Les 20 ans de la Constitution vaudoise
Le 14 avril 2003 (jour anniversaire de la toute première séance du tout nouveau Grand Conseil vaudois, en 1803), notre Canton se dotait d'une nouvelle Constitution. Elle apportait plusieurs changements institutionnels, comme le redécoupage des districts. Comment se porte notre charte fondamentale, vingt ans plus tard? Reste-t-elle adaptée, suit-elle les changements de notre société? La présidente du Conseil d'Etat, le chancelier d'Etat et un historien répondent.
Cette année 2023 marque les les 20 ans de la révision totale de la Constitution vaudoise, et également les 175 ans de la Constitution fédérale, et donc de la naissance de la Suisse moderne. La présidente du Conseil d'Etat rappelle le contexte dans lequel la première charte fondamentale vaudoise a été élaborée. Christelle Luisier Brodard revient ensuite sur la révision de 2003, les nouveautés qu'elle a apportées (protection de l'environnement, équilibre budgétaire ou droit de vote des étrangers).
Trois questions à Aurélien Buffat, chancelier de l’État de Vaud
Qu’a apporté la Constitution de 2003 au canton de Vaud? Pourquoi était-il nécessaire de la réviser complètement?
La révision complète était nécessaire pour tirer les leçons de la crise et répondre aux importantes difficultés – financières, économiques, mais aussi politiques – connues par notre canton dans les années 1990. Entreprise peu banale en soi, elle aura été l’occasion de repenser nos institutions, de les moderniser et d’en créer de nouvelles, de revoir et renforcer la gouvernance du Canton, de le doter de nouvelles règles en matière de finances publiques, mais aussi de surveillance et de contrôle des activités de l’État, sans oublier les nouveaux droits fondamentaux qu’elle consacre, comme le droit de vote et d’éligibilité des étrangères et étrangers au niveau communal.
Si les apports sont nombreux, en ma qualité de chancelier ayant accompagné un important changement de législature en 2022, j’en mettrais deux en exergue : d’une part, le caractère novateur et pionnier de l’article 115, qui prévoit une présidence du Conseil d’État pour la durée de la législature, afin d’assurer la cohérence de l’action gouvernementale et le bon fonctionnement du collège ; d’autre part, l’article 119, qui dote l’exécutif cantonal d’un outil essentiel de conduite politique qu’est le programme de législature, lequel fixe les grandes priorités d’action publique pour les cinq ans.
Selon vous, la Constitution de 2003 reste-t-elle adaptée à notre époque, à notre monde?
Oui, tout d’abord parce que 20 ans, cela reste un âge relativement jeune pour une Constitution, même si les évolutions connues par notre canton ont été considérables et rapides depuis lors. De plus, dans le système suisse, nos constitutions – tant fédérale que cantonales – restent des textes vivants, en particulier grâce à la démocratie directe. En témoignent la protection du site de Lavaux en 2005 ou la récente création d’un Conseil de la magistrature. Enfin, la liberté, la responsabilité, la solidarité et la justice, tout comme le bien commun, la cohésion cantonale, l’intégration de toutes et tous, la conservation durable des ressources naturelles ou la sauvegarde des intérêts des générations futures me paraissent toujours constituer, en 2023, des valeurs et des buts fondamentaux auxquels la collectivité vaudoise aspire; ce d’autant plus dans un monde chamboulé par la succession de crises avec la pandémie, le changement climatique ou les bouleversements géopolitiques actuels. Dans ce contexte, force est de constater que la volonté générale exprimée dans le préambule de notre Constitution (favoriser l’épanouissement de chacun dans une société harmonieuse) reste foncièrement d’actualité.
La Constitution de 2003 aurait-elle pu être encore plus ambitieuse à vos yeux ? Si oui, en quoi?
La Constitution vaudoise de 2003 est un texte qui reste cohérent avec l’évolution de la société et ses besoins. De fait, les adaptations dont notre charte fondamentale a fait l’objet ces 20 dernières années témoignent de sa vivacité. J’aimerais donc ici plutôt saluer le travail des membres de l’Assemblée constituante de l’époque pour leur œuvre résolument moderne, laquelle a su tirer les leçons des années de crise pour adapter nos institutions et les doter des outils nécessaires pour relever les défis de ce début du 21e siècle. Nul doute que l’élan rénovateur de notre Constitution aura joué un rôle important en faveur du dynamisme économique et du compromis politique ayant caractérisé notre canton ces dernières années.
Trois questions à Olivier Meuwly, historien et auteur
Le Valais fait aujourd’hui l’exercice de réécrire sa Constitution. Qu’apportent ces débats à la société?
Cela dépend du contexte. Pour le canton de Vaud, le processus de révision a été lancé pour permettre au canton de sortir de la grave crise politique dans laquelle il était englué. L’économie était dans une situation catastrophique, l’aide sociale explosait. De leur côté, les finances publiques étaient délabrées. Enfin, le dialogue politique entre les partis était rompu. Notre canton était le mauvais élève de la Suisse, elle-même plongée dans une crise économique qui durait et une crise morale angoissante (Europe, fonds juifs). Les débats constitutionnels vaudois ont été l’occasion de construire un nouveau consensus politique, dont le Canton a profité dès que la situation économique s’est améliorée. Chez nous, ce compromis s’est cristallisé autour de l’introduction de mécanismes de contrôle financiers contraignants et de l’octroi des droits politiques aux étrangers.
La Constitution de 2003 reste-t-elle adaptée à notre époque, à notre monde?
Le charme de la politique suisse réside dans le fait que notre histoire constitutionnelle est en évolution constante, grâce à la démocratie directe. Notre charte fondamentale, fédérale ou cantonale, peut ainsi s’adapter au gré des demandes sociales. Dans ce cadre, la Constitution de 2003 qui, rappelons-le, est un compromis entre la gauche et la droite me semble en phase avec nos réalités actuelles.
Quels seraient les possibles amendements à y introduire dans les 20 prochaines années pour que ce texte reste en phase avec les besoins de la société vaudoise?
Je ne peux pas faire de pronostic. Comme je l’ai laissé entendre, notre système démocratique est par définition souple. Bien que nombre d’initiatives populaires paraissent parfois folkloriques, je n’en connais aucune que l’on puisse qualifier d’absurde. Elles ouvrent toutes des débats nécessaires, car répondant à des préoccupations ancrées dans la société. Notre vie politique reste marquée par l’antagonisme gauche-droite, qui est loin d’avoir été purgé, contrairement à ce que certaines personnes croient. Elle continuera à tourner autour de l’axe liberté-égalité. Mais il faut voir que les constitutions cantonales restent subordonnées au droit fédéral. Les grands changements empruntent surtout la voie de la Constitution fédérale ! Mais les cantons, et leur droit constitutionnel restent des laboratoires politiques exceptionnels.
Olivier Meuwly, collaborateur au secrétariat général du Département de l’enseignement et de la formation, vient de publier « Une brève histoire constitutionnelle de la Suisse » (éditions Alphil)