
Quand une passion sauve des reptiles
Pour Thierry Gindroz, 44 ans, la passion des terrariums se traduit en actes. Au-delà des soins, il sauve des reptiles abandonnés et défend une pratique responsable. Ce collaborateur de l’Unithèque raconte sa relation aux reptiles.
À quelques kilomètres au nord de Lausanne, nous sommes accueillies par Thierry Gindroz. Une fois à l’intérieur, ce sont d’abord leurs chats et leurs lapins qui attirent l’attention. Puis, Thierry nous conduit dans une pièce baignée par la lueur des lampes chauffantes. C’est là qu’il dévoile sa passion. Il se penche et ouvre minutieusement les portes vitrées de ses terrariums pour nous présenter ses compagnons écailleux. Un couple de geckos léopard à la robe jaune mouchetée de noir, deux scinques aux corps robustes, têtes triangulaires, pattes courtes et leurs fameuses langues bleu vif. Enfin, un agame barbu, reconnaissable aux petites écailles épineuses qui entourent son cou.
Une passion qui ne faiblit pas
« À dix ans, j’ai eu mes premiers reptiles, des geckos léopards». À seize ans, une visite de l’ancien Vivarium de Lausanne l’éblouit. Dans la foulée, il adopte son premier scinque à langue bleue. Des années plus tard, la flamme est toujours aussi vive. D’abord cuisinier, il travaille aujourd’hui à la Bibliothèque cantonale universitaire de Lausanne depuis trois ans. Chaque soir, après sa journée, il s’occupe soigneusement de ses reptiles. « En donnant à manger toujours à la même heure et en les manipulant souvent, ils viennent d’eux-mêmes dès que la vitre s’ouvre », explique-t-il. Gestes lents et précis, Thierry vérifie la chaleur des lampes, suit du regard les sorties prudentes des geckos. Quand une fine pellicule de mue se détache, il la retire d’un mouvement mesuré. Cette rigueur quotidienne n’est qu’une facette de son engagement envers les reptiles.
Deux geckos, dont un léopard, visible dans son abri. Photo | BIC-FAUne passion au service des reptiles
Avec un ami, il a déjà formé les pompiers de Lausanne à la manipulation de serpents venimeux. « C’était gratuit, l’objectif était surtout de montrer comment manipuler les reptiles et de partager notre passion ». Il est aussi régulièrement sollicité par le Tropicarium de Servion, Aquatis et même des régies, lorsqu’un locataire décède ou abandonne ses reptiles. « Le but, c’est d’éviter l’euthanasie », précise-t-il. À tel point qu’il s’est retrouvé un soir à héberger une trentaine de mygales, une vingtaine de geckos et plusieurs agames barbus. Le plus souvent, les animaux sont replacés dans de nouvelles familles, parfois l’un d’eux reste chez lui, c’est le cas de l’un de ses scinques à langue bleue. « On ne peut pas tous les sauver, mais on essaie. »
Au-delà des écailles
Fort de ses expériences, Thierry tient à déconstruire l’image du reptile perçu comme dangereux et froid. «On dit qu’ils n’ont pas de sentiments… Je veux montrer le contraire.» Les visiteurs, persuadés de toucher une peau «visqueuse», s’étonnent de la douceur des reptiles. D’autres redoutent leur morsure, Thierry tempère : «les geckos léopards, ça ne fait pas mal. Ils ne font que pincer. Même le scinque, quand il mord, fait moins mal qu’un chat.»
Pour illustrer son propos, il évoque un scinque récupéré dans une bourse aux reptiles. Ce dernier était privé de contacts humains. Nourri à la pâtée pour chat, l’animal mordait quiconque approchait la main. «J’ai mis des semaines à pouvoir le manipuler sans qu’il essaie de me mordre. Cependant, la première fois que mon amie l’a vu, elle a pu le prendre dans ses bras et lui faire des bisous sans qu’il essaie de la mordre», raconte-t-il en rigolant. Patience et régularité ont finalement eu raison de sa méfiance ; preuve qu’une relation peut se tisser même avec ces espèces. Loin d’être passifs, ses pensionnaires réagissent vivement à leur environnement. Le pogona, juché sur sa branche, suit le moindre mouvement dans la pièce. Les geckos, eux, analysent le moindre geste avec attention. Ainsi, les préjugés de froideur s’effacent pour laisser place à l’image d’animaux alertes, curieux et profondément réceptifs à ceux qui prennent le temps de s’y intéresser.
Santé avant rareté
Une fois ces préjugés balayés, Thierry profite de l’attention désormais acquise pour délivrer un indispensable message de prévention. Il souligne l’importance d’une terrariophilie responsable. La fascination pour l’aspect « exotique » ne doit pas occulter la santé des animaux. « Les gens veulent toujours les plus belles couleurs, les trucs les plus rares… » déplore-t-il. Geckos « Black Pearl », pythons ornés d’un « smiley », scinques orange fluo : autant de formes par croisement répétées qui « font des animaux beaucoup plus fragiles ». Les individus issus de ces sélections artificielles peuvent développer diverses tares physiques : cécité, difficulté à se nourrir, problèmes moteurs. Une fois la mode passée, ils se retrouvent souvent abandonnés ou confiés aux refuges. Entre deux regards vers les terrariums, il nettoie une trace, ajuste un néon et laisse les animaux venir d’eux-mêmes. Il poursuit : « Ce sont quand même des animaux vivants », insiste Thierry. Il appelle chacun à privilégier l’adoption responsable et le respect de ces êtres, plutôt que la rareté.
Et pour la suite ?
Thierry n’envisage pas d’agrandir sa famille écailleuse. « Je m’arrête là », assure-t-il. Préférant consacrer son énergie à rénover les terrariums, continuer de renforcer le bien-être de ses pensionnaires et poursuivre les sauvetages lorsqu’il est appelé. Son ambition reste la même : changer les regards afin que ces animaux méconnus vivent durablement dans des conditions respectueuses. (MR)
Un agame barbu. Photo | BIC-FA









