Composition: une jeune fille de dos au pied d'un escalier. Un visage qui laisse voir à l'intérieur des roues d'engrenages.
Adultes au travail, simples élèves aux cours, enfants aux yeux des parents, premières amours… Apprenties et apprentis traversent une phase de vie marquée par la transition, la nouveauté. Il faut apprendre à tout gérer. Une situation qui peut être pesante. Illustration | deagreez
Santé et sécurité au travailApprentissage

Le risque du burnout chez les apprenties et apprentis

Si le burnout est un risque avéré du monde professionnel, qu’en est-il dans la sphère de l’apprentissage? Les jeunes sont-ils sujets à cet épuisement physique et émotionnel? Philippe Rickenbacher, spécialiste de la formation professionnelle et des stages à la Direction générale des ressources humaines (DGRH), Lena et Clément, en cours d’apprentissage à l’État, tentent de répondre à la question.

Adultes au travail, simples élèves aux cours, enfants aux yeux des parents, premières amours… Apprenties et apprentis traversent une phase de vie marquée par la transition, la nouveauté. Il faut apprendre à tout gérer. Une situation qui peut être pesante. Illustration | deagreez
4 minutes de lecturePublié le 19 sept. 2024

Auparavant responsable de l’accompagnement des jeunes dans le monde des transports publics, Philippe Rickenbacher a été engagé à l’Unité d’appui pour la formation professionnelle et les stages de l’État de Vaud (ex-Unité d’apprentissage). Depuis 2020, avec deux collègues, il y soutient les quelque 500 apprenties et apprentis du Canton, ainsi qu’environ 500 formatrices et formateurs en entreprise (FE). «Nos enjeux sont centrés sur l’État comme entreprise. Si chaque service engage ses propres apprentis, nous avons une vision plus globale de l’apprentissage de ces jeunes et nous veillons à ce que celles et ceux qui les forment soient bien… formés». Un cercle vertueux qui garantit, selon Philippe Rickenbacher, une meilleure prise en charge des élèves, à tous les niveaux.

Repérer les signes avant-coureurs

Ainsi, lorsqu’on l’interroge sur le phénomène du burnout chez les jeunes en apprentissage, il demeure perplexe et reconnaît qu’il n’existe aucune analyse ciblée sur le sujet. «À vrai dire, le formateur ou la formatrice à la place de travail (FPT) – relais précieux pour les FE – sont des personnes clés, à même de donner l’alerte plus haut.» Formés pour développer le savoir-faire comme le savoir-être des apprentis au quotidien, les FPT sont censés les soutenir, les motiver et déceler, voire anticiper d’éventuelles baisses de motivation. «Nous avons un seul mot d’ordre avec les FPT: si vous observez un changement, quel qu’il soit, chez l’apprenti ou l’apprentie dont vous avez la responsabilité, allez discuter avec cette personne.»

Parmi les indices qui doivent mettre la puce à l’oreille, Philippe Rickenbacher évoque les retards répétés ou les changements d’habitude, par exemple « si le ou la jeune, habituée aux horaires matinaux, se met à arriver systématiquement au dernier moment, à 9h au lieu de 7h30».

«Si le ou la jeune, habitué aux horaires matinaux, se met à arriver systématiquement au dernier moment, à 9h au lieu de 7h30, il faut aller discuter avec cette personne».

Philippe RickenbacherSpécialiste de la formation professionnelle et des stages, Direction générale des ressources humaines

Autre signe qui ne trompe généralement pas? Les baisses de prestations, qu’il s’agisse des résultats scolaires ou d’un nombre d’erreurs répétées au travail. Et, bien sûr, les difficultés ou changements de comportement comme le fait d’être triste, irritable ou plus grave encore, de ne plus se présenter au travail.

