Une personne arrange des piles de feuilles avec au-dessus les couvertures des cahiers, devant une presse d'imprimerie.
L’atelier imprimerie des EPO peut produire de 12'000 à 14'000 feuilles par heures. Selon les années, entre 750'000 et 950'000 cahiers sortent de presse grâce au travail des personnes détenues. Photo | ARC-Sieber
Pratique

Près d’un million de cahiers scolaires imprimés à Bochuz

Ça y est, 97'929 élèves vaudois ont repris le chemin de l’école. Peu de gens le savent, mais dans leurs cartables, tous les cahiers scolaires sont imprimés dans les ateliers des Établissements de la plaine de l’Orbe (EPO). Une opération qui nécessite une solide coordination entre la Direction générale de l’enseignement obligatoire et de la pédagogie spécialisée (DGEO), la Direction des achats et de la logistique (DAL) et les EPO.

L’atelier imprimerie des EPO peut produire de 12'000 à 14'000 feuilles par heures. Selon les années, entre 750'000 et 950'000 cahiers sortent de presse grâce au travail des personnes détenues. Photo | ARC-Sieber
4 minutes de lecturePublié le 19 sept. 2024

Cela fait des lustres que les cahiers des écoliers sont imprimés par des personnes détenues à Bochuz. Si longtemps même que personne ne se souvient de quand cela date: «Depuis la nuit des temps», sourit Christophe Progin, responsable de conduite et de gestion des ateliers des EPO, qui supervise une cinquantaine d’ateliers de travail, qui occupent les détenus du pénitencier de la plaine de l’Orbe. L’imprimerie en fait partie, où sont produites les centaines de milliers de cahiers qui sont noircis chaque jour par les dizaines de milliers d’élèves de la scolarité obligatoire.

Dans l’enceinte du pénitencier, cet atelier est outillé avec du matériel à la hauteur de la tâche. Le responsable détaille les machines offset, dont l’une imprime les pages intérieures tandis que l’autre assure l’impression des couvertures. Fort de cet équipement, l’atelier est capable de produire entre 12'000 et 14'000 feuilles par heures, sachant que, selon les années, entre 750'000 et 950'000 cahiers sortent de presse – ce qui peut représenter jusqu’à 3,5 millions de feuilles! La taille de ces machines est considérable: douze mètres de long sur trois mètres de large et deux mètres de hauteur. Dans la pratique, le chef d’atelier règle la machine, puis c’est l’une des personnes détenues qui assure sa mise en route et veille à ce qu’aucune feuille ne se mette de travers.

Dans la salle de l'imprimerie des cahiers. Deux personnes s'affairent derrière les machines. L'homme au premier plan porte un t-shirt sur lequel on lit "Service pénitentiaire". Au deuxième plan, un détenu au visage flouté porte un t-shirt rouge.La fabrication des cahiers est une tâche complexe. L’impression des traits des cahiers lignés ou quadrillés nécessite un réglage des machines très précis. Photo | ARC-Sieber

Une tâche pas si simple

Il ne suffit pas de regarder les machines tourner. La fabrication des cahiers est une tâche complexe: «La principale difficulté est l’impression des traits des cahiers lignés ou quadrillés, qui nécessite un réglage très précis. Et même si nos nouvelles machines sont beaucoup plus performantes, les personnes détenues ne sont pas des imprimeurs de formation», explique le chef d’atelier. «Nous devons adapter notre production au profil et aux compétences des gens que nous employons», précise encore Christophe Progin.

Selon la quantité commandée, l’impression et la confection de ces cahiers (une gamme de 19 modèles différents) prennent entre neuf et dix mois. Le temps restant, l’atelier travaille pour l’ensemble des besoins des prisons vaudoises, mais aussi pour les petites communes environnantes, notamment pour des fournitures simples, telles que des enveloppes, des blocs-notes ou des tracts. «Nous ne cherchons pas activement de clients pour l’atelier imprimerie. Notre mission est d’assurer une formation aux détenus et de les préparer à la réinsertion, c’est pourquoi tout ce que nous faisons pour l’extérieur est ciblé, spécifique et produit en quantité limitée», explique ce responsable.

Valoriser le travail des détenus

Depuis 2024, les deux chefs d’atelier sont certifiés formateurs d’apprentis (technologue en média CFC et assistant en média AFP), ce dont se réjouit M. Progin. «Mais avant tout, notre but est de valoriser les personnes détenues en leur permettant d’exercer des responsabilités. Ce n’est pas totalement anodin de se retrouver derrière une machine qui coûte plusieurs centaines de milliers de francs.» Au total, 24 personnes détenues sont affectées à ces deux ateliers (imprimerie et reliure).

