Portrait de Ron Stoop en contre-jour. Son ombre se découpe sur le fond, au loin
Ron Stoop, professeur associé à l’Université de Lausanne: «La peur est une indication que quelque chose de néfaste va ou peut se produire». Image | BIC-FA
Peur

La peur, une mécanique animale

Une porte qui claque et c’est le choc. Sursaut, blocage et cœur qui s’accélère. Le tout en une fraction de seconde. Professeur à l’Université de Lausanne, Ron Stoop décortique les différentes étapes de la peur.

Ron Stoop, professeur associé à l’Université de Lausanne: «La peur est une indication que quelque chose de néfaste va ou peut se produire». Image | BIC-FA
5 minutes de lecturePublié le 06 oct. 2023

Fantômes, sorcières, zombies ou araignées. Pour Halloween, beaucoup ont choisi leur costume. La grande fête de la peur donnera aussi l’occasion, tapi dans le noir, caché derrière une porte, de s’amuser à faire sursauter ses amis ou collègues.

Si l’acte semble banal, la réaction est quant à elle bien complexe. La peur, c’est notre cerveau qui la contrôle. «La peur est une indication que quelque chose de néfaste va ou peut se produire», explique en premier lieu Ron Stoop, professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne et responsable de l’unité de recherche sur la neurobiologie de l’anxiété et la peur du Centre de neurosciences psychiatriques.

L’amygdale au cœur du processus

La majeure partie du processus se déroule au niveau des amygdales, des structures profondes dans notre cerveau divisées en plusieurs parties (centrale et basolatérale, liée à l’expérience), sortes de centrales d’alertes qui reçoivent différents signaux. «Elles apprennent puis interprètent quels stimuli sont positifs ou négatifs au moment d’un événement inattendu», précise le neurobiologiste. On ne réagit évidemment pas de la même manière selon que quelqu’un sonne à la porte ou qu’une forte détonation se fait entendre dans la rue.

Plus précisément, il faut distinguer plusieurs types de stimuli qui n’agissent pas de la même manière sur les différentes parties de l’amygdale. Lors d’une balade en forêt par exemple, un sifflement caractéristique et la vue de quelque chose qui bouge sous un tas de feuilles indiqueront un potentiel danger. C’est le stimulus dit non conditionné. Ici, la surprise de voir quelque chose se mouvoir sous les feuilles sans que l’on s’y attende et sans savoir de quoi il s’agit. Si ce devait être un serpent, nul besoin d’avoir été mordu pour en avoir peur; notre cerveau a probablement déjà été conditionné par les avertissements d’un parent. «Lorsque ces signaux se rejoignent dans la partie basolatérale des amygdales, celle qui a appris le danger et la peur, ils enclenchent l’ensemble du système. Mais le stimulus non conditionné seul peut aussi enclencher tout le processus», par exemple lorsque quelqu’un se cache derrière une porte… pour nous faire peur.

Il faut aussi compter sur l’importance de l’hippocampe, partie du cerveau proche des amygdales. Une structure capitale dans le processus de la mémoire, qui va donc nous rappeler d’autres situations similaires déjà vécues, au point de conditionner nos réactions. Les amygdales, elles, gèrent l’aspect émotionnel de la mémoire.

"Dans des cas de très grande frayeur, l’estomac se bloque et les intestins se vident. Dans le monde animal, cela permet à une proie d’être plus légère et donc de courir plus vite pour échapper à un prédateur."

Ron StoopResponsable de l’unité de recherche sur la neurobiologie de l’anxiété et la peur du Centre de neurosciences psychiatriques

Réactions corporelles et diminution de la peur

Les signaux sont ensuite envoyés dans la partie centrale de l’amygdale. Si le danger est confirmé, l’amygdale centrale transmet alors les signaux vers le tronc cérébral, et donc le système nerveux. «L’amygdale centrale est en quelque sorte la partie qui déclenche la peur physiologique», précise le spécialiste. Une fois le signal arrivé jusqu’au tronc cérébral, le corps réagit: modification du rythme cardiaque et de la pression sanguine, « freezing » (le fait de se figer) et « startle reflex » (le sursaut, en quelque sorte). «La partie intestinale est aussi impactée. Dans certains cas, notamment de très grande frayeur, l’estomac se bloque et les intestins se vident. Dans le monde animal, cela permet à une proie d’être plus légère et donc de courir plus vite pour échapper à un prédateur», illustre Ron Stoop.

Selon la situation et le degré de peur, d’autres réactions peuvent encore se manifester. Comme la transpiration. Avoir les mains moites par exemple n’est pas juste une expression physique de la peur, mais bien, comme pour les intestins, un mécanisme de défense. On tient bien mieux un bâton dans les mains lorsque celles-ci sont humides.

Tout ce processus, sujet à diverses variations selon les situations rencontrées et les individus, constitue la mécanique « classique » de la peur. Reste encore à savoir si celle-ci peut être contrôlée, voire diminuée. «L’amygdale centrale peut moduler l’expression de la peur et donc la diminuer», confirme le chercheur. Dans le cadre de leurs travaux, Ron Stoop et ses équipes ont montré que l’ocytocine, une hormone sécrétée par l’hypothalamus, est parfois directement envoyée dans l’amygdale centrale, et peut ainsi réduire la peur. Ou faire en sorte qu’un individu ne reste pas complètement figé. À noter toutefois que nous ne sommes pas tous égaux face à l’ocytocine. Si cette hormone permet de réagir, elle est principalement produite chez les personnes au bénéfice de liens sociaux importants, ou qui en ont bénéficié dès la plus tendre enfance. En clair, nous avons moins peur à plusieurs. Mais seuls, pour les individus habitués à être entourés dès le plus jeune âge, il est aussi possible de s’en sortir par ses propres moyens. (DT)

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