Illustration: une corde tendue sur le point de se rompre. Ne tient plus qu'à un filLa charge mentale, les problèmes de cumul des tâches peuvent être les dangers qui guettent le plus les apprenties et apprentis à l'État. Photo | Philip

Souffrance professionnelle ou personnelle: des frontières ténues

Philippe Rickenbacher tient surtout à rappeler que les personnes en apprentissage sont avant tout des adolescentes, des adolescentes et de jeunes adultes, entre 16 et 20 ans. «À cet âge, on n’a clairement pas encore tous les outils pour faire la part des choses entre la sphère privée et professionnelle. Des événements intimes, que nous pourrions, en tant qu’adultes, parvenir à gérer sans trop d’interférences avec notre travail, peuvent devenir pour eux de véritables bombes à retardement. Une rupture amoureuse ou le divorce de parents, par exemple. Parfois, tout peut aller très vite…»

Par ailleurs, le spécialiste reconnaît la charge qui pèse sur leur dos: «Apprenties et apprentis cumulent beaucoup de choses et endossent souvent plusieurs rôles, pris en étau entre l’enfance et l’âge adulte: des cours à l’école comme de simples élèves, une vie de famille avec des parents encore décisionnaires, du travail en entreprise avec des responsabilités, mais aussi les copains et copines, les amours, les premières finances à gérer, le permis de conduire… Il est très important de se souvenir comment c’était pour nous, à leur âge, insiste-t-il. Je ne peux pas définir quel type de souffrance au travail peuvent rencontrer nos apprentis, mais ce que je sais, c’est que l’on fait tout à l’État pour créer un réseau de personnes-ressources autour d’eux afin d’éviter toute souffrance, quelle qu’elle soit.»

Des enseignants aux parents en passant par les formateurs ou la direction Qualité de vie au travail avec l’unité Santé et sécurité au travail de la DGRH, les conseillers aux apprentis ne lésinent pas sur les moyens pour garder un contact pertinent avec chaque jeune en apprentissage. À l’écouter (ainsi que l’apprentie et l’apprenti interrogés - lire ci-dessous), la charge mentale est peut-être le danger qui guette le plus nos jeunes actifs. «Le mot burnout n’est jamais remonté à mes oreilles, mais les problèmes de cumul de tâches, oui, clairement. Et dans certains métiers (les 33 métiers enseignés à l’État), l’exigence peut-être plus forte. Mais c’est aussi le reflet du monde du travail, qui est de plus en plus exigeant, et nous devons faire avec.»

Toujours réagir

«En tout cas, beaucoup de jeunes se mettent la pression, c’est sûr. » Un seul mot d’ordre aux FPT: «Formez nos jeunes à un métier, c’est votre tâche. Mais ne minimisez jamais les signes avant-coureurs de mal-être chez eux. Je le répète souvent: il faut toujours réagir.» Le spécialiste rapporte à cet égard la situation type qu’il expose aux formatrices et formateurs en entreprise: «Si un ou une jeune arrive un matin, les yeux rouges et explosés, dites-lui frontalement que vous l’avez constaté. Peut-être que cette personne ne souffre que du rhume des foins, mais dans le fond, peu importe la réalité. Au moins, vous aurez réagi, vous aurez montré qu’il y a un adulte attentif en face.» L’expérience de Philippe Rickenbacher lui a enseigné que certaines souffrances sont silencieuses et ne se voient malheureusement pas: «On est parfois démuni», confesse-t-il. Mais, que ce soit pour dire «attention! » ou «bravo!», il répète à quel point il faut toujours communiquer avec les jeunes, et leur montrer que l’on est là, dans toutes les situations.

Illustration. Un visage féminin, tête ouverte, dans laquelle s'insèrent un ensemble de lignes.Lena et Clément témoignent de leurs conditions de travail durant l'apprentissage et de leur connaissance du burnout. Image | deagreez

Témoignage: Lena Rejo, 17 ans : «On est parfois plus fatigué, plus tendu… Mais heureusement, cela ne dure pas!»

Lena passe de «bonnes semaines», comme elle le dit elle-même en souriant. Apprentie employée de commerce de deuxième année, elle suit ses cours durant deux jours à l’École professionnelle commerciale de Nyon et travaille trois jours en entreprise, au sein de la Direction générale des ressources humaines (DGRH), à Lausanne. En plus des trajets, la jeune fille monte à cheval plusieurs fois par semaine. Un emploi du temps de ministre? Pas loin. Et le burnout? « C’est vrai qu’on en entend souvent parler dans l’actualité, mais moi, en tant qu’apprentie, ça ne me parle pas vraiment. Les formateurs, de manière générale dans le public et encore plus à la DGRH, sont très attentifs et notre travail est extrêmement suivi», explique-t-elle.