Toujours dans l’idée de leur future réinsertion, ce travail permet également aux personnes détenues de toucher une rémunération, dont le montant et la répartition sont fixés par le Concordat latin sur l’exécution des peines privatives de liberté concernant les adultes, soit 65% disponibles pour une utilisation libre, 15% bloqués en vue du jour de la libération conditionnelle ou définitive et 20% réservés pour des frais tels que les contributions d’entretien, les cotisations sociales ou encore des indemnités allouées à titre de réparation aux victimes.

Les deux personnes assises à une table recouverte de cahiers. On voit les anciens cahiers avec leurs couvertures dessinées. Madame Cochard tient un des nouveaux modèles.Philippe Linder et sa collègue Joëlle Cochard, de la DGEO : «À l’issue d’une large consultation, il a été décidé de procéder à un changement de tous les cahiers.» Photo | ARC-Sieber

Prochaine rentrée déjà sous presse

Compte tenu des délais de production, il est de coutume de lancer au mois d’octobre l’impression des cahiers de la prochaine rentrée. Et si d’habitude les imprimeurs travaillent avec les fichiers de l’année précédente, il n’en sera pas de même pour la rentrée 2025/2026, la DGEO ayant décidé de changer les couvertures et de retoucher les intérieurs de tous les cahiers scolaires.

Cette refonte de la gamme est coordonnée par Philippe Linder, chef de l’unité «Évaluation élèves et système scolaire» à la Direction pédagogique, et sa collègue Joëlle Cochard, collaboratrice pédagogique. «À l’issue d’une large consultation, nous avons décidé de procéder à un changement de tous les cahiers. Les couvertures étaient résistantes, mais les couleurs pastel commençaient à montrer leurs limites. En lien avec les besoins particuliers de certains élèves, nous souhaitions renforcer les contrastes pour faciliter la lecture. Nous voulions également rendre les cahiers réversibles et plus ergonomiques. Nous en avons aussi revu l’intérieur, en forcissant les couleurs ou en épaississant les traits et les marges, pour faciliter leur utilisation par l’ensemble des élèves. Enfin, nous avons identifié deux cahiers complémentaires qui s’ajouteront aux 19 modèles existants.» 

Et pour la première fois, un impressum indiquera que les cahiers sont imprimés aux ateliers des Établissements de la plaine de l’Orbe: «L’information n’est pas anodine, et cela nous semblait normal et juste de le mentionner, ce travail faisant partie intégrante du processus de réinsertion des personnes détenues.»

Une année à l’avance

Entre les ateliers des EPO et la DGEO, la DAL est la cheville ouvrière de toute l’opération. Comme l’explique Natacha Schild, acheteuse responsable de la famille d’achats Enseignement et ouvrages: «Habituellement, nous passons la commande des cahiers aux EPO en nous appuyant sur les ventes de l’année précédente et en l’augmentant de 5 à 10% pour couvrir la hausse naturelle du nombre d’élèves. Sur cette base, le chef d’atelier calcule pour chaque format de cahier le volume de papier nécessaire. Nous faisons et assurons le suivi de la commande qui sera ensuite livrée aux EPO.»

L’impression faite, les premières livraisons se font entre janvier et juin à la DAL, avant les vacances d’été, de sorte que les écoles soient prêtes à recevoir les élèves à la rentrée; les livraisons auprès des établissements scolaires étant assurées par le service logistique de la DAL. (DA)

Autres produits des EPO

La fabrication du pain pour les patients et le personnel du CHUV et de l’hôpital de Cery fait également partie d’une déjà longue tradition. La boulangerie occupe une dizaine de personnes détenues au pénitencier de Bochuz et produit environ 800 kilos de pain par jour, six jours sur sept. 

Depuis janvier 2024, les plaques d’immatriculation du Canton de Vaud sont également produites dans la plaine de l’Orbe, mais dans la colonie fermée. En chiffres, ce ne sont pas moins de 120'000 plaques qui sortent chaque année de l’un des ateliers de la colonie. Seul et unique client, le Service des automobiles et de la navigation achète et livre la matière première, à savoir des plaques vierges de différents gabarits et couleurs. Celles-ci sont d’abord pressées, puis les chiffres et les écussons sont peints grâce à trois machines à colorier.

L’ensemble de ces activités s’inscrit pleinement dans la concrétisation des objectifs de réinsertion du programme de législature du Conseil d’État.

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