Trois enfants sur un ponton au bord d'un étrang ou d'un lac. On voit des roseaux et des arbres sur l'autre rive.
Pour les enfants, le concept de vacances s'est forgé entre le 19e siècle et l'instauration de la scolarité obligatoire et le 20e siècle, avec l'arrivée de l'automobile. Photo | Olga Yastremska, New Africa
Ressources humaines

Au commencement, il n’y avait pas de vacances…

Professeur émérite de l'Université de Neuchâtel, l'historien Laurent Tissot est un spécialiste de l'histoire des entreprises, du tourisme, des loisirs et des transports. Il nous emmène en voyage aux origines des vacances (d'été).

Pour les enfants, le concept de vacances s'est forgé entre le 19e siècle et l'instauration de la scolarité obligatoire et le 20e siècle, avec l'arrivée de l'automobile. Photo | Olga Yastremska, New Africa
7 minutes de lecturePublié le 20 juin 2024

Considérées comme une période d’arrêt légal de travail dans les écoles, les vacances sont connues depuis le milieu du XIXe siècle. Jusqu’alors, les jours où l’on ne travaillait pas étaient imposés par l’Église, dont le poids était écrasant; ils concernaient essentiellement le dimanche et les fêtes religieuses (Jeudi saint, Lundi de Pâques, Ascension, etc.). «Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage. Mais le septième jour est le jour du repos de l'Éternel, ton Dieu: tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail, ni l'étranger qui est dans tes portes.» La frontière entre temps de travail et temps de non-travail était ainsi précisément fixée par la Bible.

Tout le monde aux champs

Mais parler spécifiquement de l’origine vaudoise des vacances d'été, c'est parler de la création du Département de l'instruction publique en 1865. «À partir de ce moment, un organisme étatique va s'occuper exclusivement de l'école publique, amenant des décisions centralisées venues du sommet de l'État.» En 1869, c'est l'entrée en vigueur de l'école obligatoire: toutes les familles vaudoises doivent dès lors amener leurs enfants, dès l'âge de sept ans, à l'école primaire, des commissions scolaires étant formées pour gérer tout cela.» L’introduction de semaines de congé dans la société rurale qu’était alors la population vaudoise donne aux vacances une signification particulière. Certes, les villes existent. Mais Lausanne, Vevey ou Yverdon comptent encore peu dans l’organisation de la société. «Les paysans seront d’accord de laisser leurs enfants partir à l’école, conscients de la nécessité de savoir compter et lire. Mais pour eux, il est tout aussi important que leurs enfants soient intégrés dans la gestion familiale, notamment pendant la grande période des récoltes, des foins et des moissons. Une longue séquence durant laquelle toute la famille doit être présente en continu. Si la traite des vaches est moins contraignante l’hiver, tout le monde doit se rendre aux champs durant l’été, pour assurer la survie et la stabilité du domaine. Et cette réalité va structurer le temps des vacances. En ce temps, elles ne sont pas encore pensées pour voyager, mais comme des moments hors de l'école, où l'élève n'aura pas l'obligation d'assister à des cours, mais sera à disposition de ses parents pour participer au travail de la ferme, comme main-d’œuvre.»

Il faut aussi compter sur l'industrialisation du canton et l'émergence du monde ouvrier, qui va peu à peu bouleverser les schémas alors en place. Aussi, pour beaucoup de patrons et membres des élites économiques et politiques, la question est de savoir à quoi sert l'école. «Bien sûr, l'école va donner les rudiments de l'histoire biblique, mais pas seulement; on veut désormais qu'elle prépare les élèves à parler et dominer le français, qu’elle apprenne à calculer, à maîtriser les quatre opérations, à connaître l'histoire et la géographie, le tout étant géré par un plan d'études. C'est précisément dans ce cadre que s'insère la question des vacances.»

Photo d'archives: des enfants participent aux moissons dans un champ. Ils sont équipés de râteaux. Un cheval est attelé à un char où l'on empile le foin coupé.Première moitié du 20e siècle: les vacances sont perçues comme des moments hors de l'école, où l'élève n'aura pas l'obligation d'assister à des cours, mais sera à disposition pour participer au travail de la ferme. Photo | Archives cantonales vaudoises (N 16/1050)

Pourquoi les vacances sont-elles nécessaires?

Alors pourquoi des vacances? «On peut se poser la question. De nombreuses théories pédagogiques naissent à la fin du XVIIIe, notamment par la voix de Johann Heinrich Pestalozzi (1746-1827). Elles postulent que l'école n'est pas seulement le lieu où l'on apprend, enfermé entre quatre murs, pendant quinze heures par jour. Elles mettent en évidence le fait que si l'élève doit suivre cérémonieusement les cours, il ou elle doit aussi pouvoir aller dehors, au grand air, et se régénérer l'esprit. La grande idée est qu'il faut composer avec les moments consacrés au travail scolaire, qui demande une grande concentration, et ceux où l'esprit se libère et régénère les cellules du cerveau, l'élève étant alors prêt à revenir en classe.»

Cette nouvelle manière de penser, qui rejoint les théories neuroscientifiques bien établies d’aujourd’hui, est importante: elle va permettre une délimitation des zones accordées à l'école et à la «non-école». «Ces pauses, assez réduites au départ, vont prendre de plus en plus d'importance, car on est convaincu que les élèves seront ainsi plus studieux.»