Comme elle le décrit spontanément, les difficultés auxquelles elle est confrontée sont plutôt ponctuelles et correspondent particulièrement aux périodes d’examens: «Entre les révisions pour les cours interentreprises et le travail qui continue en parallèle, on est plus fatigué, plus tendu… Mais heureusement, cela ne dure pas!» Paradoxalement, l’été (souvent plus agréable pour des adultes qui bénissent ce temps un peu ralenti pour effectuer des tâches de fond) est plus compliqué pour Lena: «Pendant trois mois, nous n’avons plus de cours et nous sommes à temps plein au travail: parfois, on peut se sentir un peu seul, ça fait bizarre.» Pour elle, le plus difficile a été le début de première année, où tout était nouveau: «Je me mettais beaucoup de pression pour les cours et j’ai fait pas mal de crises d’angoisse à cette époque». Contactés par l’infirmière scolaire, auprès de qui Lena avait trouvé de l’aide, ses parents ont ensuite pris en charge la jeune fille qui a pu, progressivement, gérer son stress. «Au travail, ma formatrice était super et cela m’a beaucoup aidée aussi: j’ai fini par m’habituer au rythme et à savoir gérer mon temps, peu à peu. Ce qui est bien, c’est qu’à l’école ou en entreprise, on n’est jamais seuls», témoigne avec reconnaissance Lena qui, malgré des moments plus délicats, n’a jamais baissé les bras ni délaissé ses rêves: voyager autour du monde, avant de rentrer dans la Police.

Clément Jeannerat, 18 ans : «Je ne me suis jamais senti épuisé physiquement ou émotionnellement par ma tâche»

À l’heure où Clément s’exprime sur le sujet «apprentis et burnout », il s’apprête à partir en vacances… et semble tout à fait serein. Terminant sa troisième et dernière année d’apprenti employé de commerce au sein du Service de la population, en alternance avec l’École professionnelle commerciale de Lausanne, il espère pouvoir y être engagé à la rentrée: «Travailler pour l’État donne du sens à mon travail, j’ai l’impression de rendre service à mon pays et cela me motive», explique le futur jeune actif, qui n’est manifestement pas traumatisé par son expérience professionnelle.

À l’écouter, peu de difficultés rencontrées, et encore moins de burnout: «À vrai dire, je n’en ai jamais entendu parler chez mes camarades… Le seul souvenir un peu compliqué que j’ai correspond à la deuxième année où j’avais pas mal de tests, sans compter les dossiers à rendre, pour l’école et pour l’entreprise. Un peu de surcharge par moments, mais honnêtement, quand on sort du travail, on n’a plus besoin d’y penser et je ne me suis jamais senti épuisé physiquement ni émotionnellement par ma tâche… Et puis, avec mes différents formateurs et formatrices à la place de travail, qui ont toujours été très disponibles et attentifs, je n’ai jamais été sursollicité». (EB)

Le burnout, en deux mots

Selon l’OMS, le burnout ou épuisement émotionnel est un phénomène lié au travail, qui résulte d’un stress professionnel chronique. Au sein de l’administration cantonale, on s’accorde à dire que chez une collaboratrice ou un collaborateur, le burnout est dû à une exposition prolongée à un état de stress. Le stress est souvent déclenché par un déséquilibre entre les exigences du travail et les ressources à disposition pour y répondre. Un peu comme une balance qui penche trop d’un côté avec trop d’exigences et pas assez de ressources. Et quand ce déséquilibre perdure, le risque de burnout augmente.

Testez vos connaissances

La Direction qualité de vie au travail (QVT) mettra en ligne un e-learning sur le burnout cet automne. Une ressource précieuse pour chaque collaborateur et collaboratrice: ne passez pas à côté !

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