Lorsque l’on réfléchit à la présence du cinéma dans le canton de Vaud, les cas sont nombreux et variés. Comme le fait remarquer Nicole Minder, cheffe du Service des affaires culturelles de l’État de Vaud, «dans le canton, nous avons toute la chaîne du cinéma: la formation avec l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL) à Renens et la section Histoire et esthétique du cinéma de l’Université de Lausanne (seule formation universitaire en cinéma de Suisse romande, ndlr), la réalisation avec le soutien de l’État de Vaud à Cinéforom (voir encadré), et la conservation avec le Centre de recherche et d’archivage de la Cinémathèque suisse à Penthaz, sans parler des salles et des festivals qui assurent la diffusion».
Il semble y avoir, de plus, un héritage important avec la présence des célèbres Charlie Chaplin et Audrey Hepburn ayant respectivement vécu à Corsier-sur-Vevey et à Tolochenaz, ou encore le développement de techniques cinématographiques comme les caméras Bolex à Sainte-Croix ou les enregistreurs Nagra, à Cheseaux-sur-Lausanne.
Alors est-ce que l’on peut affirmer que ce territoire serait propice à l’épanouissement cinématographique? On découvrira ici que si de nombreux projets sont créés dans la région, le fait que les frontières entre cantons romands ne soient pas hermétiques tend à nuancer l’idée d’un canton vaudois comme terrain privilégié du cinéma en Suisse. La Cinémathèque suisse assure toutefois un lien particulier entre Vaud et le septième art.
«Dans le canton, nous avons toute la chaîne du cinéma : la formation avec l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL) à Renens et la section Histoire et esthétique du cinéma de l’Université de Lausanne (seule formation universitaire en cinéma de Suisse romande, ndlr), la réalisation avec le soutien de l’État de Vaud à Cinéforom (voir encadré), et la conservation avec le Centre de recherche et d’archivage de la Cinémathèque suisse à Penthaz, sans parler des salles et des festivals qui assurent la diffusion.»
Il semble y avoir, de plus, un héritage important avec la présence des célèbres Charlie Chaplin et Audrey Hepburn ayant respectivement vécu à Corsier-sur-Vevey et à Tolochenaz, ou encore le développement de techniques cinématographiques comme les caméras Bolex à Sainte-Croix ou les enregistreurs Nagra, à Cheseaux-sur-Lausanne.
Alors est-ce que l’on peut affirmer que ce territoire serait propice à l’épanouissement cinématographique ? On découvrira ici que si de nombreux projets sont créés dans la région, le fait que les frontières entre cantons romands ne soient pas hermétiques tend à nuancer l’idée d’un canton vaudois comme terrain privilégié du cinéma en Suisse. La Cinémathèque suisse assure toutefois un lien particulier entre Vaud et le septième art.
Le point de vue des professionnelles
Qu’il s’agisse de productrices ou de réalisatrices, les professionnelles de la création cinématographique vaudoises sont là. Quel rapport entretiennent-elles entre leur métier et le territoire vaudois ? Comment contribuent-elles à la valorisation du cinéma dans le canton, ou du canton dans le cinéma ?
Après des études en économie à l’Université de Lausanne, Elena Tatti, d’origine tessinoise, fonde Box Productions à Lausanne en commençant par produire les premiers films de fiction de Jean-Stéphane Bron (Mon frère se marie, 2006) et d’Ursula Meier (Home, 2008). Une décennie plus tard, deux productions de cette maison ont consécutivement été élues meilleur film de fiction au Prix du cinéma suisse: Ceux qui travaillent en 2019, réalisé par le Lausannois Antoine Russbach et Le Milieu de l’horizon en 2020, adaptation tournée en Macédoine par Delphine Lehericey du roman éponyme de l’écrivain vaudois Roland Buti.
Elena Tatti décrit Box Productions comme une société qui met l’accent sur la relève: «Nous sommes très attentifs aux nouveaux talents. On produit beaucoup de premiers films et de films de diplôme, notamment des courts-métrages de l’ECAL». Ainsi, cette maison collabore directement avec des écoles vaudoises, contribuant au développement cinématographique régional.
«Nous avons des liens très forts avec l’ECAL et la Manufacture. Par exemple, l’acteur principal de Pause, Baptiste Gilliéron, vient de cette école de théâtre».
Elle qualifie d’ailleurs ce film réalisé en 2016 par Mathieu Urfer comme la plus vaudoise de leur production, ayant été intégralement tournée à Lausanne.
Elena Tatti ressent un intérêt particulier des Vaudoises et Vaudois pour leurs productions. « J’ai le sentiment que ce canton est très cinéphile, en particulier Lausanne. Mais le réseau est aussi dense à Yverdon, ou encore à Morges ».
