«L’eau, c’est la vie. Il faut la protéger»
Au moment de partir à la retraite, celui qui fut durant 15 ans à la tête de la Division ressources en eau et économie hydraulique (Direction générale de l’environnement) nous emmène dans les méandres et profondeurs des eaux vaudoises. De haute stature, les yeux bleu pâle, Philippe Hohl nous parle avec passion des lacs et des rivières dont il s’occupa durant toute sa carrière.
Si Gilles a très poétiquement décrit la Venoge, Philippe Hohl pourrait, lui, écrire des vers sur chacune des rivières qui abreuvent notre bien joli canton, du ruisselet en bordure de champ au puissant Rhône. Des cours d’eau qui, mis bout à bout, s’étendent sur près de 6000 kilomètres. Philippe Hohl est tout en nuances et en connaissances. Un savoir acquis au fil des ans, d’abord comme étudiant en génie rural à l’EPFL. Après deux années passées comme assistant du professeur Musy (période durant laquelle la Suisse orientale et centrale est alors bousculée par de grandes crues), le voici convoqué: «Le chef du Service des eaux et de la protection de l'environnement, comme il se nommait à l'époque, cherchait à recruter un nouveau collaborateur pour travailler dans le domaine des eaux. «Au sein de l'État, j'ai eu la chance de pouvoir traiter en profondeur les questions hydrauliques et hydrologiques, à savoir comprendre d'où vient l'eau, en quelle quantité et où elle va…» Entre autres missions, Philippe Hohl met alors sur pied un système pour calculer le débit des rivières. «Trente ans plus tard, ce ne sont pas moins d’une soixantaine de stations réparties dans tout le canton qui mesurent les flux et les variations des cours d’eau, dues aux précipitations.»
Protéger la nature… et les hommes
En 2007, Philippe Hohl prend la tête de ce qui était alors la Direction économie hydraulique, dont il définit les différentes missions: «Le point commun entre elles est que nous devons protéger l’eau et son milieu, tout comme nous devons nous en protéger quand elle est trop abondante et qu'elle déborde. Enfin, il nous incombe de produire de l’énergie durable, ce qui participe également à la protection de l’environnement.» Comme il le rappelle, l’hydroélectricité est tout sauf négligeable: pas moins de 1000 gigawattheures sont produits dans le canton, ce qui représente environ un quart de l’énergie électrique vaudoise consommée. «À titre de comparaison, cela équivaut à la production électrique de 200 grandes éoliennes.
Illustrant à merveille la double mission de la DGE-EAU, soit protéger la population des crues tout en rétablissant la biodiversité le long des rives, la renaturation des rivières et du Rhône figurent sans aucun doute parmi ses chantiers marquants: «Les premières canalisations des eaux, au XIXe siècle, avaient pour objectif de donner à manger à la population en laissant de la place à des terres agricoles assainies. Pour qu’elles n’inondent pas les grandes plaines alluviales comme celles du Rhône, de la Broye ou encore de l’Orbe, il fallait en maîtriser les crues.»
Des millions pour sécuriser et renaturer les lacs et cours d’eau
Changement de paradigme dans les années 80. De graves inondations relancent les réflexions sur la manière d’accompagner les cours d’eau. Philippe Hohl : «C’était bien de maîtriser les écoulements qui menaçaient les champs et les villes. Mais en réduisant l’espace réservé à l’eau, on a surtout augmenté les risques d’inondations pouvant engendrer d’énormes dégâts. Il a donc fallu lui redonner un espace en repensant les rives des lacs et des rivières pour que l’eau reste dans son lit. Et en même temps, cela nous a permis de valoriser ce gain d’espace en le revitalisant. Le castor est l’animal emblématique de cette biodiversité retrouvée. Alors que l'espèce avait disparu au XIXe siècle, on estime qu'ils sont environ 480 sur le territoire vaudois, pouvant désormais coloniser de nouveaux habitats en remontant les rivières.»
