L’herbier cantonal vaudois : fragile et fondamental
Conservateur des Musée et Jardins botaniques cantonaux, Patrice Descombes débroussaille pour nous un patrimoine à la fois scientifique, historique, naturel et culturel, bien à l’abri dans les réserves.
On pourrait dire qu’il ne s’agit que d’une aiguille dans une meule de foin. Avec ses 130'000 spécimens récoltés dans le canton de 1806 à nos jours, la partie purement vaudoise ne constitue en effet qu’une infime partie de l’herbier cantonal, troisième plus grand herbier du pays après Genève et Zurich, qui en compte près d’un million provenant du monde entier.
L’herbier vaudois est cependant une collection capitale et prioritaire, comme le raconte Patrice Descombes, conservateur depuis bientôt deux ans aux Musée et Jardins botaniques cantonaux (MJBC). Pour lui, dont le cheval de bataille est l’impact du changement climatique sur les plantes et insectes, l’herbier vaudois est d’abord le témoin de l’évolution de la diversité floristique du canton de Vaud et il permet de comprendre comment notre flore a changé sous l’influence des activités humaines ou naturelles. «On note d’ailleurs une réponse assez lente des plantes aux changements climatiques, alors que l’impact humain — comme l’épandage du lisier (engrais) — peut modifier la flore en une année ou deux seulement !».
«On note une réponse assez lente des plantes aux changements climatiques, alors que l’impact humain — comme l’épandage du lisier — peut modifier la flore en une année ou deux seulement !»
« Une planche d’herbier, c’est un peu une œuvre d’art »
Cet herbier représente également un patrimoine culturel et historique important puisqu’il résulte des collectes successives de nombreux botanistes et naturalistes vaudois des XIXe et XXe siècles, qui ont marqué l’histoire du canton. Répondant à une méthodologie scientifique bien précise, le spécimen d’herbier est aussi devenu au fil du temps un objet esthétique: une feuille de papier sur laquelle sont présentés un ou plusieurs échantillons séchés d’une même espèce, récoltés au même endroit et à une date précise; des données minutieusement indiquées sur une étiquette (nom de l’espèce, nom du collecteur, lieu et date de collecte). « Une planche d’herbier, c’est un peu une œuvre d’art, car on cherche toujours de l’esthétisme dans sa présentation; et quand on observe des collectes qui datent de 200 ans avec des notes manuscrites anciennes, c’est fabuleux» confie Patrice Descombes.
Un patrimoine vivant et fragile
Bien que la collecte de spécimens ait atteint son apogée dans le courant du XIXe siècle, de nombreux spécimens sont encore récoltés chaque année par des botanistes vaudois. «Cet herbier est donc vivant et en constante évolution, grâce à de nouvelles acquisitions et à l’intégration de donations». Aujourd’hui soigneusement conservé dans les sous-sols des MJBC à Lausanne, à une température annuelle relativement stable et un taux d’humidité équilibré, l’herbier vaudois fait l’objet des plus grands soins : «Un suivi minutieux des insectes ravageurs permet d’intervenir rapidement en cas de besoin et de limiter la propagation des nuisibles. Par ailleurs, tous les nouveaux herbiers passent par une étape de décontamination (congélateur à -30 °C durant une semaine minimum), avant d’être intégrés dans les collections».
L’herbier au service des scientifiques
Si l’on observe régulièrement de nouvelles plantes dans le canton (les néophytes), il est important de scruter les espèces en voie de disparition à la loupe et de les étudier grâce à l’herbier vaudois, comme la saxifrage dorée (Saxifraga hirculus) dont la dernière station de Suisse se trouve dans le Jura vaudois. «L’espèce a fortement régressé durant le dernier siècle à la suite de l’assèchement des marais par l’homme. Notre institution, sous mandat de la Direction générale de l’environnement, s’occupe de la multiplication de cette espèce dans nos jardins botaniques de Lausanne et de Pont-de-Nant et participe aux réintroductions».
L’herbier vaudois bientôt sous nos doigts
Fragile, précieux, d’une valeur scientifique inestimable, l’herbier vaudois reste cloîtré : «Sa consultation est limitée au strict minimum, car chaque manipulation peut entraîner des détériorations sur des spécimens fragiles, explique Patrice Descombes. C’est pourquoi la numérisation de ce type de collections est très importante».
Entièrement photographié en 2018, il sera bientôt accessible au public et à la communauté scientifique via une plateforme de consultation. Une très bonne nouvelle pour Patrice Descombes à qui l’herbier vaudois inspire respect et fascination : «Notre mission est de rendre accessibles à nos contemporaines et contemporains les découvertes et la passion de celles et ceux qui nous ont précédés, tout comme leur goût pour l’aventure . (EB)
Les Musée et Jardins botaniques cantonaux
Institution publique regroupant le Musée botanique et le Jardin botanique de Lausanne (MJBC) situés à Montriond, ainsi que le Jardin alpin de Pont-de-Nant, La Thomasia, et s’appuyant sur quatre missions: conserver, acquérir, étudier et valoriser le patrimoine scientifique, culturel et naturel botanique dont elle est dépositaire, qu’il soit muséal (objets botaniques, herbiers de plantes séchées, herbiers peints, ouvrages récents et anciens de botanique, iconographie et archives botaniques vaudoises) ou vivant (plantes alpines, médicinales, carnivores, espèces rares et menacées du canton de Vaud). Plus de 4000 espèces sont cultivées au Jardin botanique de Lausanne et quelque 3000 au Jardin alpin de Pont-de-Nant.
Le 1er janvier 2023, les MJBC s’uniront au Musée cantonal de géologie et au Musée cantonal de zoologie pour former le nouveau Muséum cantonal des sciences naturelles, dirigé par Nadir Alvarez. Le Muséum tirera parti d’une présence sur plusieurs sites et catalysera les synergies entre les trois disciplines de l’histoire naturelle dans les domaines de la recherche scientifique, de l’enrichissement et la conservation ainsi que de l’interprétation et l’exposition de ses collections.
Une nouvelle série dans La Gazette
La Gazette veut s’aventurer régulièrement dans les entrailles de nos institutions patrimoniales cantonales à la découverte d’œuvres ou d’objets inaccessibles au public. Trop fragiles, monumentaux ou simplement entreposés dans les réserves en attendant de revenir sous le feu des projecteurs, ils sont des témoins de la richesse de notre patrimoine. Dans une prochaine édition, on s’intéressera à un cube de roche bien particulier, dans les sous-sols du Musée de géologie.