
Dans les coulisses du nouveau Palais de justice de l’Hermitage
Samedi 4 octobre, après trois ans de travaux, le Tribunal cantonal de Lausanne s’est dévoilé au public, entièrement rénové et agrandi. Lors d’une journée festive organisée par l’Ordre judiciaire vaudois, qui a drainé près de mille personnes, un public varié et enthousiaste a découvert les lieux en compagnie des magistrats et de leurs collaborateurs. Retour sur un chantier délicat et exemplaire.
Bien connu de la population, le bâtiment des années 1980 qui abritait le Tribunal cantonal avait vieilli. Trop exigu, énergivore et parfois critiqué pour son implantation brute dans le paysage, il ne correspondait plus aux besoins d’une institution qui compte désormais près de 240 magistrats et collaborateurs.
Rassembler la justice sous un même toit
Lancé en 2019 par la Direction générale des immeubles et du patrimoine (DGIP), le concours d’architecture a conduit au projet du bureau zurichois Blättler Dafflon, retenu à l’unanimité. L’objectif? Réunir sous un même toit toutes les cours du Tribunal cantonal, dispersées depuis plus de vingt ans entre plusieurs adresses lausannoises.En effet, jusqu’à la fin des années 1990, le Tribunal cantonal ne regroupait que les cours de droit civil et pénal. Les juridictions de droit public (alors le Tribunal administratif et le Tribunal des assurances) fonctionnaient séparément. La nouvelle Constitution cantonale, entrée en vigueur en 2003, puis des modifications du droit fédéral ont changé ce paysage en intégrant ces instances au Tribunal cantonal, faisant passer le nombre de juges de 15 à actuellement 45. Une révolution silencieuse, mais essentielle, comme s’en réjouit Marie-Pierre Bernel, présidente du Tribunal cantonal depuis 2023. «Jusqu’ici dispersées entre différents sites, les cours civiles, pénales et de droit public travaillent désormais côte à côte grâce à l’extension qui complète le bâtiment principal de 1986.»
L’extension de forme circulaire se distingue nettement, mais à l’intérieur la continuité est totale et l’on ne sent aucune rupture en passant d’un bâtiment à l’autre. Photo | Milo KellerUne réponse architecturale à une mission institutionnelle
À eux deux, les bâtiments abritent 80 places de travail supplémentaires dans un environnement d’exception qu’est la campagne de l’Hermitage: une prairie fleurie en pente douce, un verger et des arbres séculaires à deux pas du centre-ville... L’ancien édifice conserve les salles d’audience et les greffes, soit le cœur des activités judiciaires ouvertes au public. Accolé à son angle sud-est, le nouveau volume est une tour vitrée de six étages, rythmée par des piliers en bois, qui accueille les espaces exclusivement destinés aux collaborateurs, comme les bureaux des juges, des greffiers et d’une partie du secrétariat général. L’idée des architectes? Une ammonite. Ce mollusque du Mésozoïque fossilisé à l’élégante coquille en spirale, s’accrochant, comme un coquillage à son rocher, aux surfaces géologiques environnantes. «L’architecture doit paraître évidente, comme si elle avait toujours été là», résume l’architecte lauréat, Gilles Dafflon. Et c’est bien par une idée simple que leur proposition s’est imposée: coller au tribunal une extension circulaire. «La forme circulaire réduit l’emprise au sol et exprime une égalité symbolique: chaque bureau ouvre sur le paysage.» Au sommet, une cafétéria baignée de lumière offre aux collaborateurs une vue spectaculaire sur le Léman et les Alpes. «Dans un métier exigeant, disposer d’un espace commun chaleureux est
essentiel», se réjouit Valérie Midili, secrétaire générale de l’Ordre judiciaire vaudois.De son côté, Marie-Pierre Bernel explique que l’un des grands mérites du projet réside dans son imbrication architecturale: «Extérieurement, l’extension se distingue nettement, mais à l’intérieur, la continuité est totale. On passe d’un bâtiment à l’autre sans s’en apercevoir, ce qui est appréciable pour les huissiers qui transportent les dossiers. Les architectes ont respecté les niveaux, les hauteurs de plafond, les matériaux: on ne ressent aucune rupture. On est vraiment dansun seul tribunal», souligne la magistrate.