Parmi les plus connues, la Thièle (dont les travaux ont coûté 15 millions), la Venoge (4,5 millions) ou encore l’embouchure de la Broye (3 millions) illustrent ce vaste programme de sécurisation et renaturation des rivières – sans parler de la troisième correction du Rhône dans le Chablais, dont le budget total se situe entre 600 et 700 millions de francs; le chantier démarrera en 2024 sous réserve de l’enquête publique.
Une constante pesée des intérêts
Au-delà de ces chantiers qui ont changé le paysage vaudois et marqué la carrière de Philippe Hohl, ce dernier accorde également une importance toute particulière à la gestion intégrée de l’eau: «Dans un contexte de plus en plus lié au changement climatique et la multiplication des besoins en eau (aussi bien qualitatifs que quantitatifs), la gestion des ressources (lacs, rivières, nappes ou sources) s’impose comme un enjeu primordial. Cela se traduit, notamment, par une nécessité de coordination et de constantes pesées d’intérêts.»
Pour répondre à ce défi majeur, la DGE-Eau peut s’appuyer sur une section en charge de la gestion du domaine public des eaux. Pour illustrer ce travail, Philippe Hohl cite le Montreux Jazz: le festival veut étendre une scène sur le lac: «Le rôle de cette section est dans ce cas de coordonner l’étude du projet et ses conséquences éventuelles sur les eaux, les riverains et les rives pour ensuite fixer les contraintes liées à ce genre d'événement, même temporaires.»
Autre exemple, l’utilisation de l'énergie thermique tirée de l'eau du lac permet, notamment à l’EPFL, de chauffer et refroidir ses installations: «L'idée est de promouvoir ce potentiel d’énergie durable tout en fixant des limites. On ne peut pas imaginer que chaque école, chaque industrie, commune ou riverain installe une conduite dans le lac, en pompant des volumes d’eau, en la réchauffant localement, en construisant les infrastructures sur la baie, qui vont forcément perturber l’environnement. Pour éviter que le lac ne se transforme dans le futur en une espèce de poubelle, la gestion intégrée de l’eau doit être encore plus systématique. Il faut continuer à encourager la mutualisation pour éviter que chacun y installe son tuyau, par exemple. Toutes ces questions touchant au lac, aux rivières ou aux eaux souterraines devront se traduire par un plan sectoriel d'usage et de protection des eaux, qui doit identifier où sont les ressources, leur volume et leur usage (pour boire, réchauffer, refroidir, irriguer…) et les gérer.»
L’eau, notre vie, notre futur
Après plusieurs sécheresses, les questions sur les réserves en eau et sa qualité ne cessent de se poser, même dans notre pays où la plupart des habitants n’ont pas dû s’en préoccuper depuis longtemps. «Malgré les effets du changement climatique, la Suisse reste le château d'eau de l'Europe, il n’y a vraiment aucun doute à ce sujet. En revanche, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de limites. Cette vision est fausse. C'est même le moment ou jamais de mettre en route une planification de l’eau pour qu’elle puisse être bue, utilisée pour les loisirs, servir l'économie et arroser les milieux naturels pour que la faune et la flore se développent. D’où l’importance d’un plan sectoriel d'usage et de protection des eaux, qui répertorie les besoins, les planifie, et nous offre une vision globale et partagée par tous les acteurs concernés. C’est ça le futur.»
Puits de connaissance, Philippe Hohl a commencé par s’intéresser à l’eau lors de ses études : « En travaillant sur le tarissement des nappes, j’ai vraiment ressenti ce lien intime entre l'eau et la vie. Nous vivons en symbiose avec cette eau, c'est vrai. Et ce plaisir, lorsque vous vous promenez en plein été dans un sous-bois où de l’eau fraîche suinte, l’odeur de la terre humide. L’eau est précieuse, elle est notre alliée, c’est pourquoi elle doit être protégée!» (DA)