Aujourd’hui, Box Productions a toujours des projets dans le canton de Vaud : « On travaille actuellement sur le premier long-métrage de Nadège de Benoit-Luthy, une réalisatrice qui a fait l’ECAL et qui habite à Lausanne ». Bien que les lieux de tournage ne soient pas encore définis, Elena Tatti envisage de rester dans la région.
Daniel Wyss est réalisateur et producteur chez Climage
une maison lausannoise spécialisée dans les films documentaires historiques et sociaux. Elle a notamment produit Les dames (Stéphanie Chuat et Véronique Reymond, 2018, et les films de Daniel Wyss dont son dernier, Ambassade (2019), sur le rôle diplomatique de la Suisse entre l’Iran et les États-Unis.
Daniel Wyss ne considère pas Climage comme une société particulièrement vaudoise malgré sa situation à Lausanne. Leurs productions, même internationales ont toujours un lien avec le pays, davantage qu’avec le canton. «Je ne pense pas qu’il y aurait des différences notoires chez Climage si nous étions basés, par exemple, à Fribourg».
De manière générale, il se montre nuancé au sujet de la place accordée au cinéma dans le canton de Vaud en estimant que cette région n’est ni plus productive ni plus cinéphile que le reste du pays.
Il explique cette situation par le fait que l’État de Vaud ne finance plus individuellement le cinéma : « Jusqu’en 2010, le cinéma était cantonal, mais le paradigme a changé avec Cinéforom (voir encadré). Maintenant, il n’y a plus vraiment d’attachement lié au canton ». Cinéforom favorise d’ailleurs une perméabilité entre les cantons, avec des films comme Ma vie de courgette (Claude Barras, 2016) réalisé par un Valaisan résidant à Lausanne et produit à Genève.
Toutefois, Daniel Wyss croit au potentiel du canton et exprime le souhait de voir un cinéma typiquement vaudois se développer. « Aujourd’hui avec Netflix et la diffusion en masse, c’est important de mettre en avant nos spécificités locales. Le canton de Vaud est vaste, c’est un territoire d’une grande superficie avec beaucoup d’habitants. Les paysages sont très divers ». Il déplore l’attention trop souvent portée au seul arc lémanique. « Beaucoup de films sont tournés en Lavaux et sur la Riviera vaudoise, mais qu’en est-il des autres régions ? C’est un peu comme si on avait honte du terroir vaudois, alors qu’il n’y a pas de quoi. J’attends encore le film tourné dans le Jorat ».
Climage a actuellement plusieurs projets en cours, dont un documentaire de Patrick Muroni sur Oil Productions, un collectif de productions pornographiques lausannois issu de l’ECAL.
Stéphanie Chuat et Véronique Reymond sont réalisatrices vaudoises.
Leurs deux premiers longs-métrages ont été tournés en majeure partie dans le canton de Vaud: La petite chambre en 2010 avec Michel Bouquet est situé en Lavaux, tandis que Les dames, film documentaire sorti en 2018, suit le quotidien de cinq femmes âgées entre le Gros-de-Vaud, Pully, ou encore Chardonne. «Comme nous sommes toutes deux nées à Lausanne et avons grandi en région lausannoise, le canton de Vaud est dans notre ADN. C’est donc naturellement qu’il a sa place dans les histoires que nous racontons», expliquent-elles.
Leur manière de travailler avec le paysage vaudois diffère s’il s’agit d’une fiction ou d’un documentaire. Elles font attention à leur manière de représenter certains lieux vaudois dont la supposée beauté peut parfois être à double tranchant. « Lorsque nous utilisons les paysages du canton dans nos films ou séries, nous sommes attentives à éviter le piège esthétique « carte postale » qui pourrait diminuer la tension dramatique du récit. Les deux utilisations que nous avons faites de Glacier 3000 aux Diablerets sont à chaque fois liées à des moments-clés pour les personnages de nos films ».
Stéphanie Chuat et Véronique Reymond s’apprêtent à présenter leur nouveau film, Petite sœur (Schwesterlein), avec les stars allemandes Nina Hoss, Lars Eidinger et l'icône suisse Marthe Keller. Tournée principalement en allemand, l'histoire est située pour deux tiers dans les Alpes vaudoises entre Leysin et Villars-sur-Ollon, et pour un tiers dans la ville de Berlin. Le film sortira le 16 septembre au cinéma en Suisse romande. Une occasion de découvrir le canton sur grand écran. (SH)
Vaud à l’écran
La liste des films tournés dans le canton de Vaud est longue. On pense surtout aux Petites fugues réalisé par Yves Yersin en 1979, aux nombreux films de Jean-Luc Godard depuis Sauve qui peut (la vie) en 1980, ou encore à Merci pour le chocolat de Claude Chabrol en 2000. Mais d’autres réalisateurs et réalisatrices moins connues ont également montré le canton de Vaud. Alors comment y est-il, au fil des lieux et du temps, représenté ?