Moderniser sans trahir
La transformation ne s’est pas limitée à l’extension. Le bâtiment d’origine, conçu par Musy et Vallotton, a été minutieusement rénové: isolation renforcée, sécurité repensée, signalétique harmonisée. La verrière centrale a par exemple été remplacée par une structure plus performante, tout en conservant la luminosité généreuse de l’atrium, et des panneaux solaires couvrent désormais la toiture. Le résultat, imperceptible au premier regard, est assumé: «Notre plus grand succès, confie Gilles Dafflon, c’est que cette modernisation se voit à peine. On a l’impression que rien n’a changé, et pourtant tout a été amélioré.» Au-delà de la discrète, mais indéniable remise en valeur, la sécurité tout entière a été repensée: accès différenciés aux zones publiques et privées par badges, zones carcérales mieux isolées, circulation des détenus sécurisée. De surcroît, le sous-sol agrandi a été pensé comme un abri de protection civile de 600 places pour la Ville de Lausanne en cas de conflit armé.«Autant de mesures conformes aux normes actuelles, absentes ou rudimentaires dans l’édifice d’origine», se félicite Marie-Pierre Bernel. L’ensemble répond par ailleurs aux objectifs cantonaux de neutralité carbone d’ici 2050 et se distingue par son exemplarité environnementale : utilisation de hêtre issu des forêts vaudoises, ventilation naturelle dans l’esprit low-tech cher au Canton dans ses constructions, chauffage à distance, toitures végétalisées… L’extension a d’ailleurs obtenu le label SméO Énergie + Environnement.
La présidente du Tribunal cantonal Marie-Pierre Bernel fait visiter les lieux, le jour de l'inauguration officielle. Photo | ARC-SieberUn chantier délicat et exemplaire
Mener une rénovation de cette ampleur sur site occupé relevait du défi. Mais si les trois années de chantier ont pu parfois être éprouvantes pour les utilisateurs, le phasage des travaux a permis de maintenir le fonctionnement de la justice, tout en avançant par étapes. «Cela a demandé une organisation millimétrée et une grande souplesse de la part des entreprises», rappelle Jacqueline Schwarz, cheffe de projet à la DGIP, qui salue leur ponctualité et leur maîtrise des coûts.
Quant au site, très apprécié des Lausannois, il a été intégré au projet avec beaucoup de soin. Les architectes – qui ont par ailleurs planté neuf nouveaux arbres majeurs et indigènes – ont eu à cœur de préserver une relation directe au parc. Pas de clôtures ni de repli sécuritaire: les promeneurs continueront de longer les bâtiments au gré de leurs balades. «Ce dialogue avec le paysage, c’est aussi un geste démocratique: l’ancrage d’un bâtiment citoyen au cœur de la cité», résume Emmanuel Ventura, l’architecte cantonal. Et les symboles ne s’arrêtent pas là, comme en témoigne l’intervention artistique Ligne et ronds signée Jean-Luc Manz et Matteo Gonet. Gravée sur les portes en verre sablé et translucide des bureaux de l’extension, elle réinterprète les symboles de la justice – le glaive et la balance – dans un langage géométrique discret. Quant à l’escalier hélicoïdal en béton, morceau de bravoure des architectes et pièce maîtresse de l’extension, sa rampe en bois tourné, apaisante, incarne une volonté d’harmonie et incite autant à se rassembler qu’à se déplacer. La Présidente y voit un signe de sérénité: «On oublie souvent que rendre la justice exige un climat serein. Ce nouveau bâtiment à l’atmosphère chaleureuse et lumineuse nous offre un cadre favorable, où la cohésion se traduit dans l’espace même.» (EB)
Souvenir des portes ouvertes du 4 octobre
Réalisation : ©OJV/Division Intercom – Polcant










