Il arrive parfois que nos émotions prennent le dessus et nous empêchent de fonctionner correctement. C’est notamment le cas de la peur, l’un des rares sentiments capables de nous tétaniser. Pour certains, il s’avère pourtant primordial de garder en permanence le contrôle, malgré un contexte particulièrement tendu. C’est par exemple le cas des opérateurs du DARD, unité d’élite, formés aux missions à haut risque pour lesquelles la peur, qu’importe les situations, doit impérativement être maîtrisée.
Le champ d’action du DARD couvre une multitude de domaines et de situations. Par an, ses opérateurs interviennent entre 100 à 200 fois, estime l’un de ses membres. «Nos missions comprennent le contre-terrorisme, l’interpellation de forcenés, de personnes en passe de mettre fin à leurs jours, le transfert de certains détenus à haut risque, l’intervention dans le milieu carcéral en cas de mutineries, les perquisitions, lorsqu’il faut aller chercher un ou plusieurs individus dans le cadre d’enquêtes judiciaires, liées aux stupéfiants ou au grand banditisme par exemple», précise un opérateur, qui restera anonyme et que La Gazette a pu rencontrer. Des contextes donc variés, qui comprennent une palette de types de dangers et demandent une réponse adaptée à chaque situation.
La peur est toujours canalisée. Elle doit nous permettre de rester en vie, d’éviter de nous mettre en danger inutilement. Il faut la transformer en stress positif.
Et la peur?
Contrairement aux idées reçues, la peur fait bien partie du quotidien de ces opérateurs. De différentes façons et à différents degrés. «La peur est en revanche toujours canalisée. Elle doit nous permettre de rester en vie et d’éviter de nous mettre en danger inutilement. Il faut la transformer en stress positif. C’est une sorte de petite voix qui nous dit de faire attention aussi bien à nous-mêmes qu’à nos camarades.»
Pour être aptes à appréhender chaque événement, les opérateurs du DARD comptent notamment sur une formation rigoureuse et continue ainsi que sur un matériel de pointe. Mais surtout sur une préparation minutieuse. «Au contraire de nos collègues qui interviennent sans nécessairement connaître toute la situation, nous avons la chance de pouvoir nous préparer. Lorsque nous sommes engagés sur le terrain, il y a peu de surprise. Toutes les informations que nous obtenons seront absorbées.» Par exemple, des données qui concernent aussi bien les lieux sur lesquels il faut intervenir que les plans d’un bâtiment; mais aussi sur la partie adverse, son état d’esprit et les raisons qui poussent à une intervention. Sauf cas particulièrement rare, en somme, rien ne se fait à la hâte. Il en va de la réussite d’une opération.
Un bloc solide
Élément clé d’un tel travail: l’esprit de corps et la fraternité d’armes. «Nous intervenons toujours en groupe. Quand il nous faut pénétrer chez quelqu’un, on sait qu’un collègue sera toujours présent en cas de besoin. Chacun d’entre nous est prêt à mettre un jour sa vie en danger pour un membre de l’équipe.» Un état d’esprit nécessaire à l’intégration au DARD, plus important même que les compétences techniques d’un postulant. «Il est clair que des compétences de base sont nécessaires pour réussir les sélections. Mais beaucoup de choses s’entraînent et même une fois opérateurs, nous continuons de nous entraîner de façon rigoureuse. En revanche, l’état d’esprit, la capacité d’intégration, l’appartenance à ce groupe de façon complète, est primordial. Dans le cadre de notre métier, nous devons compter les uns sur les autres.» Un esprit de camaraderie particulièrement important pour ces forces spéciales, dont on ne voit jamais le visage des membres.
Dans une certaine mesure, la peur constitue une forme de normalité du quotidien de ces agents d’élite et des missions qu’ils ont à mener à bien. Mais pas seulement, puisqu’elle touche les forces de l’ordre dans leur globalité. Les questions liées à la peur sont abordées dès l’Académie de police, par laquelle passe chaque individu souhaitant devenir membre des forces de l’ordre. Tout comme le stress et les différentes émotions que pourrait ressentir un agent en mission ou après une intervention. «Il faut aussi souligner que tous les membres du DARD sont issus du terrain, ont tous été primo-intervenants et ont donc déjà tous expérimenté la peur au cours de leur carrière. Une fois encore, nous avons la chance de nous préparer mentalement à ce qui nous attend, et nous sommes formés pour cela. Lorsque nous intervenons, nous essayons toujours d’être proactifs. Le primo-intervenant a, lui, beaucoup plus de risque de subir une intervention, ce qui génère davantage de peur et de stress. »
Restent en revanche des peurs insoupçonnées, davantage liées à notre époque. «On sait aujourd’hui, dans le cadre d’une interpellation de rue par exemple, que nous allons être filmés par un passant et que certains vont analyser et débattre pendant des heures et des jours des décisions qu’il aura fallu prendre parfois en une fraction de seconde.» Un phénomène nouveau, parfois vécu comme une injustice et qui s’accompagne d’un stress croissant, conclut l’opérateur. (DT)
Au départ, la menace terroriste
Constitué en 1991, le DARD, pour Détachement d’action rapide et de dissuasion, trouve ses origines, comme de nombreuses unités de ce type, dans la prise d’otages survenue au cours des Jeux olympiques de Munich en 1972, et qui a coûté la vie à près d’une vingtaine de personnes. «De manière générale, c’est à partir de cet événement que l’Europe et le monde entier ont commencé à se poser des questions relatives au terrorisme. Ce qui a amené à créer des unités dédiées à ce genre de missions», analyse un opérateur du DARD. Dès 1976, un groupe d’intervention a vu le jour à la police cantonale. Ces opérateurs étaient des gendarmes volontaires qui s’entraînaient occasionnellement. Dès 1989, ce groupe s’est professionnalisé et est devenu permanent. En 1991, il s’est encore agrandi et a été baptisé DARD.
La multiplication des actes terroristes dans les pays voisins ces dernières années pose la question d’un changement de contexte, qui touche aussi les forces de l’ordre sur territoire helvétique. Les événements vécus notamment en France et dans la plupart des pays comparables à la Suisse sont systématiquement analysés afin que les groupes d’intervention tels que le DARD adaptent leurs techniques, leurs entraînements voire leur matériel pour être en mesure de répondre au mieux si des attaques devaient avoir lieu sur le territoire vaudois.
S’il s’agit bien d’une réalité et d’un risque, la menace terroriste ne semble en revanche pas constituer une peur nouvelle ou grandissante au sein des forces spéciales. «Une fois encore, les groupes d’intervention comme le nôtre ont été créés pour répondre à ce genre d’attaques si nous devions y être confrontés. Elles ne constituent donc pas une peur en soi. Et il faut aussi prendre en compte le contexte. Nous nous trouvons en Suisse. Mon discours serait donc probablement très différent dans un autre environnement, comme dans certains pays où le danger d’être confronté à des armes à feu peut être quotidien et donc radicalement différent de chez nous.» (DT)