Pause (Mathieu Urfer, 2014) : Lausanne
Produit par Box Productions, Pause est une histoire d’amour musicale en plein cœur de Lausanne. Elena Tatti raconte sa genèse : « Pause a été pensé comme un film lausannois, avec en tête une génération de jeunes Lausannois et une culture lausannoise ». En effet, les lieux de l’univers du film ne sont pas fictifs : on y reconnaît le théâtre de l’Arsenic ou encore le hall d’entrée de l’ECAL, qui sont mentionnés par les personnages. Ces derniers se rendant à plusieurs reprises en boîte ou à des concerts, et le film étant enjoué, voire humoristique, Lausanne y est montrée comme une ville festive et dynamique.
Les dames (Stéphanie Chuat et Véronique Reymond, 2018) : Vaud et Valais
Les dames, réalisé par Stéphanie Chuat et Véronique Reymond, suit cinq femmes âgées – quatre Vaudoises et une Valaisanne – qui racontent leurs difficultés à rencontrer un homme à leur âge. Ce film documentaire aux accents doux-amers représente des lieux variés du canton, qui n’ont pas été choisis d’avance. Stéphanie Chuat et Véronique Reymond expliquent : « Comme nous suivions nos cinq dames dans leur vie quotidienne, la représentation du canton de Vaud dans notre film est entièrement liée à leurs activités ». Elles évoquent les baignades au pied du château de Chillon de l’une des protagonistes, ou encore la journée où une autre photographie des chasseurs dans le Gros-de-Vaud. La nature vaudoise est en effet montrée comme omniprésente et accessible, chaque femme s’adonnant à une activité qui y prend place.
Romans d’ados (Béatrice Bakhti, 2010) : Yverdon-les-Bains
Le cinéma dans le canton concerne aussi les séries télévisées. Parmi elles, Romans d’ados a connus un succès à sa sortie en retraçant en quatre films documentaires le parcours de sept adolescents entre 2002 et 2008. Contrairement à Les dames, le lieu a déterminé le casting et non l’inverse. La quasi-totalité de la série se déroule à Yverdon-les-Bains. À des années-lumière du stéréotype « carte postale helvétique », la ville y est représentée comme peu épanouissante, théâtre de problèmes sociétaux et de mal-être adolescent.
La Symphonie pastorale (Jean Delannoy, 1946) : La Lécherette
La Symphonie pastorale est le seul film de cette sélection dont le réalisateur n’est pas suisse. Le français Jean Delannoy adapte ici un roman d’André Gide initialement situé à La Brévine dans le canton de Neuchâtel, qu’il transpose dans le cadre alpin de la Lécherette, avec Michèle Morgan dans le rôle principal. Le lieu n’est pas dit, rien n’indique donc que l’histoire se déroule dans le canton de Vaud. Le film construit une Suisse rurale et traditionnelle, faite de montagnes enneigées et de chalets, dans laquelle l’Église et plus spécialement le protestantisme exercent une grande influence.
La Mort du grand-père ou le sommeil du juste (Jacqueline Veuve, 1978) : Lucens
Sélectionné au festival de Locarno de 1978, La Mort du grand-père ou le sommeil du juste est un documentaire qui retrace les souvenirs liés au grand-père de la réalisatrice Jacqueline Veuve, chef d’une usine de pierres fines à Lucens. Avec l’usage de nombreuses images d’archives et la présence de personnes âgées relatant leurs souvenirs, Lucens apparaît comme un village ancien. Le film met de plus l’accent sur le monde ouvrier sans glamourisation. (SH)
Ces cinq films peuvent être empruntés en DVD à la Bibliothèque cantonale universitaire.
La Cinémathèque suisse dans le Gros-de-Vaud
L’idée que le cinéma occupe une place importante dans le canton de Vaud est sans doute influencée par la présence de la Cinémathèque suisse, située à Lausanne avec ses salles de projection, dont le Capitole, et à Penthaz avec son Centre de recherche et d’archivage.
