Entretien avec Sylvie Bula, commandante de la Police cantonale
Sylvie Bula a pris ses nouvelles fonctions à la Police cantonale le 1er juillet, après avoir occupé le poste de cheffe du Service pénitentiaire (SPEN). Lors de la Journée oser tous les métiers (JOM) du 10 novembre, la commandante a accueilli de jeunes filles dans le cadre de l’atelier «Un jour en tant que cheffe». Elle s’exprime ici sur son parcours et la part toujours plus importante de candidatures féminines que reçoit la police lorsqu’elle recrute.
Vous avez effectué un master en HEC avant de travailler plusieurs années dans le domaine du consulting, puis avez été nommée à la tête du Service pénitentiaire. Vous dirigez maintenant la Police cantonale vaudoise. Comment décririez-vous la logique de continuité qui se reflète dans votre parcours et la source de votre engagement ?
J’ai toujours travaillé au profit d’institutions publiques ou parapubliques, également dans le domaine du consulting. Il s’agissait par exemple du domaine de la santé, de l’aide sociale ou de l’asile, d’où un premier mandat pour le SPEN entre 2005 et 2011, qui comprenait un aspect sociosanitaire. Au travers de différents projets, je me suis passionnée pour le volet sécuritaire et interdisciplinaire de ce domaine. J’ai ensuite occupé le poste de cheffe du Service pénitentiaire, lequel représente à mes yeux un maillon essentiel et pas assez reconnu de la chaîne pénale. Après dix ans à cette fonction, la Police cantonale m’a semblé une évidence, notamment parce qu’elle me permet d’agir à un autre niveau de la chaîne pénale intégrant notamment le volet de la prévention. L’un des atouts les plus importants de la Police cantonale est de toucher l’ensemble de la population, des enfants aux seniors.
Comment se sont passés vos premiers mois en tant que commandante ?
Très bien. J’ai reçu un accueil chaleureux et ai pu bénéficier d’un temps de transition en commun avec mon prédécesseur Jacques Antenen. Par le biais notamment des échanges avec les collaboratrices et collaborateurs sur le terrain, j’ai pu découvrir les nombreuses compétences en présence et la diversité des métiers qui visent tous à aider la population.
Que pouvez-vous nous dire des défis qui vous attendent ?
Nous nous préparons bien entendu à faire face au besoin à la crise énergétique, en collaboration avec les polices communales. De nombreux défis concernent la marche du service, comme le développement informatique, l’évolution organisationnelle, notamment le regroupement, dans le nouveau siège de l’ECA (Établissement cantonal d’incendie), des trois centrales d’urgence (118, 144 et 117), de la protection civile et des infrastructures de l’État-major cantonal de conduite dans le cadre du projet ECAVENIR. Il y a également des défis concernant l’évolution des pratiques, la formation et la police coordonnée vaudoise.
«L’un des atouts les plus importants de la Police cantonale est de toucher l’ensemble de la population, des enfants aux seniors.»
Le domaine de la police connaît régulièrement des événements marquants fortement médiatisés, dont certains figurent dans le rapport d’activité de la Police cantonale, notamment l’évacuation de la ZAD du Mormont l’année dernière. Quelle est votre façon d’aborder les moments de crise ?
Je n’appellerais pas ces événements des moments de crise, même s’ils peuvent avoir un fort retentissement médiatique. Travailler dans l’urgence, maîtriser une situation, décider et agir dans la proportionnalité fait partie des activités courantes de la police. Avec calme et pragmatisme, il s’agit de fournir les bonnes informations à l’autorité politique et de proposer des variantes de solutions selon la loi et les moyens à disposition, afin que celle-ci puisse se positionner.
Vous êtes la première femme à la tête de la Police cantonale vaudoise et la deuxième en Suisse à diriger une police cantonale, après Monica Bonfanti, entrée en fonction en 2006 à Genève. Estimez-vous que le temps où l’on attendait les femmes «au tournant» dans de tels postes est maintenant révolu ?
En 2022, on ne devrait plus aborder la nomination des cadres sous l’angle du genre. J’ai été choisie pour mes compétences et mon expérience.
