Portrait de Kerstin von Plessen en contre-jour. Son ombre se découpe sur le fond, au loin
Kerstin von Plessen, directrice du Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent: "La peur nous protège des choses qui pourraient nous nuire." Photo | BIC-FA
Peur

Apprendre la peur dès sa plus tendre enfance

Peur quand il fait nuit, des araignées ou des clowns? Des craintes courantes chez l’être humain, notamment chez les plus petits. Mais pour Kerstin von Plessen, directrice du Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, la peur n’est pas une fatalité. Au contraire, elle joue un rôle important dans le développement de l’enfant.

Kerstin von Plessen, directrice du Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent: "La peur nous protège des choses qui pourraient nous nuire." Photo | BIC-FA
8 minutes de lecturePublié le 31 oct. 2023

Vous n’avez jamais pu regarder Le Roi Lion en entier avec votre enfant parce qu’il avait bien trop peur quand Simba est pourchassé par les méchantes hyènes? Pas de panique, rien de grave à cela. Et si vous trouvez que votre cher petit pourrait faire un effort, sachez que la peur est en réalité primordiale pour son développement. «Un enfant a naturellement des peurs», confirme Kerstin von Plessen, professeure à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL et cheffe du Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au CHUV. «Ce qui est important, c’est l’équilibre. Parce que la peur nous protège des choses qui pourraient nous nuire.»

La peur « positive »

Si la peur est donc naturelle, pour la chercheuse et clinicienne, elle n’est en revanche pas innée. En jouant, il est fréquent que les enfants cherchent les sensations de peur. «Ceci permet de la maîtriser et d’aller de l’avant. Comme quand la vie nous impose des épreuves.»

Autre indicateur que la peur ne pointe pas le bout de son nez en même temps que celui d’un nouveau-né, un enfant a tendance à chercher la réaction d’un parent face à une situation inconnue. «Quand un tout petit est confronté à quelque chose qu’il ne connaît pas, il commence par regarder l’adulte, pour savoir comment il doit gérer l’inconnu. Pour savoir s’il doit avoir peur ou non», explique la chercheuse. D’où l’importance de la relation à l’autre. Mais pas seulement.

L’expérimentation fait elle aussi partie du processus de développement naturel. Avant d’avoir peur, il faut avoir essayé. Le fait de craindre ou de savoir qu’il faille faire attention aux objets particulièrement chauds, une plaque de cuisson par exemple, résulte d’expériences.

Le rôle des adultes

Reste que la peur n’a pas les mêmes caractéristiques que l’anxiété généralisée ou les phobies spécifiques, qui entrent dans la catégorie dite pathologique, dont les effets sont plus importants et demandent un autre accompagnement.

Partant du principe qu’un tout petit cherche la réaction d’un adulte, ce dernier peut alors transmettre ses craintes ou phobies à un enfant. Dans le cadre de certains traitements ou suivis, il devient nécessaire d’agir aussi bien sur les petits que sur les adultes. «Quand nous sommes confrontés à de l’anxiété chez un enfant, nous devons souvent agir sur l’ensemble d’une situation. Dans le cas de la phobie scolaire par exemple, nous travaillons évidemment avec les enfants. Mais aussi avec les parents, parce que si ceux-ci émettent des discours à la maison qui favorisent la phobie scolaire, le travail n’aura servi à rien. De façon générale, il nous faut découvrir les transferts potentiels qui peuvent intervenir entre les enfants et les parents.»

"Il faut se confronter à sa peur dans des mesures tolérables. Plus on s’y confronte, plus on en a l’habitude et moins on a peur."

Kerstin von PlessenCheffe du Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au CHUV.

Lorsqu’il est question de traiter une peur, aussi bien celle d’un enfant que d’un adulte, la spécialiste souligne aussi la nécessité d’être proactif. «Le but est de ne pas opérer de stratégie d’évitement. Il faut se confronter à sa peur dans des mesures tolérables. Plus on s’y confronte, plus on en a l’habitude et moins on a peur. Ce qui développe souvent le sentiment gratifiant de maîtriser sa peur. C’est très connu dans le cas de la peur de s’exprimer en public, par exemple.» Pour les parents donc, il est vivement conseillé d’encourager leur enfant.

Le rôle des adultes est essentiel lorsqu’il s’agit d’aider un enfant à vaincre ses peurs. Encore faut-il savoir comme agir selon les situations. «Dans le cas du harcèlement par exemple, à la maison ou à l’école, il est essentiel que les adultes interviennent et réprimandent les auteurs. Mais il faut aussi donner des outils aux victimes, les encourager à agir, leur montrer qu’elles ont les capacités de prendre leur destin en main.»

Injection: une personne gantée de latex en train de faire une injection dans le bras de quelqu'un. On ne voit aucun visageLa crainte des aiguilles est fréquente dans les cabinets médicaux. | Photo: Alessandro Guerriero

Peur des aiguilles et héritages de l’enfance

Aller chez le médecin n’a parfois rien de drôle. Notamment quand il est question d’aiguilles. Cet objet de malheur qui, pour certains, mesure trois mètres de long et qui aurait la capacité de nous perforer de part en part. Si la peur nous fait parfois exagérer la réalité, elle témoigne en revanche d’un souvenir fort peu agréable qui vient souvent de l’enfance.

Mais pourquoi l’aiguille nous fait-elle peur? «Je pense que cette crainte se situe à deux niveaux, répond Nicolas Senn, chef du Département de médecine de famille à Unisanté. En premier lieu, planter une aiguille peut faire mal. Mais cette peur est aussi probablement liée à la symbolique de se faire injecter un produit qui va changer quelque chose dans le corps. C’est que l’on voit beaucoup avec les vaccins.»

Souvenirs

Si l’on associe souvent cette peur aux enfants, elle ne leur est pourtant pas réservée. «Avec les adultes, il n’est pas rare d’entendre un patient nous dire ‘Ah, c’était juste ça!’». Preuve de la capacité humaine à intérioriser des souvenirs désagréables, mais, somme toute, éloignés de la réalité.

Un rendez-vous médical n’est de loin pas toujours synonyme d’aiguille. La peur ne serait-elle donc pas plutôt liée à la blouse blanche? « Nous ne pouvons pas dire qu’il y ait une peur du médecin en tant que tel, aussi perçu comme la personne qui soigne. Mais on constate bien une forme de stress», indique Nicolas Senn. Un exemple? Ce que les médecins appellent «l’hypertension de la blouse blanche». Le fait que les valeurs soient parfois plus importantes quand la tension est prise directement au cabinet plutôt que par le patient lui-même, à domicile. Dans le cadre plus général d’une prise en charge médicale donc, la crainte principale reste celle de la douleur.

Quid enfin de la peur du médecin omniscient et omnipotent? Celui qui sait tout, sauf parler notre langue, au fond. «Ce modèle paternaliste, tel que nous avons pu le connaître, appartient au passé. Les choses ont bien changé ces quinze dernières années. Aussi dans le cadre de la formation des étudiantes et étudiants en médecine. Aujourd’hui, le médecin est bien davantage dans la communication avec le patient», assure Nicolas Senn. (DT)

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