIC (FA)

Disques durs et obsolescence

On se questionne en effet aujourd’hui face au stockage des données sur les disques durs, les clés USB et autres serveurs. « Si l’on dispose de bonnes compétences dans la conservation des documents analogiques, on ne sait pas exactement vers quoi on se dirige avec le numérique, dont les technologies évoluent constamment et rendent l’obsolescence incessante, atteste Delphine Friedmann, directrice des Archives cantonales vaudoises. Rien ne dit que les données stockées aujourd’hui seront lisibles dans un futur lointain. » L’acide désoxyribonucléique, par sa dimension universelle, pourrait remplacer avantageusement les supports que l’on connaît actuellement. « L’ADN résulte d’une évolution physique et chimique qui s’est produite sur Terre depuis des millions d’années, explique Jan Krause. Et comme de nombreux domaines (médecine, agriculture, etc.) se fondent sur lui, on peut être sûr que c’est un support que l’on voudra toujours lire. »

Nettement moins énergivore

Ses avantages sont inversement proportionnels à la taille des nanobrins qui contiennent les informations et ne se voient même pas à l’œil nu. « Un seul gramme d’ADN équivaut à un data center de la taille d’un terrain de football, capable par exemple de couvrir les archives de toute la Suisse durant un long moment, compare Jan Krause. De fait, l’ADN est nettement moins énergivore. » En outre, la durée de vie des bandes et des disques de stockage destinés au numérique est de cinq à sept ans, après quoi il faut les transférer sur un autre support du même type, avec le risque de perdre des données. « À titre comparatif, les informations emprisonnées dans l’ambre ou l’os possèdent une demi-vie (temps mis par une substance pour perdre la moitié de son activité, ndlr) de 500 ans, certains génomes de mammouths ayant même pu être lus 5000 ans plus tard. Sans compter qu’avec l’ADN, on n’a pas besoin de ressources non renouvelables pour produire des disques de stockage numérique et que, contrairement aux data centers, cette macromolécule n’est pas sensible aux variations rapides des champs magnétiques que la Terre peut connaître, notamment lors des éruptions solaires. »

Cette solution possède en revanche un inconvénient de taille : son prix. « Nous avons encodé 50 kilobits de données, et cela nous a coûté 2000 francs, déplore Jan Krause. Cela dit, si l’on rapporte cela à la durée de vie de ce processus d’archivage, ce n’est actuellement que 10 à 100 fois plus cher que les méthodes d’archivage électroniques existantes. Et ces coûts devraient s’égaliser dans les cinq ans à venir. » Autre petit bémol : il faut prévoir environ un jour avant de pouvoir accéder aux données. Pour les décoder, il faut en effet les passer dans un séquenceur – cette phase va prochainement être testée par les Archives cantonales.

Comment ça marche ?

Mais, au fait, comment cela fonctionne-t-il ? Dans les grandes lignes, on pourrait dire que des paquets d’archives sont constitués sous forme informatique. Les données qui y figurent sont réorganisées en colonnes, qui deviendront des fragments d’ADN. « Elles sont ensuite numérotées et traduites dans une base de quatre lettres (A, T, G, C), lettres qui correspondent aux bases azotées constitutives des brins d’ADN, détaille Jan Krause.

Une fois cette opération informatique réalisée, les séquences sont envoyées à une entreprise américaine spécialisée dans la synthèse d’acides nucléiques. Les brins d’ADN sont construits par ajout successif des bases A, T, G et C. Actuellement, cela se fait sur des plaques d’une quinzaine de centimètres permettant la fabrication de centaines de milliers de brins en parallèle. Une semaine plus tard, on reçoit un tube dans lequel se trouve l’ADN. Enfin, le matériel est conditionné pour le long terme par un laboratoire de l’École polytechnique fédérale de Zurich, par encapsulation de l’ADN dans des nano billes de carbone. «Pour assurer leur bonne conservation, les tubes ADN ne doivent pas être exposés à des pics de chaleur, souligne Jan Krause. Je pense que c’est une technologie très prometteuse. Les Archives de France l’expérimentent aussi, mais par le biais d’un autre procédé. Certaines institutions, comme le CERN, ont recours à des microfilms sur lesquels se trouvent des codes QR, mais la densité de stockage est nettement plus faible.» L’ADN est donc bien parti pour devenir le Graal des archivistes… (FR)

Samedi 11 juin: «Archiver sur l’ADN, c'est quoi ?»
Dans le cadre de la semaine internationale des archives, il y a un programme spécial  pour les familles et les enfants pour découvrir ce que sont les archives.

Départ des visites et ateliers à chaque heure (dernière visite à 17h).
Inscrivez-vous:  info.acv(at)vd.ch ou sur place le jour-même

En savoir plus

Continuez votre lecture