Réactivité et solidarité: les clés de la lutte
À l’arrivée du coronavirus, toutes les institutions et personnes qui dispensent soins ou aides sociales ont dû se réorganiser et s’adapter au jour le jour pour apporter une réponse coordonnée, afin de protéger les plus vulnérables et le système sanitaire. Un effort collectif sans précédent qui a impliqué acteurs de la santé et du social. Directrice générale de la santé, Stéfanie Monod évalue l’impact de cette crise sur les politiques publiques de santé.
Vaud a fait dès le départ le choix de renforcer l’entier du système de santé pour amener les soins au plus près des personnes qui en avaient besoin, qu’elles soient à domicile, en institution ou hospitalisées. Tous les maillons de la chaîne de la santé communautaire, en amont et en aval de l’hôpital, ont été renforcés, pour éviter de focaliser les tensions sur un seul maillon de la chaîne, à savoir l’hôpital.
Ce dispositif de renfort communautaire, conforme à la politique sanitaire du canton, est en place depuis plus de deux ans et a pu monter en puissance durant la crise en s’appuyant sur les partenaires régionaux. Parmi les dispositions, citons le renfort des équipes mobiles existantes en coordination avec celles en soins palliatifs et psychiatrie de l’âge avancé pour appuyer les soins à domicile et les EMS; la création de centres médicaux renforcés pour désengorger les urgences, et enfin la création de hotlines pour la population comme les professionnels. La protection civile et l’armée ont contribué à l’effort collectif, en apportant forces et matériel. La plupart des EMS, ainsi renforcés, ont pu et peuvent encore fournir les mêmes traitements que l’hôpital pour le Covid-19, y compris l’oxygénation et tous les soins de support et de soulagement de la douleur, cela en maintenant la personne dans son lieu de vie.
Au cœur de cette chaîne de soins, l’«hôpital» qui, dans notre canton, est un tout formé du CHUV, des hôpitaux régionaux et des cliniques privées, a révélé une grande solidité. Le but est clair: pouvoir admettre tous les patients qui nécessitent une hospitalisation, en évitant une saturation du système. Sous la direction de la cellule de crise sanitaire de la Direction générale de la santé, qui s’est fortement mobilisée, tous ces partenaires se sont engagés, ont mutualisé leurs efforts, leurs compétences et leurs infrastructures pour dégager les capacités nécessaires. La partie la plus visible est l’augmentation des lits de soins intensifs à quelque 200 sur tout le canton, contre 80 en temps normal. Cette réactivité et cette agilité ont permis de disposer toujours d’une réserve de lits, même au plus fort de la vague. Ainsi, le système sanitaire dans son ensemble a fait face, grâce aussi à la mobilisation sans faille de tout le personnel.
«Malgré l’ampleur du défi, le système de santé et le système social ont répondu présents. Car c’est notre cohésion et notre solidarité qui ont fait la force de notre réponse à la pandémie»
La cheffe du Département de la santé et de l’action sociale Rebecca Ruiz le souligne: « Malgré l’ampleur du défi, le système de santé et le système social ont répondu présents. Car c’est notre cohésion et notre solidarité qui ont fait la force de notre réponse à la pandémie. Cohésion et solidarité vécues par le respect des consignes de sécurité par la population, par l’entraide citoyenne et aussi par les indispensables services publics et leur réseau de partenaires. Nous affronterons les difficultés en étant plus forts, car nous saurons de quoi nous sommes capables lorsque nous mettons nos forces en commun. » (CC)
«Il a fallu évoluer au jour le jour et en fonction de la courbe»
La directrice générale de la santé donne son point de vue sur la crise sanitaire et ses effets sur les politiques publiques de santé. Trois questions à Stéfanie Monod.
À ce stade, quels enseignements pouvons-nous tirer ou envisager de cette crise inédite en termes de politiques publiques de santé?
Premièrement, le système de santé doit être considéré comme un tout. Nous n’avons pas d’un côté un secteur hospitalier, et un secteur ambulatoire de l’autre. Il faut voir le tout comme des dominos. Si l’un fonctionne moins bien, il aura un impact sur l’entier du système. Si nous n’avions pas pu nous appuyer sur la médecine de premier recours, nous n’aurions pas pu prodiguer les soins nécessaires en EMS. Ou nous n’aurions pas pu répondre aux urgences de toute la communauté, et tout se serait alors déversé vers l’hôpital. Nous avons dès lors pu réserver l’hôpital aux cas les plus sévères. Je dirais deuxièmement que nous avons pu travailler avec beaucoup d’agilité. Nous avons pu augmenter les capacités dans chaque secteur, le plus spectaculaire étant la création de places en soins intensifs, travailler davantage, plus rapidement et sans transférer des patients de l’un à l’autre. Enfin, nous avons pu bénéficier d’autant de capacité parce que nous disposons de plusieurs hôpitaux. En Italie, un important bassin de population se déversait sur un seul hôpital. De notre côté, nous avons pu augmenter en capacités plusieurs sites hospitaliers. Je pense que c’est un élément qui explique pourquoi, en Suisse, nous nous en sommes plutôt bien sortis.
Il y a d’un côté la théorie, ce à quoi les pouvoirs publics se préparent. Puis la pratique, ce qu’il faut mettre en place lorsqu’une crise de ce genre se concrétise. Quelle est la différence entre théorie et pratique dans notre cas?
Les plans théoriques peuvent se décliner selon mille et une catastrophes possibles. Dans le cadre d’une épidémie, il y a des principes de gestion. Mais ils dépendent du virus, de la bactérie, de l’épidémie face à laquelle on se trouve. Dans notre cas, nous sommes restés dans le travail quotidien et les choses se sont construites sur la réalité. Il a fallu évoluer au jour le jour et en fonction de la courbe. Aucun plan, aucune structure n’auraient été en mesure de nous dire à l’avance le type d’organisation à produire au plus fort de la crise. Nous avons donc évolué avec des organigrammes de crise valables 48 heures maximum, avant que les choses ne changent. Il a fallu être agiles et nous adapter.
Se dirigera-t-on vers encore plus de prévention à l’avenir par exemple, au-delà uniquement du COVID?
Nous allons certainement entrer dans des modèles asiatiques, avec plus de prudence sur les maladies infectieuses. La question de la distance sociale risque de s’établir fortement. Nous avons vu une image d’une médecine triomphante d’un côté, notamment l’hôpital, et une médecine communautaire bas seuil de l’autre. Ce sont des contrastes qui existaient déjà, mais qui nécessitent une relecture plus juste de ce qu’est la médecine, de ce qu’est la santé et de ce que sont les soins. La place de la médecine communautaire ou de la médecine en EMS doit trouver une plus juste valeur. Nous constatons aussi que les inégalités sociales se sont creusées rapidement avec le confinement. Ce sont autant d’éléments qu’aucun plan pandémie n’aurait pu mesurer. Une crise sanitaire ne peut pas être gérée uniquement sur un plan sanitaire. Les effets de cette crise sont bien plus vastes en dehors de la santé. Personne, en mars encore, n’aurait pu dire que cette crise aurait eu un coût de cette ampleur sur l’ensemble de la société. (DT)