Le bonheur matinal du travail à la ferme
A 29 ans, Carole Labie dirige la ferme pédagogique et expérimentale de Grange-Verney. Et pourtant rien ne la prédestinait à se lever à 5 heures du matin pour traire les vaches. Avec la passion de son métier, elle nous fait le tour du propriétaire situé sur les hauteurs de Moudon.
Et dire que rien ne prédestinait cette native d’Aubonne – qui n’a pas grandi dans une ferme – à revêtir la salopette et endosser de grosses bottes de paysan. Et pourtant. Entourée de ses vaches et de ses cochons, Carole Labie n’a pas peur de se lever à l’aube pour s’occuper des bêtes et traire les vaches. Et si cela ne fait que deux ans qu’elle occupe le poste de cheffe d’exploitation du domaine agricole de Grange-Verney, elle le connaît déjà sur le bout des doigts. Formée à la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires (HAFL) de Zollikofen (BE), elle est intarissable lorsqu’il s’agit de parler de son métier, de ses collègues, de ses cultures expérimentales et de ses journées auprès des bêtes. Rarement un métier de l’État de Vaud n’a si bien conjugué l’amour de la terre avec le travail au quotidien.
Se familiariser au travail de la ferme
Peu connue du grand public, la ferme située dans les hauts de Moudon est à disposition de l’École d’agriculture du Canton de Vaud sur le site de Grange-Verney. Comme l‘explique Carole Labie: «Dans le cadre de leur formation CFC, les étudiants vont pouvoir s’exercer au maniement de bétail, découvrir le fonctionnement d’une porcherie ou encore se familiariser avec les machines agricoles, dont nous possédons toute la palette, comme les tracteurs, le pulvérisateur, une récolteuse à herbe ou encore la classique autochargeuse.»
Tout en visitant le corps de la ferme, Carole Labie explique la singularité du lieu. Car au-delà des aspects traditionnels de la vie agricole, les étudiants de Grange-Verney sont confrontés à l’une des caractéristiques de l’exploitation moudonnoise, à savoir sa dimension expérimentale: «L’une des missions de notre équipe est de poursuivre des essais sur les cultures et sur le bétail. Plus concrètement, il s’agit, par exemple, de tester des produits alternatifs aux phytosanitaires (pesticides) en étudiant leur efficacité et leurs effets sur les rendements dans différentes cultures et également de tester le développement de nouvelles variétés de blé, orge, soja, pois et colza. Nous possédons également une plateforme dédiée à l’expérimentation en agriculture biologique.»
Être en phase avec le changement climatique
En désignant de la main des parcelles de terre situées en contrebas, Carole Labie explique leur spécificité: «En collaboration avec les enseignants, nous avons mis en place huit microparcelles afin de répondre au besoin pédagogique de la proximité avec les cultures. En effet, les huit parcelles représentent une rotation culturale typique du plateau suisse. Les élèves et les enseignants y ont accès rapidement et cela permet de mettre en place des exercices pratiques.»
« On doit pouvoir valoriser des sous-produits de fabrication comme les drêches de bière. L’idéal serait de pouvoir fourrager nos vaches avec une alimentation la plus complète possible provenant de l'exploitation même. »
Sans cesse améliorer le bilan carbone
Des essais sur l’affourragement du bétail sont en phase de démarrage à Granges-Verney. Comme l’explique Carole Labie, il s’agit en l’occurrence de trouver une manière d’améliorer les apports en protéines et en énergie d’origine végétale, sachant que les tourteaux d’oléagineux sont limités dans la quantité pour respecter le cahier des charges de la fabrication du gruyère AOP. «On doit pouvoir améliorer les sources de protéines en valorisant des sous-produits de fabrication comme les drêches de bière déshydratées. Il en va de même pour l’approvisionnement en énergie. Si la matière première peut être produite et valorisée sur la ferme, nous améliorons notre bilan carbone en combinaison avec l’autosuffisance. L’idéal serait de pouvoir fourrager nos vaches avec une alimentation la plus complète possible provenant de l'exploitation même.»
Veau, vache, cochon, couvée et tracteurs
En arpentant les différentes parties de la ferme, sa chienne Bonnye toujours dans son sillage, Carole Labie est intarissable, détaillant chaque aspect de son travail quotidien sur ce domaine qui compte 53 hectares, sans compter les 30 hectares supplémentaires situés dans les hauts de Moudon, en direction de Sottens. Dans le bâtiment principal: les écuries où séjournent les 35 vaches laitières lorsqu’elles ne sont pas dans les pâturages ou à la salle de traite. À l’arrière du corps principal, des enclos métalliques accueillent presque chaque semaine des vaches, des génisses, des veaux venus des exploitations des environs pour le marché au bétail où ils sont vendus aux enchères. Un peu plus loin, de vastes hangars vitrés abritent les tracteurs et tous les accessoires indispensables dans une exploitation.
Carole Labie nous conduit à la porcherie où quelque 130 cochons, tout beaux, tout roses, tout propres, sont répartis par poids, donc par âge. «À part les truies qui vont mettre bas et les nouveau-nés qui sont dans les couveuses, les cochons sont dehors toute l’année, quel que soit le temps, qu’il fasse beau, qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente. Ils semblent aimer ça…» se réjouit Carole Labie. Grâce aux techniques modernes, toute l’alimentation des bêtes est assurée automatiquement, les rations étant distribuées en fonction du poids, les cochons eux-mêmes étant répartis par box: «Il est vrai que les porcs demandent relativement peu d’entretien, contrairement aux vaches laitières qu’il faut manipuler deux fois par jour.»
Car même si l’automatisation a grandement allégé le travail à la ferme, il n’en demande pas moins de passion pour se lever avant les premières lueurs de l’aube, quand il faut traire les vaches. Carole Labie ne s’en plaint pas, au contraire. «Je suis là et pour rien au monde je n’aimerais être ailleurs. L'équipe va super bien. On est tous hyper motivés, on rigole beaucoup», dit-elle en caressant la tête de sa chienne de deux ans qui vient se glisser entre ses doigts. (DA)
Le domaine de Grange-Verney
Dépendant du Département des finances et de l’agriculture, le domaine pédagogique de Grange-Verney est situé sur les hauteurs de la ville de Moudon, sur la route qui mène en direction de Bussy-sur-Moudon. Il est composé de 83 hectares de surface agricole.
Il comprend des grandes cultures (blé, orge, épeautre, colza, pommes de terre, betteraves à sucre, soja, pois et maïs) et des surfaces herbagères ainsi que du bétail. Soit 35 vaches laitières pour le gruyère AOP, des génisses et veaux Red Holstein et Swiss Fleckvieh ; des porcs d'élevage et d'engraissement (label IP suisse).
L'exploitation est composée d'une cheffe d'exploitation, de trois employés agricoles ainsi que de trois apprentis.
Les essais
Les essais menés à Grange-Verney sont orientés sur les répercussions du changement climatique, sur la réconciliation entre l’agriculture productrice et la protection des ressources et des animaux ainsi que sur la souveraineté alimentaire. L’autre axe sur lequel travaille l’équipe de la ferme de Grange-Verney est celui de l’autosuffisance : « Pratiquement cela revient à mettre en place un circuit court à l’échelle d’une ferme, de manière à diminuer son bilan carbone. À titre d’exemple : ce que je produis, je peux aussi l’utiliser pour nourrir ou entretenir mon bétail et je diminue ainsi au maximum mes importations et exportations de matière », résume Carole Labie. (DA)