Madame Bärtschi pose, vêtue d'un manteau, assise sur cet ancien élément décoratif du sanctuaire.
Sophie Bärtschi, archéologue spécialisée en mosaïque romaine et conservatrice aux Site et Musée romains d’Avenches, pose près de cet élément massif de la corniche du sanctuaire du Cigognier. Image I ARC Jean-Bernard Sieber
Patrimoine-Trésors cachés

Un fragment décoré du sanctuaire disparu

Conservatrice aux Site et Musée romains d’Avenches, Sophie Bärtschi nous ouvre les portes d’un endroit secret et dévoile le tout premier objet inventorié par le musée. Et pas des moindres ! Un bloc de calcaire sculpté de trois mètres, pesant sept tonnes, autrefois perché à 15 mètres du sol… Zoom sur le patrimoine archéologique le plus important de Suisse : un élément de la corniche du sanctuaire du Cigognier.

Sophie Bärtschi, archéologue spécialisée en mosaïque romaine et conservatrice aux Site et Musée romains d’Avenches, pose près de cet élément massif de la corniche du sanctuaire du Cigognier. Image I ARC Jean-Bernard Sieber
3 minutes de lecturePublié le 01 févr. 2023

Le trésor caché des Site et Musée romains d’Avenches est «le plus imposant, le plus lourd et le plus grand de toutes nos collections» lâche Sophie Bärtschi, archéologue spécialisée en mosaïque romaine et conservatrice aux Site et Musée romains d’Avenches (SMRA) depuis 2008. Alors un si gros objet passerait inaperçu aux yeux du grand public? Il s’agit en fait d’un élément de la corniche du sanctuaire du Cigognier, le plus grand monument d’époque romaine de Suisse. Un bâtiment rectangulaire de 23 mètres de haut, avec une cour encadrée d’un portique, dont la construction a débuté en 98 après J.-C.
Le dépôt du musée n’ayant pas la place pour accueillir ce fragment monumental, il est aujourd’hui conservé, avec d’autres éléments, dans une grande halle semi-couverte, inaccessible au public. «Il est ainsi protégé des intempéries en attendant de pouvoir être exposé dans le nouveau musée romain d’Avenches, qui devrait voir le jour ces prochaines années», espère Mme Bärtschi.

Un très large temple carré vu de l'intérieur de la cour, avec une colonnade impressionnante et un grand fronton.Vue d'artiste: restitution du sanctuaire du Cigognier. Image I Franck Devedjian / Wikimedia Commons

Zoom sur le sanctuaire du Cigognier

Bâti sur le modèle du Forum de la Paix à Rome, le sanctuaire du Cigognier qui faisait face au théâtre est tout bonnement gigantesque, si l’on en croit ses dimensions: 111 mètres sur 118. C’est qu’Aventicum, colonie romaine et véritable centre économique et religieux de l’Helvétie il y a 2000 ans, n’était pas la petite bourgade paisible que l’on connaît de nos jours. Ceinte d’un mur de cinq kilomètres, elle comptait alors 20 000 habitants : de quoi donner le tournis aux quelque 4000 Avenchois d’aujourd’hui. En plus des nombreux bâtiments qui la composaient — et des fameux vestiges comme ceux de l’amphithéâtre, encore debout, que l’on peut admirer in situ —, le sanctuaire du Cigognier était vraisemblablement en partie dédié au culte impérial, comme le suggère le buste en or de l’empereur Marc-Aurèle découvert à proximité en 1939, et dont la copie est exposée dans le musée.

On voit bien sur ce dessin les deux griffons entourant un canthare, vase grec à ansesLe fragment représenté dans une aquarelle de 1809 signée A. Parent. Image I Tiré de M. Bossert, Die Figürlichen Baureliefs des Cigognier-Heiligtums in Avenches, CAR 70, Aventicum VIII, Lausanne 1998

Un fragment… de sept tonnes

Si l’on connaît bien la colonne du Cigognier de douze mètres de haut, encore sur pied, qui en marque l’emplacement (et qui a donné son nom au sanctuaire parce qu’elle a longtemps accueilli un nid de cigogne), on n’a encore jamais eu sous les yeux ce fragment du temple de près de trois mètres de long,découvert au XVIIIe siècle, comme en attestent de belles gravures aquarellées de l’époque. «Ce bloc de calcaire sculpté, de près de sept tonnes, représente un élément de la corniche — juste à la base du fronton — et il faut donc se l’imaginer à près de 15 mètres de hauteur !» Sculpté de deux griffons entourant un canthare (un vase grec à anses), il n’a pas révélé de traces de pigments, «bien que l’on sache que l’architecture romaine était polychrome. Mais la taille est absolument fabuleuse et le décor bien conservé !» Un souci du détail qui enchante Sophie Bärtschi, sachant que cette corniche était placée aussi haut… «Ce qui m’impressionne encore et toujours, c’est la facture, l’appareil décoratif impressionnant qui est parvenu jusqu’à nous, et dans cet état. Et puis c’est une très belle roche locale, du calcaire blanc de la Lance, issu de la rive nord du lac de Neuchâtel, près de Concise, et qui ressemble au marbre. Pas besoin d’aller en chercher en Italie !» Devant ce travail d’une grande finesse et cette monumentalité tout antique, Sophie Bärtschi salue «un véritable trésor» et «un élément parmi les plus importants du patrimoine archéologique de Suisse». (EB)

Les SMRA en deux mots

Inaugurée en 1838, l’institution cantonale des Site et Musée romains d’Avenches (SMRA) conserve environ un million d’objets dans son dépôt (moins de 200 objets sont exposés au musée) et attire aujourd’hui près de 20 000 visiteurs par an.
Installée sur le site archéologique d’Aventicum — le musée trône dans la tour érigée sur l'amphithéâtre au XIe siècle —, elle a une double mission archéologique et muséale, c’est-à-dire de fouiller, conserver, étudier et valoriser les traces de l’Histoire de cette antique capitale des Helvètes.

Encore à l’étude, le projet de nouveau musée romain d’Avenches (qui prévoit de regrouper sur un seul site un nouveau musée agrandi, un laboratoire de conservation-restauration, un dépôt archéologique, une bibliothèque ainsi que des espaces publics et culturels­) devrait voir le jour à la fin de la décennie.

Continuez votre lecture