«Alors que les femmes n’ont pu accéder à la gendarmerie que depuis les années 1990, nous recevons maintenant de 30 à 40 % de candidatures féminines dans le cadre du recrutement de nos futures policières et policiers.»
Votre prédécesseur avait à cœur de féminiser la Police cantonale. Avez-vous le souhait de poursuivre sur cette lancée ?
Je ne parlerais pas en ces termes, car cela pourrait renvoyer à une logique de quota. Je parlerais plutôt d’égalité des chances. Je suis pour des équipes mixtes, afin de réunir des regards différents et complémentaires. La mixité est bénéfique également en ce qui concerne l’âge, l’origine sociale, etc. La police doit être le reflet de la population. Il y a eu une hausse de la proportion de candidatures féminines à la police cantonale. Alors que les femmes n’ont pu accéder à la gendarmerie que depuis les années 1990, nous recevons maintenant de 30 à 40 % de candidatures féminines dans le cadre du recrutement de nos futures policières et policiers. Comme les carrières à la police durent souvent jusqu’à la retraite, les effets de cette hausse seront perceptibles sur le long terme. La plus grande flexibilité des conditions de travail qui existe actuellement, comme le temps partiel et le télétravail lorsque cela est possible, est un élément positif pour les femmes, mais pas seulement. De nombreuses demandes de temps partiel que je valide émanent d’hommes. D’une part, les jeunes parents ont de plus en plus envie de s’investir tous les deux dans la vie de famille. D’autre part, les jeunes générations envisagent leur carrière différemment et ne veulent plus forcément travailler à temps plein. Il est important pour nous de ne pas perdre ces compétences et d’offrir des conditions de travail attractives, dans la mesure des impondérables d’un service qui doit être disponible 24 heures sur 24.
«Mon message aux jeunes filles est le suivant: il ne faut jamais laisser personne vous dire que vous ne pouvez pas faire le métier de vos rêves, quel qu’il soit.»
Selon vous, pourquoi seule une minorité de femmes seulement s’oriente-t-elle vers les métiers de la police ?
L’usage de la force et de la contrainte est probablement souvent associé au masculin. Sans tomber dans les clichés, je trouve qu’il existe une certaine complémentarité entre les femmes et les hommes dans les interventions. La présence d’une femme peut par exemple faire baisser la pression lors d’interventions. Cela même si bien entendu, les femmes sont autant formées que les hommes et sont tout à fait capables de réagir efficacement face à une personne menaçante et physiquement imposante. Dans un autre registre, lorsqu’une femme a été violentée, elle préfère souvent s’adresser à une femme.
La Journée oser tous les métiers (JOM) propose deux ateliers pour découvrir les métiers de la police. L’un réservé aux enfants de collaborateurs et collaboratrices de la Police cantonale, l’autre ouvert à toutes les filles concernées par la JOM. Pensez-vous que de telles initiatives soient nécessaires pour intéresser les jeunes filles à ce domaine professionnel encore très masculin ?
Il est important de pour nous de faire connaître toutes les facettes des métiers de la police, car il y en a beaucoup. Mon message aux jeunes filles est le suivant: il ne faut jamais laisser personne vous dire que vous ne pouvez pas faire le métier de vos rêves, quel qu’il soit. Cela également pour encourager les parents à sortir de certains clichés.
Vous avez personnellement accueilli des élèves pour l’atelier Un jour en tant que cheffe, dans le cadre de la Journée oser tous les métiers. Cet atelier vise à faire découvrir à de jeunes filles des postes à responsabilité au sein de l’administration cantonale. Pour quelle raison avez-vous accepté de participer ?
Il est important pour moi d’écouter et d’échanger avec ces jeunes filles. En tant que femme occupant le poste de commandante de la Police cantonale, je souhaiterais les encourager à faire leur propre choix professionnel. C’est cela, mon message aux participantes.
Votre fonction est très prenante. Comment vous ressourcez-vous ?
Je me ressource principalement dans la nature. Je pratique l’équitation et j’aime beaucoup la montagne. (SW)