La conquête des droits de l'enfant

L'apparition des usines joue un rôle central dans ces changements. Des médecins, des politiciens et des pasteurs préconisent des temps de pause plus longs aux ouvriers, indispensables pour maintenir, voire améliorer le rendement de la main-d'œuvre. La Confédération édicte la loi sur les fabriques de 1877, qui interdit le travail des enfants en dessous de l'âge de 14 ans, les conditions étant particulièrement difficiles et les accidents nombreux. «Plusieurs études montrent comment la vision de l'enfant a changé. Jusqu'alors, la société voyait l'enfant comme un petit adulte. Cette loi pionnière amorce la question de la protection des enfants de manière générale, et donc celle de l’instauration de vacances scolaires qui leur sont accordées.»

Le regard sur l'enfance évoluant toujours, la loi suisse sera encore modifiée, «de manière à se calquer sur celle de la scolarité obligatoire qui va de sept à seize ans, âge auquel l’adolescent pourra alors commencer un apprentissage ou être employé dans une usine. Tout cela participe à la grande conquête des droits de l'enfant.» Et dans ce contexte, l'État de Vaud va fixer des normes sur les vacances. En plongeant dans les chiffres, il est intéressant de voir qu'en 1865, le temps d'école représentait 44 heures par semaine et le temps des vacances, huit semaines, soit juillet et août. Le temps des vacances va presque doubler en 160 ans, puisqu'il est désormais de quatorze semaines. A contrario, la durée hebdomadaire en classe va diminuer à 42 heures en 1906, à 40 heures en 1960 et à 38 heures depuis 2004.

Une petite fille occupée au tri des pommes de terre.L'ancien "congé des pommes de terre" correspond aujourd’hui aux vacances d'automne. Photo | Patrick Martin, Archives cantonales vaudoises (PP 886 A 7167)

Le «congé des pommes de terre»

Comme les enfants ont longtemps joué un rôle économique important, que ce soit dans le monde rural ou industriel, dans la survie du domaine ou la rentabilité des entreprises, il a fallu du temps pour renoncer à cette jeune main-d'œuvre. Comme le souligne Laurent Tissot, l'écoulement du temps, les changements de mentalités des nouvelles générations et l'amélioration des conditions de vie vont permettre des assouplissements : «Mais il en a fallu, du temps! Pendant mon enfance, dans les années 1960, je me souviens encore d'amis, fils de paysans, qui passaient leurs vacances à travailler dans les champs. De même, j'avais des camarades qui bénéficiaient de deux ou trois semaines supplémentaires en automne pour aller ramasser les patates, le "congé des pommes de terre" comme on l’appelait en ce temps-là et qui correspond encore aujourd’hui aux vacances d'automne.»

Et les vacances dans le monde du travail?

En dehors des préaux, les vacances n'existaient simplement pas. «Bien sûr, il existait au niveau cantonal des législations qui ont permis l'octroi de vacances à partir de la fin du XIXe, notamment dans le monde des chemins de fer qui était bien organisé au niveau syndical, et dans les milieux bancaire et horloger. Quelques cantons vont bien adopter des lois qui accordaient des vacances. L'ensemble des ouvriers devra cependant attendre 1962 pour que la Confédération accorde quinze jours de congés payés. «Par rapport aux pays limitrophes, la Suisse était à la traîne, mais les syndicats ont fini par avoir gain de cause pendant les Trente Glorieuses, le chômage étant au plus bas et l'économie, prospère.» Dans un monde où la notion de temps libre était inexistante, la question est aussi de savoir comment meubler ces moments où, tout en étant payé, on ne faisait rien. L’octroi de vacances s’est accompagné de recommandations visant à bien gérer ces moments.

L'instauration de l'école obligatoire n'a pas été sans influence: «Le monde du travail était dur, et les parents se montraient soulagés de savoir leurs enfants occupés à l'école, les libérant d'un souci. Mais qu'en était-il pendant la durée des vacances? À l'époque, souvent, les mères restaient au domicile. Mais cela demeurait une solution précaire. Aussi, un autre phénomène est venu en appui, celui des colonies de vacances. Elles ont permis aux élèves des familles modestes de passer trois à quatre semaines à la montagne ou au bord du lac. Ce n'était pas l'entier des vacances, mais cela occupait déjà les enfants un bon bout de temps. Une question toujours d’actualité, d’ailleurs…»

Portrait du professeur Laurent TissotLe professeur et historien Laurent Tissot, spécialiste de l'histoire du tourisme et des loisirs.

L'automobile, une révolution

Pour Laurent Tissot, la société ayant évolué, les vacances répondent aujourd'hui à d'autres attentes: il faut aller ailleurs, voir d'autres mondes, rencontrer d'autres gens, jouir du soleil, de la mer, se baigner, s’aventurer en montagne, faire du ski, des balades…  «Cette (r)évolution tient en grande partie à un acteur principal qu'il ne faut pas oublier: l'automobile! Durant les Trente Glorieuses, l'énorme baisse des coûts de production et l'augmentation des salaires vont faire exploser le marché de la voiture. Ce qui permettra de partir aussi loin que possible. Depuis, chaque été, c'est l'exode, le Nord descend au Sud… Un phénomène européen et même mondial qui a changé la définition des vacances. «Il suffit d'écouter les paroles de la chanson de Charles Trenet, Route Nationale 7. C'est le départ vers le paradis atlantique ou méditerranéen, le bien-être, on fait les fous, on oublie tout, il n'y a plus de limite, on casse la routine ! » (DA)