La Cinémathèque suisse tient ses origines dans une collection d’archives cinématographiques à Bâle offerte aux animateurs du ciné-club de Lausanne dans les années 1940. Ces derniers fonderont en 1948 l’association Cinémathèque suisse dans la capitale vaudoise. Son directeur actuel Frédéric Maire raconte : «Ce n’est qu’en 1981 que, sous l’impulsion de son directeur depuis 1951, Freddy Buache, la Cinémathèque suisse s’établit au Casino de Montbenon». La collection devenue immense trouvera ses locaux sept ans plus tard, dans d’anciens ateliers de reliure à Penthaz. Racheté par la Confédération et agrandi depuis, ce dépôt est devenu le nouveau Centre de recherche et de conservation. Il a été inauguré en septembre 2019 par le conseiller fédéral Alain Berset et la conseillère d’État Cesla Amarelle.
Bien que la Cinémathèque soit une institution nationale, Frédéric Maire souligne qu’«en raison de son installation et de sa longue histoire en terre vaudoise, son lien avec le canton de Vaud est particulièrement intense». Les actions entreprises pour valoriser le patrimoine vaudois sont en effet nombreuses. «Outre les films de fiction et les documentaires, la Cinémathèque suisse conserve et restaure de très nombreux documents qui racontent, par l’image, la vie de cette région, à travers des films de commande, des films publicitaires, de rares documents de famille, le ciné-journal suisse et j’en oublie. Nous avons par exemple récemment édité avec la RTS et la Confrérie des Vignerons un DVD qui compile toutes les images en mouvement existant sur la Fête des Vignerons, dont les plus anciennes – les éditions de 1905, 1927 et 1955 – sont issues de nos archives. Nous avons édité également des DVD consacrés aux villes de Montreux ou de Lausanne». La Cinémathèque suisse contribue ainsi à la conservation et à la diffusion des images du canton de Vaud, tout en dénotant la polysémie du cinéma.
La Cinémathèque entretient également des liens étroits avec d’autres institutions vaudoises, dont les écoles. « Un cours public de l’Université de Lausanne est donné depuis plus de 30 ans chaque semaine dans nos salles – et par Freddy Buache lui-même jusqu’à son décès en 2019. En 2010, ce lien avec l’UNIL a été fortement renforcé par la création de La Collaboration Unil-Cinémahèque suisse qui vise à encourager et développer des travaux de recherches au sein de nos archives », explique Frédéric Maire. L’ECAL est aussi un partenaire régulier de la Cinémathèque « à travers des programmes organisés conjointement en présence de différentes personnalités du cinéma venues du monde entier ». Frédéric Maire précise encore que les étudiantes et étudiants en cinéma de l’UNIL et de l’ECAL accèdent gratuitement aux projections de la Cinémathèque. De ce fait, la Cinémathèque – en plus de conserver des archives – travaille activement avec la relève cinématographique vaudoise. (SH)
Les séances de la Cinémathèque ont repris le 25 août après des mois de fermeture. Le film Sauve qui peut (la vie) (Jean-Luc Godard, 1980) tourné dans les alentours de Nyon sera projeté le 19 octobre dans le cadre d’une ligne de programmation dédiée à Freddy Buache.
Programme et informations sur le site d’internet de la Cinémathèque suisse
Un grand merci à Gérard Ruey, secrétaire général de Cinéforom, pour son aide lors de la réalisation de cet article (SH).
Alice au pays romand, réalisé par Alberto Cavalcanti, Suisse/GB, 1938
Film de commande de l’Office du tourisme de Lausanne, Alice au pays romand fait appel à un réalisateur de renom international, Alberto Cavalcanti pour dépeindre les trésors de la Romandie en suivant le parcours d’une jeune pensionnaire Anglaise parmi toutes les curiosités de la région.
Cette opération de restitution de couleurs a été menée par la Cinémathèque suisse au laboratoire L’Immagine Ritrovata de Bologne, avec le soutien de Memoriav.
Pendant la période de fermeture des salles à cause du COVID, la Cinématèque suisse a proposé chaque semaine un petit film restauré et numérisé par ses soins.
Cinéforom
Le soutien de l’Etat de Vaud au cinéma passe par le partenariat financier avec deux entités: la Cinémathèque suisse et Cinéforom. Cinéforom est une fondation intercantonale créée en 2011 qui a pour but de soutenir la production et la réalisation de films. Avant sa création, les aides étaient cantonales. Nicole Minder, cheffe du SERAC, relève qu’il s’agit d’une «mutualisation des forces pour subventionner suffisamment chaque film, mais surtout pour positionner le cinéma romand». En effet, ce dispositif qui réunit tous les cantons romands permet un soutien plus adapté, ainsi qu’une facilitation des demandes de subvention, mais aussi une meilleure collaboration tant au niveau de la création que de la diffusion.